J’ai vraiment été surpris lorsque je me suis aperçu que la page Wikipédia d’Invisible Limits était uniquement disponible en espagnol, mais j’ai compris que c’était la preuve de la célébrité du groupe en Espagne. Certains groupes sont célèbres au Japon, d’autres dans notre pays. On a discuté avec Marion Küchenmeister, chanteuse et leader d’Invisible Limits: le groupe célébrera ses 35 ans de carrière avec des concerts très spéciaux. La tournée s’arrêtera en Espagne, le 12 juin à Madrid et le 13 juin à Valence.
—Le groupe a fait ses débuts en 1985. Marion, que peux-tu nous dire à propos de cette période ?
—On a commencé en 1985 avec quatre musiciens : Ralf P. Schauf (à la basse), Andreas Küchenmeister (à la batterie), Thomas Lüdke (au clavier) et moi en tant que chanteuse. On a enregistré ensemble les deux premiers maxi-singles, qui ont eu beaucoup de succès en Allemagne chez la scène wave.
Thomas a quitté le groupe un an plus tard en 1986, après avoir produit Push ! pour son projet solo (The Invincible Limit, renommé The Invincible Spirit quand il a quitté le groupe). Il voulait se diriger vers un style EBM plus hard qui n’était pas compatible avec la direction qu’Invisible Limits voulait suivre : plus mélodique et avec des guitares. À cause de ces divergences musicales, il a décidé de partir et on a continué sans lui avec notre style wave plus mélodique. Plus tard, on a quitté Last Chance et on est entré en contact avec notre nouveau label Fun Factory ! Tous les albums suivants de Invisible Limits ont été publiés chez eux, ainsi que beaucoup de singles.
—Quelles étaient tes influences à ce moment-là ? J’ai lu qu’écouter la chanson « Fade to Grey » a vraiment marqué ta vie.
—Quand j’avais 16 ans, au début des années 80, j’étais fascinée par les nouveaux sons électroniques. Jusque-là, j’écoutais The Alan Parson’s Project, David Bowie et Jean-Michel Jarre. Et puis j’ai découvert des groupes comme ABC et DAF. La new-wave allemande de cette période a eu une grande influence sur moi. Pour moi, « Fade to Grey » était la chanson parfaite pour l’époque. J’adore la mélodie, l’émotion dans la chanson, et sa production. Je crois que je l’écoutais plus de 100 fois par jour. Cette période a été importante pour moi : je sortais en boîte pour danser et j’ai découvert Joy Division, Anne Clark, Siouxsie, etc. C’était un peu comme le « pays des merveilles » pour mes amis et moi. C’est là que mon meilleur ami, Micha, m’a présenté Andreas et Ralf, qui voulaient monter un groupe.
—Le premier album du groupe, Demand for Supply, sorti en 1987, est aussi le plus sombre de tous (depuis la couverture de l’album à la musicalité de certaines chansons), tu ne crois pas ?
—On a produit notre premier album avec Micki Meuser, qui avait déjà travaillé avec pas mal de groupes allemands à succès au début des années 80 (Die Artze, Ideal, etc.). On cherchait de l’aide afin de trouver la bonne sonorité pour nos chansons quand on a commencé à travailler avec le MPC 60 et notre clavier AKAI. Avec Micki, on a créé ensemble le son de Demand for Supply. En 1987, la plupart des journalistes ne comprenaient pas notre style de musique, ils n’avaient pas d’étiquette à nous coller. Je crois que les chansons les plus puissantes qu’on ait sont sur cet album, c’est pour ça que j’aime les jouer en concert.
—A Conscious State (1989), votre deuxième album, comporte des chansons comme « Golden Dreams », « Natalies », ainsi qu’une reprise de Joy Division. Beaucoup de fans le considèrent comme votre meilleur album. Qu’est-ce qui le rend si spécial, à ton avis ?
—Cet album a vraiment un son unique et clair. Combiné à une écriture pleine d’émotions, ce son « alternatif » est devenu « populaire ». Sur cet album, on a travaillé avec Janez Kriszay (le producteur de Laibach) et on a passé des mois à bosser dans différents studios. Notre reprise de « Love will tear us apart » a connu un grand succès en Allemagne, je ne m’y attendais pas, j’ai vraiment été surprise. Plus tard, on a sorti l’album en Espagne avec KONG-Records et on a commencé à jouer en concert. Un truc dont je suis vraiment fière, c’est que cet album passe toujours dans les clubs après 32 ans. C’est incroyable.
—Aborder une chanson aussi géniale et considérée comme un véritable hymne (Love will tear us apart) a-t-il été difficile ?
