Photo d’en-tête : Marilia Fotopoulou
De Turquie ne nous arrivent pas seulement de mauvaises nouvelles nous apprenant que le pays est en proie à la perte des libertés de ses citoyens. She Past Away, un incroyable groupe de darkwave nous présentera ses sons glacés à Madrid pour le DarkMad, le samedi 26 octobre. Une obscurité aussi antique que l’Empire ottoman.
—Que pouvez-vous nous raconter sur les débuts du groupe en 2006 ? Comment avez-vous rencontré Idrid ? Quand est-ce que Doruk a rejoint le groupe (il n’était que le producteur au début) ?
—Volkan : On s’est connus grâce au groupe dans lequel je jouais avant. Doruk a rejoint le groupe en 2010, pour l’enregistrement de Kasvetli Kutlama. Au début, il devait produire l’EP. Ensuite, il a commencé à jouer les parties de synthé et de batterie électronique pendant les concerts, puis au final, il est devenu membre du groupe à part entière.
—Avant She Past Away existait Psychoma, n’est-ce pas ? Qui en faisait partie et quel genre de musique jouiez-vous ?
—V : C’était un mélange entre électro et darkwave. Certaines chansons que j’ai écrites pour ce projet ont été incluses dans le premier album, avec des arrangements différents.
—Vous avez dit que vous étiez métalleux avant. Quel genre de métal écoutiez-vous ? Pensez-vous que cette musique est présente d’une certaine façon dans She Past Away ?
—V : J’ai commencé à écouter du heavy metal à l’âge de 14-15 ans. J’adorais aussi le doom et le death. On peut ressentir l’influence de l’attitude dépressive et mélancolique du doom metal dans le son de She Past Away.
—Comment ont été reçus vos premiers concerts à Istanbul ?
—V : On jouait pour une petite minorité. Si on a continué à jouer, ce n’est sûrement pas parce que les concerts fonctionnaient bien.
—Bien que vous viviez désormais à Barcelone, vous rendez-vous souvent à Istanbul ? Comment a évolué la scène goth là-bas (vous avez dit qu’elle était très petite) ? Les choses ont-elles changé avec la nouvelle situation politique ?
—V : Je me rends en Turquie une à deux fois par an. Je n’ai pas vraiment suivi les événements de près. Cependant, je peux vous assurer que notre musique est plus populaire qu’avant. Cette année on a joué au Fabrika Night (avec Selofan et Tango Mangalore) à Istanbul. Le public était assez nombreux.
—Au DarkMad, vous allez partager la scène de nombreux groupes d’EBM classiques. Le son de l’oldschool vous a-t-il influencé ?
—V : Bien sûr qu’on aime l’EBM oldschool. Front 242, Nitzer Ebb, etc. sont importants pour nous.
—Dernièrement, Selda Bağcan a commencé à être célèbre en Europe. Aimez-vous sa musique ? Elle était une artiste importante dans les années 70, non ?
—V : Oui, elle faisait partie des noms importants de la scène musicale des années 70. Franchement, je ne peux pas dire qu’elle nous ait influencés. On a toujours écouté des artistes comme Erkin Koray, Barış Manço et Kurtalan Ekspres.
—Quels sont vos poètes ou écrivains turcs préférés ?
—V : Tezer Özlü, Küçük İskender, İhsan Oktay Anar, Can Yücel, Sabahattin Ali, Nazım Hikmet. Ce sont les écrivains et les poètes qui me viennent à l’esprit.
—Vos paroles, qui peuvent être traduites sur votre Web, parlent de l’oppression religieuse. Ressentiez-vous cette oppression lorsque le groupe vivait en Turquie ?
—V : La Turquie est un pays prétendument laïque. Bien qu’en apparence, les pays gouvernés par les règles religieuses n’exercent pas de pression évidente, celle-ci est bien présente et est ancrée au plus profond de la société.
—Qu’est-ce qui vous intéresse tant dans la musique des années 80 ?
—V : Les années 80 ont été une révolution pour la musique. Dans la musique, je recherche en priorité tout ce qui a à voir avec les sentiments, le comportement, etc. Je n’ai jamais aimé la musique prog. Dans ce sens, la musique des années 80 exprime une grande liberté. On s’est toujours trouvé du côté froid, obscur et émouvant.
—Votre premier single, « Kasvetli Kutlama », a été publié par Remoov, un label turc. Était-ce difficile de créer et sortir ce single ?
