Il y a quelque chose de triste dans chaque fête : tous, nous avons un certain vide intérieur, alimenté par nos insécurités, qui peut atteindre son paroxysme alors que résonne la dernière chanson de la nuit. Le groupe français Trisomie 21 a su décrire comme personne ce sentiment et la nostalgie que l’on éprouve en pensant à ces moments uniques qui arrivent à leur fin ou qui ne se sont jamais produits. Leur tournée du 40e anniversaire passera par le W-Fest le 22 mai, où nous aurons la possibilité de les voir.
—Avez-vous eu des problèmes avec le nom du groupe ? Aujourd’hui, les gens ont tendance à se sentir vexés de tout. Pourquoi avoir choisi un tel nom ?
—Trisomie 21 c’est le choix de l’anormalité, puisque la norme, c’est ce monde chaotique dans lequel l’humain n’a plus son mot à dire. Le monde qui était devant nos yeux fin 70, début 80 s’écroulait, notre région de naissance (Denain 59220) était plongée dans un chaos économique et social, mais aussi culturel. L’idée vient de la constatation que les trisomiques sont des gens très sensibles et intuitifs, contrairement à beaucoup de gens dits « normaux ». Cette différence combinée au fait qu’ils puissent un jour la mettre au service de la musique et par conséquent créer un genre nouveau nous est apparue comme intéressante ; de plus nous souhaitions bousculer un peu les préjugés. Nous n’avons pas eu beaucoup de problèmes avec ce nom, les gens ont compris notre choix, le public est plus intelligent que certains ne le pensent.
—Vous dites que vous n’écoutez pas de musique, mais qu’elles étaient les influences du groupe au début ? Écoutiez-vous de la musique française ?
—Nous ne reconnaissons aucune influence, nous n’avons pas voulu nous assimiler à tel ou tel.
—Êtes-vous d’accord pour dire qu’il existe une certaine mélancolie dans vos chansons ? Est-ce un sentiment qui est fréquent dans votre vie ?
—Non nous ne sommes pas mélancoliques, au contraire, nous jouons avec les émotions, nous sommes tout au plus parfois nostalgique, nous sommes des survivants d’une guerre qui n’a pas eu lieu.
—Que pouvez-vous nous dire sur les débuts du groupe ? Vous dites que le groupe existait déjà en 1978.
—Au départ, il y a 2 frères qui décident de créer de la musique, pas de rejouer des standards, mais directement de s’exprimer à travers des instruments : guitare et batterie, nous sommes rejoints par des gars que cette idée un peu folle séduit.
—La première œuvre du groupe est le 12″ Le Repos des enfants heureux. Que pouvez-vous nous dire sur son enregistrement ? J’ai lu qu’après, vous avez signé assez rapidement chez Stechak, c’est exact ?
—Nous n’avons envoyé qu’une seule cassette audio, c’est au label Stechak et dès qu’ils l’ont reçue, ils nous ont proposé d’enregistrer, le label nous a réservé un studio à Paris. Nous avons su que le studio était notre univers.
—Passions divisées, le premier album du groupe comporte des morceaux instrumentaux (certains sont d’ailleurs devenus des classiques) : d’un côté, « La Fête Triste » qui est complètement instrumentale, d’un autre « Djakarta » et « Moving By you » (où seul le titre de la chanson est répété). Avez-vous déjà pensé à écrire des paroles pour ces chansons, où sont-elles nées instrumentales ?
—Non, elles ont été composées comme ça, nous considérons que la voix n’est pas indispensable, c’est un instrument comme les autres.
—La pochette de Chapter IV est une peinture de Goya. Pourquoi avoir sélectionné Saturne dévorant un de ses fils pour représenter l’album ? En outre, pourquoi l’avoir appelé Chapter IV alors qu’il s’agit de votre troisième publication ?
—Tous nous sommes dévorés par nos démons, non ? Chapter IV est bien le 4e opus après Le repos des enfants heureux, Passions divisées et Wait & Dance.
—Million Lights est considéré comme votre meilleur album. Qu’est-ce qui rend ce LP si spécial ?
—D’un point de vue musical, le pari complètement fou de cet album, c’est de supprimer la basse, alors que tous ne juraient que par cet instrument et comme nous étions en plus touchés par la main de Dieu, cela a donné cette galette.
—Existe-t-il une unité entre l’album Works, le single Works in Progress et l’EP Final work ?
— « Travail en cours », « travaux » et « travail final », il s’agit d’une progression dans l’esprit créatif, une volonté de ne pas se répéter. Nous souhaitions introduire des guitares saturées dans notre univers.
