Une mauvaise expérience pendant une soirée à New York a donné naissance au morceau le plus célèbre d’Oliver Chesler, mieux connu sous le nom de The Horrorist. Sous ses nombreux alias, il est passé par les chemins les plus durs de la musique électronique, du happy hardcore et de la techno. Cette année, il a sorti un superbe disque d’EBM, Separate Dimension. On aura la possibilité de le voir au festival madrilène DarkMad le 25 octobre prochain. L’horreur est de se voir tel que l’on est vraiment.
—Vous apparaissez dans le documentaire 101 de Depeche Mode et vous avez aussi participé à la tournée, n’est-ce pas ? Comment était-ce ? On a interviewé Leæther Strip et le fait d’écouter Black Celebration pour la première fois a également été révélateur pour lui.
—C’était une expérience incroyable. Avant de gagner le concours pour apparaître dans le film, j’étais déjà complètement obsédé par Depeche Mode, donc je vous laisse imaginer. J’aimais déjà la musique avant d’écouter DM, j’écoutais surtout du rap et j’avais déjà quelques boîtes à rythmes. Quand j’ai atteint un certain âge et que je suis tombé amoureux pour la première fois, mes goûts musicaux ont commencé à changer. J’étais en train de conduire en voiture avec des amis, et l’un d’eux avait une plus jeune sœur. Elle avait laissé une cassette de Black Celebration dans la voiture et on l’a écoutée. Quand on est arrivés à destination, ma vie était complètement transformée.
—Que pourriez-vous nous dire de vos débuts ? Vous faisiez partie de Disintegrator en 1992, mais j’ai également lu que vous avez commencé à sortir des morceaux en 1989.
—Mon père était professeur à l’université de Fairleigh Dickinson. Autour de 1986, l’université a fermé son département de musique. Mon père a ramené plusieurs synthés à la maison. Certains étaient incroyables, comme un Electrocomp-101, Yamaha DX7 et un Roland SH3. En plus, il a également rapporté un enregistreur cassette Tascam à 4 pistes. Mon frère et moi, on passait notre temps dans le sous-sol et on enregistrait. Nos premières démos étaient extrêmement créatives, mais hilarantes tellement elles étaient horribles. Le meilleur morceau s’appelait « Wet & Shiny », enregistré en 1989. Il y a quelques années, DJ Hell en a sorti une version avec un kick, parfaite pour la piste de danse.
—Vous faisiez aussi partie de Koenig Cylinders et de Temper Tantrumm. Avec ces groupes, votre musique se rapproche de Gabber et de la techno hardcore. Quels sont vos souvenirs de cette époque ?
—À l’époque, quand tu allais en rave ou dans un club, les DJ jouaient de nombreux styles dans le même set. Ils passaient de la trance au hardcore, etc. J’adorais ça et heureusement, je ne me suis jamais limité à un genre. Je crois que ça a vraiment aidé ma carrière.
—DJ Skinhead était-il votre premier projet solo ? Vous avez sorti quelques singles (le premier était « Extreme Terror » en 1994) et l’année dernière, un album de remix.
—Il s’agissait d’un album conceptuel. C’était une idée de Lenny Dee. Au début, il y avait Lenny, moi et les gars de Disciples of Annihilation. Maintenant, à la fin de mon live, je joue souvent quelques-uns de ces morceaux. Récemment, j’ai enregistré un disque avec Kotzaak Klann (Miro Pajic) en tant que DJ Skinhead.
—”One Night in N.Y.C.” marque le tournant de votre carrière. Pouvez-vous m’expliquer comment vous avez eu l’idée de cette chanson ?