—V : Remoov Records est un label fondé par Doruk. À l’époque, il s’agissait d’un projet qui visait à réunir des groupes alternatifs en Turquie. On en faisait partie. Ce n’était pas facile de trouver une compagnie qui aurait accepté de sortir un disque de musique dans un genre qui n’avait presque pas de public.
—Belirdi Gece est votre premier album. Certaines chansons ont été remastérisées pour une nouvelle édition. Qu’est-ce qui a changé par rapport à l’original ?
—Doruk : Les morceaux sont quasiment identiques, seuls quelques détails ont changé. En réalité, ce n’était pas nécessaire de remastériser les morceaux, mais j’y ai juste vu l’occasion parfaite de corriger quelques erreurs qui m’ont toujours dérangé.
—Quelle a été votre réaction quand vous avez vu que vos disques se vendaient dans le monde entier ?
—V : On a obtenu de meilleures réactions que ce à quoi on s’attendait. J’en ai été très heureux.
—Dans Narin Yalnizlik, votre second album, on retrouve une reprise de Kesmeşeker, et dans le premier, une de Replikas. Pourquoi avoir choisi ces chansons ? Avez-vous d’autres reprises prévues pour le futur ?
—V : C’était des groupes importants de la scène alternative de Turquie. On adorait leurs chansons. L’idée de les interpréter à notre manière nous semblait intéressante. Pour l’instant, nous n’avons pas prévu de faire de nouvelles versions.
—J’ai vu que vous êtes fan de Décima Víctima. Comment avez-vous découvert ce groupe espagnol et en quoi leur musique vous intéresse-t-elle ? Connaissez-vous d’autres groupes espagnols, comme Alphaville ou Parálisis Permanente ?
—Volkan : Oui, je connais beaucoup de groupes de la scène post-punk espagnole des années 80. Décima Víctima et Parálisis Permanente sont mes préférés. Tout particulièrement Décima Víctima. Leur dark wave a un super son. Ils me rappellent aussi les Cure, de l’époque de Faith. Ils sont uniques et très déprimants. Ils sont parfaits !
—Doruk a dit qu’il aimait l’Italo disco dans certaines de vos interviews. Que trouvez-vous d’intéressant dans cette musique ? Aimez-vous un artiste en particulier ?
—D : J’aime les rythmes, la basse et les séquences de synthé de cette musique. Ce sont des éléments qui peuvent inspirer les styles de musique plus sombres, même si l’Italo est très ringard. J’adore tout simplement ce truc des années 80.
—Dans le dernier album de 2019, Disko Anksiyete, les synthés sont plus présents. Avez-vous décidé ça à la volée, ou était-ce déjà prévu ?
—V : Le son de chaque album est déterminé par les interactions qu’on a eues avant de le sortir. Ces dernières années, on écoute principalement de la musique centrée sur les synthés. Ça se ressent sur le nouvel album.
—Dans cet album figure une chanson en espagnol, « La Maldad ». Comment le groupe a-t-il eu cette idée ? Aura-t-on droit à plus de chansons dans cette langue ?
—V : Le fait de vivre à Barcelone a eu un grand impact. En plus, il y a des groupes espagnols qui me plaisent, et c’est une langue que j’adore écouter. C’est quelque chose qu’on voulait faire depuis le deuxième album.
—Le groupe passe beaucoup de temps en tournée. Est-ce difficile d’avoir une vie « normale » quand on voyage autant ? Combien de concerts avez-vous donnés jusqu’à présent ?
—V : On essaie de vivre le plus normalement possible. Les choses sont un peu plus difficiles quand on se rend aux États-Unis, car on y passe beaucoup de temps. On fait des tournées un peu plus courtes en Europe, pour nous faciliter la vie. Je crois que l’année dernière, on a donné aux alentours de 50-60 concerts.
—Volkan, vous vivez encore à Barcelone, n’est-ce pas ? Quant à vous, Doruk, vous vivez à Athènes. Comment décririez-vous la scène gothique là-bas ?
—D : Je vis à Athènes depuis deux ans. Volkan vit toujours à Barcelone, et on travaille par Internet. La scène musicale d’Athènes est bonne en général. Ici, on trouve de bons clubs, et des festivals sympas sont organisés. Ça permet aux gens de voir leurs artistes préférés.
—Que pouvez-vous nous avancer sur votre concert au DarkMad ?
—V : On a toujours aimé jouer à Madrid. On adore la ville et la scène alternative est bonne. Ce sera une super expérience.