—Que pouvez-vous nous dire sur l’histoire de T21 Plays The Pictures 1989, un album presque instrumental qu’un studio de cinéma vous a demandé d’enregistrer et qui était aussi censé rester confidentiel ?
—La maison de disque nous a proposé de travailler sur de la musique pour des images, ce projet nous a plu, mais ils n’y ont pas cru eux-mêmes, ils ont pensé que peut-être un tirage limité correspondrait plus au projet. En réalité ils avaient peur d’un flop, ce fut une de nos meilleures ventes dès les pré-commandes.
—Dans l’album Distant Voices (1992), le groupe a collaboré avec Blaine Reininger. Comment avez-vous eu l’idée de cette collaboration ?
—Notre studio à Bruxelles était sous la salle de répétition de Tuxedomoon, c’est une rencontre, c’est aussi une prise de risque artistique comme on les aime.
—Gohohako (1997) est légèrement différent. Il est plus ambient, électronique, disons. Le groupe était-il plus intéressé par la musique électronique à l’époque ?
—Non, mais nous aimons les aventures sonores, les friches artistiques, explorer, surprendre, nous surprendre même.
—Pourquoi le groupe s’est-il séparé en 1997 ? Sur votre site, vous parlez de silence forcé. Était-ce dû à un contrat avec Pias qui vous obligeait à ne rien sortir ?
—C’est exact, un contrat et des problèmes, disons… relationnels.
—En rapport avec la question précédente, comment le groupe a-t-il décidé de faire son retour en 2004 ?
—Indochine nous a demandé de faire quelque chose pour eux, notre public nous a alors fait savoir qu’il voulait que l’on revienne aussi, on l’a fait.
—Happy Mystery Child est le nouvel album de 2004, après sept ans sans enregistrement. Que pensez-vous de cet album, quinze ans plus tard ?
—C’est un enregistrement, en état de grâce, c’est difficile à exprimer, tout fonctionnait dès les premières prises, les portes s’ouvraient, c’est un moment rare, exceptionnel. Cet album est une autre facette du groupe, plus pop, plus accessible peut-être.
—En 2004, nous avons eu deux albums de remix d’Happy Mystery Child, d’abord Remixes puis The Man is a Mix (contenant l’album principal et beaucoup plus de remix). Comment avez-vous eu l’idée de sortir un deuxième album de remix ? Deux ans plus tard, vous avez sorti un album de remix réalisés uniquement par Lady B et un autre album de remix appelé The Woman is a Mix. Comment avez-vous eu l’idée d’être remixés uniquement par des femmes ?
—Il y a eu Happy mystery child, puis Man is a mix puis Woman is a mix, une sorte de trilogies, puis des projets plus confidentiels, il faut toujours explorer, se mettre en danger, nous pensions n’intéresser que quelques DJ et finalement nous avons littéralement croulé sous les demandes, sans doute par ce qu’on leur demandait de s’accaparer les titres, d’être eux-mêmes. Les femmes dans la musique rock ont toujours été sous-représentées, malgré quelques icônes, nous voulions casser un peu les codes, nous sommes égalitaires.
—Comment avez-vous choisi les artistes qui ont remixé les chansons ? La liste est impressionnante : David Carretta, Psyche, The Horrorist, The Hacker, Electric Indigo, HAL 9000. En général, qu’attendez-vous d’un remix ?
—Nous avons contacté ceux qui nous semblaient les plus à même d’apporter quelque chose à notre univers, nous avons été assez éclectiques ; nous les remercions pour leur travail, ça été formidable, de Jack de Marseille à The Hacker, David Caretta, Psyche, je ne peux pas tous les citer sans oublier Gregg Anthe (Morthem Vlade Art) qui deviendra notre guitariste pour la tournée en cours.
—Black Label (2009) est un peu plus rock (en comparaison avec les autres albums). Le groupe écoutait-il plus de rock pendant cette période ou était-ce un accident ?
—Nous sommes quelquefois plus en colère et puis le rock c’est toujours ce qu’on a fait au final, sur nos toutes premières affiches nous mettions « Rock moderne », le rock c’est l’insoumission.
—Vous avez mis sept ans à enregistrer votre dernier album, Elegance Never Dies. Que s’est-il passé ?
—On était arrivé au bout de quelque chose, suite à une tournée, on s’est mis en sommeil. Nous considérons cet album comme un de nos meilleurs.
—Comment sera votre concert au W-Fest ? Fera-t-il partie de la tournée du 40e anniversaire ? Sera-t-il différent de ce que vous nous avez proposé en 2018 ?
—La tournée des 40 ans va s’étaler dans le temps, nous revenons au W-Fest avec un nouveau set incluant des titres très peu joués comme « Logical Animals ».