—Au début, on la jouait pendant nos concerts, c’était la dernière chanson de notre set. Les gens l’adoraient et on rendait hommage à Joy Division en chantant le refrain tous ensemble. Du coup, notre label a eu l’idée d’en faire un single – ce qui s’est effectivement avéré être une excellente idée, vu le succès obtenu en Allemagne.
—Dans votre troisième album Familiar !, le groupe a travaillé avec le célèbre producteur John Fryer. C’était comment de travailler avec lui ? Tu étais satisfaite du résultat ?
—John Fryer crée sa propre ambiance dans ses productions, comme il l’a fait dans nos chansons. On était très créatifs pendant les sessions d’enregistrement : « Moments » a été une expérience incroyable avec beaucoup de strates vocales et beaucoup de pistes. En 1991, on n’avait pas d’enregistrement numérique, donc c’était vraiment difficile de créer ces chœurs avec un seul micro sur la table de mixage. Évidemment, cet album représente une véritable rupture en termes de son avec A Conscious State, et aujourd’hui encore, je pense que c’était peut-être une erreur de changer le son IL comme ça. D’un autre côté, on a des chansons comme « A Message », « Liars » et « Insight » qui, à mon avis, sont géniales. Cet album nécessite du temps pour être apprécié, mais au bout du compte il vous touche profondément. C’est l’effet John Fryer. Ça a été un réel plaisir de travailler avec lui, il était vraiment cool et très créatif avec nos chansons.
—Ralf P. Schauf et Jürgen Jaeger ont quitté le groupe avant Violence (1993), n’est-ce pas ? Ça a été difficile de faire un album sans eux ? Qui t’a aidée ?
—Oui, on a fait une tournée fantastique ensemble et joué nos premiers concerts en Espagne, ce qui était l’aventure pour nous. Mais la pression était trop grande, on avait beaucoup de travail à faire. Ralf a décidé de rentrer chez lui pour s’occuper du domaine viticole de sa famille, et aujourd’hui encore il produit l’un des meilleurs vins blancs qu’on peut trouver en Allemagne. Un peu plus tard, Jürgen a reçu une très belle offre de la part d’un autre groupe à succès et a décidé de changer. Du coup, depuis 1993, Andreas et moi gérons Invisible Limits tous seuls. Enfin, on a écrit la plupart des chansons du groupe, et on a trouvé de supers musiciens pour les concerts.
Pour la production de Violence, Len Davies, qui travaillait avec Alien Sex Fiend à ce moment-là, Andy Faulconer et Nigel Butler nous ont aidés avec le travail de studio. Darrin Huss de Psyche a chanté avec moi sur certaines chansons également. Jusqu’à maintenant on est toujours bons amis avec Ralf, et l’année dernière pendant la tournée, j’ai aussi revu Jürgen.
—J’ai lu que le groupe avait des ennuis avec le label SPV, tu peux nous en dire plus à ce sujet ?
—Non, ce n’était pas seulement SPV, mais plutôt Fun Factory ! avec qui on avait plus de problèmes. On avait changé pour SPV et ils voulaient faire de Invisible Limits un « produit » plus commercial. Ils nous concrètement forcé à produire Violence dans un style Euro-Dance. Je ne voulais pas car je savais que ça changerait notre style musical trop drastiquement, et qu’on finirait par perdre notre scène, notre public. Mais ils ne voulaient pas abandonner l’idée, donc j’ai dû leur dire : « je ne veux pas faire ça avec Invisible Limits ». Au final, ils ont choisi de nommer Invisible 2 cet « euro-sound ». Les remixes ont été faits dans le studio par Andreas Küchenmeister, qui est devenu un excellent producteur au fil des ans. L’album Violence a eu beaucoup de succès en Argentine. On peut dire que le jeu en valait la chandelle du coup. Le temps passé en Amérique du Sud a vraiment été intéressant.
—J’ai également lu que le groupe s’est servi du Cajón péruvien pour cet enregistrement. C’est vrai ? Comment en êtes-vous arrivés à cet instrument ? Le groupe était plutôt connu en Amérique du Sud, non ?
—Oui, on a découvert le Cajón pendant notre séjour en Argentine dans les années 90, comme je l’ai mentionné. C’était un cadeau d’anniversaire de ma part. Andreas a pris des cours et plus tard a fini par en jouer en live,
—Je me suis beaucoup renseigné sur votre album de 2005 : que c’était l’album final (comme le titre semble le suggérer) et qu’il contenait des chansons non publiées depuis 1993 et jusqu’à sa sortie. Peux-tu me dire si tout cela est vrai ?
