L’année dernière, on avait déjà discuté avec Hélène de Thoury, mais à cette occasion, on s’était focalisé sur Minuit Machine, son projet avec Amandine Stioui. Aujourd’hui, c’est au tour de parler de sa chute et de son ascension dans une interview qui tente de compléter la précédente. N’oubliez pas : elle va nous émouvoir avec sa darkwave au DarkMad qui aura lieu les 15 et 16 d’octobre.
—Ta carrière musicale a commencé après ton déménagement à Londres. Es-tu allée au Royaume-Uni simplement parce que tu pensais qu’il était plus facile de faire de la musique et d’obtenir une certaine reconnaissance là-bas qu’en France ? Comment était ta vie « anglaise » ? Curieusement, on a un ami commun de cette époque.
—J’ai déménagé au Royaume-Uni parce que mon niveau d’anglais était nul et que je voulais apprendre la langue. J’étais aussi fatiguée de mon travail et j’ai pensé que c’était le moment idéal pour me lancer ! Une fois sur place, j’ai pensé que ce serait génial de trouver un groupe anglais avec qui jouer et j’ai mis une annonce en ligne. J’ai eu énormément de chance que Nathalie et Jake de Phosphor me répondent ! Pour moi, c’était le début d’une nouvelle vie, ça m’a ouvert tant de portes. J’ai aimé ma vie « anglaise ». Je travaillais comme testeuse de localisation dans une entreprise de jeux vidéo (où j’ai rencontré notre ami commun 😀, je répétais chaque semaine avec Phosphor, je donnais des concerts de temps en temps, et j’allais beaucoup au pub lol. Mais Londres est une ville immense, et il est très facile de se sentir seul et isolé.
—Que s’est-il passé avec Phosphor ? Le groupe s’est séparé en novembre 2013, juste six mois après la sortie de Youth and Immortality, leur seul album. Est-ce parce que tu as créé Minuit Machine ?
—Comme mes amis et ma famille me manquaient énormément quand j’étais à Londres, j’ai décidé de retourner à Paris début 2013. Cependant, on a quand même décidé de continuer le groupe. J’allais à Londres pour répéter avant de partir en tournée, c’était plutôt sympa. J’ai créé Minuit Machine pendant l’été de cette année pour avoir un autre projet à Paris. Mais quelques mois plus tard, Jake a annoncé qu’il voulait quitter Phosphor. On a décidé que sans lui, ce ne serait plus pareil, alors on s’est séparés.
—Et en 2014, tu as créé Hante. en tant que projet parallèle. As-tu déjà ressenti le besoin de jouer avec une autre personne ?
—J’ai pensé à plusieurs reprises à jouer avec quelqu’un sur scène, c’est difficile de ne pas pouvoir partager son expérience avec quelqu’un. Mais ce projet est tellement personnel que je n’ai jamais trouvé la bonne personne. En outre, pendant un certain temps, c’était plus pratique, financièrement parlant, d’être seule. Désormais, je peux avoir quelqu’un avec moi pour voyager, pour s’occuper du merch mais surtout quelqu’un avec qui partager ces folles aventures.
—Je voulais te poser une question sur ton premier album. La chute et l’ascension dont tu parles sont celles de quelqu’un en particulier ? Considères-tu cet album comme une histoire ?
—Je parle de moi ! De ma chute et de mon ascension. C’est ce que je ressens constamment, comme si je tombais, mais je trouve toujours la force de me relever. L’ensemble de l’album n’est pas une histoire, mais chaque morceau est une petite histoire en soi. Mes paroles sont généralement assez cinématographiques, surtout dans ce premier album.
—Tes paroles semblent très personnelles, proches et réelles. Tu as écrit sur un jour de novembre, je pense que la date n’est pas fortuite : quelque chose t’est vraiment arrivé un jour comme celui-là. Dans quelle mesure tes paroles sont-elles autobiographiques ?
—Je raconte des histoires, certaines se sont réellement produites, d’autres non, mais elles font toutes partie de mon fantasme. J’aime raconter des histoires qui m’ont émue. Beaucoup de chansons décrivent également métaphoriquement ce que je ressens. Je partage beaucoup de ma personne dans la musique et les paroles. Je suppose que la chanson dont tu parles est « This Morning of September ». En fait, j’ai eu l’idée des paroles en rentrant à Paris, après de belles vacances d’été. J’étais sur cette route droite bordée d’arbres, le genre de route où ce sont certainement produits des accidents mortels, et j’ai eu peur. D’un côté de la route, j’ai vu une fleur rouge. Et j’ai pensé que quelque chose s’était peut-être passé là-bas. La métaphore était si belle (malheureusement morbide, je l’admets) que j’ai ressenti le besoin d’écrire à ce sujet. Donc non, il ne s’est rien passé ce matin, mais c’est le genre d’histoires qui me viennent à l’esprit tout le temps.
—Dans ton EP suivant, on retrouve un morceau intitulé « Living in a French Movie ». Comme tu es française et connaissant ton amour pour le cinéma, dans quel film français aimerais-tu vivre ?