—J’ai écrit cette chanson et « Mission Ecstasy » dans le sous-sol de ma mère. J’ai été admis à l’hôpital, car j’avais fait une overdose d’ecstasy. Lorsque je suis rentré chez elle, où j’avais le studio, j’avais vraiment un sentiment d’urgence. Je pensais que jamais plus je ne pourrais retourner en discothèque. Je voulais donc enregistrer ce que j’avais vu là-bas. Avec un peu de matériel (Mackie 1604, Roland TR-909, Shure SM58, Yamaha FB01), j’ai enregistré « One Night in NYC ». En raison de sa géographie, NYC est un endroit très intéressant. Un mélange de gens vivant à Manhattan se rendait dans des discothèques comme le Limelight… des étudiants à l’université, des dealers, des modèles, des hommes d’affaires et de nombreux gamins du coin (le Bronx, Brooklyn) et, aussi de gamins « Bridge and Tunnel » (pont et tunnel) de New Jersey, comme on les appelait (car ils devaient traverser le pont pour arriver à Manhattan). C’était un mélange de dingue de gens qui voulaient s’amuser et chercher des problèmes. Souvent, on voyait des gosses qui n’avaient pas l’âge d’être là. La chanson représente ce que j’ai vu. Je ne comprends pas vraiment le scandale qui a eu lieu derrière, car ce n’est qu’une histoire. Personne ne pense que Martin Scorsese est un gangster. Il fait juste des films sur les gangsters. Je compose juste de la musique. J’ai probablement utilisé l’âge de 15 ans à cause de la chanson « Little 15 de Depeche Mode. Le “13th ave & 11th Street NYU dorms » (dortoirs de la 13 et de la 11 rue) vient du fait que j’avais une amie, Jenn qui y vivait. La ligne de basse et la façon dont je dis « F-eked her all night » viennent de mes influences EBM. Tous ces éléments composent la chanson. Bizarrement, même si ça peut être dur à imaginer pour certains, la chanson a été un succès, car les femmes l’aiment plus que les hommes. J’ai encore des pensées personnelles sur cette chanson et l’histoire n’est pas terminée, mais je me réserve pour un livre.
—La chanson a été interdite dans certains pays, non ? Est-ce que ça a du sens pour vous ?
—Non, l’art ne devrait jamais être banni. N’importe quelle société qui n’autorise pas la libre expression des idées en souffrira.
—Votre musique se base sur des faits réels. Ne trouvez-vous pas ça effrayant ?
—Rien n’est plus effrayant que l’esprit humain.
—Vos deux premiers albums, Manic Panic et Attack Decay, sont des genres de compilations de vos singles. Pensez-vous qu’il est plus facile d’être reconnu grâce à des albums plutôt qu’avec une carrière regorgeant d’incroyables singles ?
—Oui, je le crois. Je pense qu’il est important de montrer ses meilleures chansons régulièrement. Il faut mettre en lumière ce qui, selon toi, est ton meilleur travail.
—Vous avez collaboré quelques fois avec Miro Pajic. Comment l’avez-vous rencontré et qu’avez-vous en commun musicalement ?
—Miro est l’un de mes meilleurs amis. Une compagnie distributrice appelée PCD (qui faisait partie de Planet Core Producitons) me devait de l’argent. À l’époque, au milieu des années 90, quand tu sortais des disques, il fallait faire une copie test et l’envoyer aux distributeurs. Ensuite, on savait uniquement qu’ils étaient intéressés par fax ou un appel international. Planet Core Distribution était dirigé par Thorsten Lambert, Marc Acardipane et Miro. Because Things to Come Records (mon nouveau label de l’époque) correspondait à leur style alors ils m’ont aidé à vendre en Europe. Certains amis sont venus avec moi à un show à Amsterdam, puis on est allés à Francfort à PCD. J’ai rencontré Miro, et on est tout de suis devenus amis.
—En 2005, vous avez composé un morceau d’acid avec DJ Man At Arms. Connaissant votre amour pour certaines des machines utilisées dans ce genre, avez-vous déjà pensé à créer un LP uniquement d’acid ?
—Il y avait une discothèque appelée Mars à NYC. Je crois que j’y suis allé en 1990, mais je ne suis plus très sûr de l’année. Maintenant, elle a été remplacée par le Standard Hotel où ils organisent des fêtes de techno et de mode complètement dingues sur le toit-terrasse avec piscine. Le Mars avait plusieurs étages. Au rez-de-chaussée se trouvait une discothèque gay géniale. M’y rendre et monter au premier étage constituait déjà une expérience à part entière pour moi. L’un des étages s’appelait Astro Turf, car les plafonds, les murs et les sols étaient couverts d’herbe verte synthétique. Un DJ de Londres jouait de l’acid house toute la nuit. C’était la première fois que j’entendais ça et je suis tombé amoureux du son. Plus tard, la même semaine, dans les dortoirs de mon université, j’ai entendu le même son qui provenait de l’une des chambres. J’ai frappé à la porte, et c’était John Selway qui jouait. Il m’a montré sur quelle machine il composait ces sons desquels j’étais tombé amoureux. On est allés à l’appartement de Michael Alig, Keoki et Ernie Glam, car juste en face se trouvait le magasin Rogue Music. Rogue vendait de l’équipement de deuxième main. Avec Keoki, j’y ai acheté trois Roland TB-303, pour environ 200 $ chacun. J’ai tout un tas de morceaux d’acid que je n’ai jamais utilisés, et vous pouvez être sûrs que je les sortirai à un moment donné ou un autre !