—On l’a appelé The Final Album (« album final ») car on voulait publier toutes les chansons qu’on avait faites pendant les années 90 et qui étaient trop « underground » au goût de SPV pour les sortir. Après cette expérience avec SPV, on a mis un terme à notre relation avec notre label Fun Factory ! et on a décidé de tout faire par nous-mêmes. On a sorti le CD, on est parti en tournée avec Psyche et on a recommencé à jouer en Espagne. L’ère du numérique débutait et du coup on a créé notre site en 2001. Un peu plus tard on s’est aussi mis à tout ce truc de réseaux sociaux.
On pensait que ça pourrait être notre dernier album, notre « album final », mais au contraire, on n’a jamais été aussi occupé. En 2005 on a joué notre prétendu « concert d’adieu » (en jouant avec le nom de l’album) et on a fêté les « 20 ans d’Invisible Limits » lors d’un concert légendaire à Bochum, avec plein d’invités et d’anciens membres du groupe sur scène, comme Ralf et Jürgen, et même Thomas a été invité à chanter les 2 chansons qu’on avait enregistrées ensemble en 1985. Darrin Huss était là aussi, et notre fils de 17 ans, Max, jouait à la guitare ! Depuis, il est resté le guitariste d’Invisible Limits et il fait vraiment du bon boulot lors de nos concerts ! Ça a vraiment été le début d’une nouvelle ère pour Invisible Limits, et non la « fin de tout ». On a simplement évolué avec le groupe jusqu’aujourd’hui, avec notre « 35 Years Celebration Tour » en 2020.
—Étais-tu intéressée par le Bouddhisme à ce moment-là ? Avez-vous changé vos noms en Assema & Basera ? Comment votre musique a-t-elle été influencée ?
—Andreas et moi, on a eu une période où on se cherchait un peu à travers la méditation et l’introspection, ce qui n’est en aucun cas une religion. Finalement, on a trouvé le silence et on s’est ouvert à de nouvelles idées et collaborations avec d’autres musiciens. Dans notre Final Album, on met ça en avant dans les chansons ; on a travaillé avec des musiciens très différents pour la production et, comme je l’ai déjà dit, sur scène avec nos invités.
—Comme tu l’as dit, tu joues avec ton fils Max à la guitare. Quand est-il devenu membre du groupe ? Il a également un groupe appelé Glass Promises, n’est-ce pas ?
—On a impliqué Max très tôt dans notre groupe. Son premier concert avec nous était en 2004, il jouait aux claviers. Pendant ce temps, il est devenu un très bon musicien. Il adore les sonorités originelles des guitares des années 80 et il s’accorde parfaitement avec Invisible Limits. En ce qui concerne son groupe, oui, il est aussi un excellent chanteur et parolier, et il joue de la guitare acoustique. Il va enregistrer son deuxième album dans l’année. Quand j’écoute ses chansons, je me sens extrêmement fière. Tu sais, je suis avant tout sa mère. 😂
—Est-ce difficile de jouer dans un groupe qui est également une famille ?
—J’ai eu l’habitude de jouer avec des amis et de la famille et je le fais encore. C’est beaucoup plus facile et ça me donne plus confiance en tout. Andreas n’est désormais plus intéressé par le fait de jouer en live, mais il reste un membre d’Invisible Limits. On décide ensemble pour tout ce qui concerne le business et la musique, et je pars en tournée avec le lineup du moment. Je travaille actuellement sur un nouvel album et on discute également de chaque nouvelle chanson.
—Marion, tu as également un autre projet, appelé Mari Chrome et dont un album est déjà sorti : Georgy # 11811. Peux-tu nous en dire plus ?
—Mari Chrome a été une expérience que j’ai eue avec mon ami Kai Otte, un compositeur et musicien allemand très doué et très talentueux. J’adorais ses chansons, alors j’ai écrit les paroles et j’ai créé, comme d’habitude, les voix. John Fryer mixait les pistes dans son studio et Alfa Matrix, en Belgique, était intéressé par l’album et a fini par le publier. Je leur en suis toujours reconnaissante.
On n’a pas fait de scène ni produit de second album parce que le style des nouvelles chansons a pris une tournure qui ne me correspondait pas : trop gothique et EBMish. Du coup, j’ai décidé de ne pas produire de second album avec Mari Chrome. Mais je suis chanteuse, et en tant que telle, je travaille sur plusieurs autres projets, pas seulement avec Invisible Limits. Modern Slaves est le fruit d’une collaboration avec José Luis Macías (Comité Cisne, Ultima Emoción, Inhumanos, etc.) et Salva Ortiz (Armas Blancas, Presuntos Implicados, etc.) de Valence, avec un style post-punk-new-romantique. On a sorti un petit EP intitulé Second Life, que j’adore. Je pense (et j’espère) qu’on sortira plus de titres dans le futur.