—Comment avez-vous eu l’idée de composer un album « inspiré » de Joy Division (d’ailleurs, Joyless Pleasure était bien meilleur que ce fait New Order maintenant).
—Merci pour le compliment. Joyless Pleasure sera toujours un album très différent de ceux que j’ai écrits. Il est très autobiographique, car à ce moment, ma vie prenait un tournant horrible. Mon père, qui avait à la fois une incroyable bonne et mauvaise influence sur moi est mort et mon mariage prenait fin. On l’entend très bien dans les chansons.
—Cet album a été complètement remixé dans le Joyless Pleasure Remixed et beaucoup d’autres morceaux de The Horrorist ont été remixés également. Comment choisissez-vous les artistes que vous souhaitez remixer ? Lequel est votre préféré ?
—Je ne pourrais pas choisir. Quant au disque de remix, c’était un genre de… quiconque veut le faire peut essayer. Je me suis fait un grand nombre d’amis.
—Que pouvez-vous nous dire de Fire Funmania, sorti en 2013 ?
—Cet album est né d’une énorme frustration. J’étais nécessiteux dans tous les sens du terme. J’étais dans un modèle d’attente, j’étais stérile, je me maintenais vivant de jour en jour. Sans drogue, sans sexe, sans amour… rien. L’album m’a permis de purger tout ce qui se trouvait en moi.
—Vous avez connu un gros succès en Allemagne, et maintenant, vous vivez à Berlin ? Est-ce l’endroit idéal pour des artistes comme vous ?
—Berlin est la meilleure ville au monde pour le moment. Il est possible d’y vivre en tant qu’artiste. C’est un pays abordable et le gouvernement allemand nous aide vraiment. On est entourés d’une incroyable vie nocturne et d’autres artistes avec qui tu peux travailler et qui t’inspirent. Plus important encore, la ville a un parc paisible géant avec des arbres. On y trouve ce qu’on cherche.
—Comment voyez-vous l’EBM en 2019 ?
—La scène est plus importante que dans les années 80, c’est clair. J’adorerais écouter plus de nouvelle musique qui soit hallucinante. C’est très difficile de composer de la bonne EBM ou de la bonne musique industrielle. J’espère que les producteurs vont se retrousser les manches !
—Vous avez utilisé de l’équipement analogique pour enregistrer ce nouvel album. Maintenant que tout est possible si on utilise de l’équipement numérique, ne croyez-vous pas que c’est le moment de retourner à l’analogique ?
—Avec le matériel, on peut faire des choses originales. Les vieilles machines ont des problèmes de timing et grâce à ça, un sentiment émane du morceau. J’utilise une combinaison des deux.
—Vous avez dit que vous êtes fan de Lionel Ritchie et de Foreigner. Avez-vous déjà pensé à faire un remake de leurs chansons à la façon de The Horrorist ?
—Je dis toujours que je ne remixe pas ce qui est déjà incroyable, mais on ne sait jamais !
—Vous êtes le fondateur du label Things to Come Records, qui sort des disques depuis 2007. Comment les choses évoluent-elles, maintenant ? Le label distribue-t-il uniquement avec Bandcamp ? Quels sont vos disques préférés ?
—Je ne pourrais pas choisir de disque préféré, mais récemment, j’ai relancé le label avec un incroyable artiste, Romance Disaster (Aga Wilk). Beaucoup d’autres sont en route. Avec mon propre label, je peux sortir tout ce que je veux. Attendez-vous à de la musique magnifique, de la musique qui pourra vous offenser, l’étape suivante vers l’avenir.
—Que pouvons-nous attendre de votre concert au DarkMad ? Allez-vous jouer tout seul ?
—J’ai hâte de jouer aux côtés de certains mes artistes préférés. Je jouerai de nouveaux morceaux… j’ai également quelques tenues de prêtes !