—Sur votre site web aussi la célébrité du groupe en Espagne est mentionnée. Vous avez également joué pas mal de fois ici ces dernières années. Une anecdote particulière de vos concerts ou de votre rapport à l’Espagne que tu voudrais partager avec nous ?
—Je me rappelle un de nos premiers concerts en Espagne, à Murcia vers 1989. On devait faire la balance son à 23h dans le club et personne n’était là. Le concert était prévu très tard, à 3h du matin, ce qui est très inhabituel en Allemagne. On est donc rentré à l’hôtel, très triste puisque personne n’était venu, personne ne nous attendait devant le club, et on pensait que personne ne viendrait nous voir. Alors quelle surprise quand on est revenu 3 heures plus tard : le club était rempli : tous les tickets avaient été vendus ! Je n’oublierai jamais cette sensation, en Espagne, avec notre musique et où tout le monde nous connaissait. On a appris de cette expérience que le moment du « party time » en Espagne est très différent de l’Allemagne.
—Tu as travaillé avec Darrin Huss de Psyche quelques fois, n’est-ce pas ? Il travaillait sur Violence, sur la reprise de Soft Cell de « Torch » et également des remixes. Comment l’as-tu rencontré ?
—Je connais Darrin depuis 1991, il a voyagé avec nous en tant qu’ami lors de notre « Familiar Tour » en Allemagne. Plus tard, en 2002, on était ensemble sur la tournée « Legend United Tour » et depuis quelques années on joue des triples concerts ensemble en Allemagne avec No More. On est devenus des amis proches, avec beaucoup de respect l’un pour l’autre. Il est une sorte de frère pour moi, on glousse comme des gosses quand on est ensemble. Ce n’est pas très professionnel, mais à notre âge, on ne devrait pas prendre tout au sérieux. On essaye de s’amuser autant qu’on peut. En fin de compte, c’est de ça qu’il s’agit : s’éclater avec des amis et de la musique.
—La troisième partie de ton album de remix de 2018 s’intitule Renuxes from Spain, avec des remixes réalisés par des artistes espagnols. En dehors de Interfront, qui d’autre y a pris part ? Comment t’es venue l’idée d’une compilation entière de remixes espagnols ?
—Les trois parties vont ensemble, on va les publier ensemble dans un album Remix Collection mi-2020. Plus de remixes d’autres groupes vont venir et je vais sortir une ou deux nouvelles chansons d’Invisible Limits également. J’apprécie vraiment quand d’autres groupes ou musiciens travaillent avec nos chansons pour en faire leurs propres versions et remixes. C’est réellement exaltant pour nous. C’est un honneur et un plaisir quand d’autres musiciens veulent remixer nos chansons. On en est vraiment fiers.
Des exemples d’autres groupes inclus dans la compil’ : No More, Ultimo Destino, The Eternal Afflict, Per-Anders Kurenbach, Psyche, Len Davies, EGOamp et bien d’autres.
—Quels sont les projets à venir pour le groupe ? Un album en cours ?
—On travaille sur un nouvel album, et on espère sortir notre première chanson dans quelques semaines. On part en tournée en Allemagne et en Espagne pour célébrer les 35 ans du groupe : « 35 Years Invisible Limits Tour ». Depuis le début de l’année, on travaille avec Sturm Promotion pour le côté management et réservations, donc on s’attend à avoir bien plus de travail que d’ordinaire. Les premières dates en Espagne sont déjà fixées : 12 juin à Madrid, la dernière fois c’était en 2005, et le 13 juin à Valence. On est en train de prévoir des dates à Murcie, Tarragone, Alicante et Barcelone pour octobre et décembre.
C’est toujours comme ça : dès qu’on commence un nouveau truc, tout prend de l’ampleur et on est toujours surpris de ce feedback venant de partout. Même après toutes ces années, les fans sont toujours là (ainsi que des petits nouveaux). C’est très satisfaisant.
—À quoi peut-on s’attendre pour la tournée en Espagne ?
—Le groupe vient avec 3 musiciens : Javier Coloma, notre ingé son, sera aux claviers, Max à la guitare et moi au micro.
On a un très bon set, avec des chansons de tous les albums. Les nouvelles versions et nouveaux arrangements rendent le son très puissant, et avec Max à la guitare l’émotion sera à son comble. On invite tout le monde à se joindre à nous durant cette expérience. Ça va être une grosse fête, une célébration de la vie, de l’amitié et de la musique des années 80. Au bout du compte, c’est tout ce qui importe.
Traduction : Emmanuelle Ambert