—Haha, en fait c’est tout le contraire. Je chante « Je ne veux pas vivre dans un film français » et « Rien ne va se passer, je ne supporte pas la réalité ». Je n’aime pas les films français, ils me semblent trop réels, trop proches de ma réalité. Quand je regarde un film, je veux rêver, je veux être ailleurs. Je viens de réaliser que mes films préférés ont des réalisateurs français, comme Le Grand Bleu de Luc Besson et Eternal Sunshine of The Spotless Mind de Michel Gondry, mais la production est américaine et même une partie de la distribution voire toute la distribution est américaine…
—Dans tous tes albums, on retrouve un équilibre entre les chansons en français et en anglais. Comment choisis-tu la langue de chaque chanson ? As-tu déjà changé la langue de l’une de tes chansons parce qu’elle comportait des mots que tu ne voulais pas utiliser ou dont tu n’aimais pas le son ?
—Je pense que c’est vraiment difficile d’écrire de bonnes paroles en français, et le résultat semble toujours un peu stupide. Je dirais que la plupart du temps, il est plus facile d’écrire et de chanter des paroles en anglais. Avec des idées simples, elles peuvent paraître très puissantes. De temps en temps, si j’ai une bonne idée, j’essaie d’écrire en français parce que ça fait partie de qui je suis et que ça devrait faire partie de Hante.
—Dans tes deux albums suivants, This Fog that Never Ends et Between Hope and Danger, tu continues à ouvrir ton âme au monde. Selon toi, lequel a été le plus difficile à composer / enregistrer ?
—Je ne suis pas sûre. Je ne me souviens pas avoir eu de difficultés pour leur composition. Mais j’ai composé Between Hope & Danger à un moment très particulier de ma vie, où tout changeait autour de moi. Il occupera donc toujours une place chère dans mon cœur.
—Dans Fierce, en général, tu sembles plus heureuse ou en paix avec toi-même. Vivais-tu une période plus agréable ? Est-il plus difficile d’écrire des paroles personnelles quand quelqu’un d’autre va les chanter ?
—Je ne sais pas, je pense que « Serre-moi Encore » et « Waiting For A Hurricane » sont deux de mes chansons les plus tristes. Peut-être que le mélange entre les émotions est plus équilibré ! De plus, comme tu l’as dit, j’ai beaucoup collaboré sur Fierce alors ça donne peut-être un sentiment différent à l’album. Je n’ai pas écrit les paroles des chansons où j’avais invité d’autres artistes. Je leur ai demandé de chanter et d’écrire sur mes compositions. Ça aurait été tellement bizarre de leur donner des paroles personnelles. Ces chansons sont leurs histoires, j’ai invité des artistes et amis que j’admire à partager leurs visions avec moi.
—Comme tu viens de le dire, Fierce comporte beaucoup de collaborations. Comment joues-tu ces chansons en live ? C’est toi qui chantes ?
—C’est simple, je ne joue pas ces chansons en live ! À part quand j’ai tourné avec Sólveig Matthildur l’année dernière, je l’ai invitée à chanter la chanson avec moi 😀 C’était vraiment sympa de pouvoir jouer cette chanson sur scène, car c’est l’une de mes préférées de Fierce !
—Je me souviens de cette tournée avec Sólveig Matthildur, qui n’est malheureusement pas venue à Madrid. Comment l’as-tu rencontrée et comment avez-vous eu l’idée de collaborer ?
—Je jouais en première partie de Kælan Mikla en septembre 2017 à Paris. Sólveig est venue me voir et m’a dit qu’elle adorait ma musique, ce à quoi j’ai répondu : « j’aime aussi la tienne » ! J’ai adoré ses deux projets, son projet solo et Kælan Mikla. Quand j’ai commencé à composer Fierce début 2018, je savais que je voulais faire des collaborations et j’ai tout de suite pensé à elle.
—Cette année, tu as sorti Fierce (Remixes & More) avec quelques remixes et quelques nouveaux morceaux. Que peux-tu nous dire à ce sujet ?
—J’ai eu l’idée de remixer « Respect ». Je ne sais pas ce qui se passe avec cette chanson, mais j’ai tellement eu du mal à la composer ! Il en existe environ 20 versions différentes. Les paroles sont très importantes pour moi, je voulais écrire une très bonne chanson, mais je n’étais jamais satisfaite. Et cette nouvelle version que j’essayais de créer s’est transformée en « In Raptures » haha. Et puis, j’ai écrit une autre version de « Respect » que j’ai adorée, et j’ai commencé à penser que ce serait une idée géniale d’être remixée par d’autres artistes. C’était comme le complément parfait de Fierce.
—Pour cet album, on est curieux de connaître ton choix pour deux artistes : on était censés voir Hørd à Prague, mais on n’a pas pu y aller à cause des restrictions imposées aux voyageurs espagnols. Et des amis nous ont recommandé la musique de Kontravoid. Pourquoi les avoir choisis pour les remix de ta musique ?
—J’ai joué plusieurs fois avec Sébastien / Hørd, on a commencé nos projets en même temps et j’ai toujours eu l’impression qu’il était ma version masculine en tant qu’artiste. J’adore sa musique et nos émotions semblent assez proches. Je ne comprends vraiment pas pourquoi il n’attire pas plus l’attention, si vous ne connaissez pas sa musique, allez l’écouter maintenant !
J’ai rencontré Cameron de Kontravoid la nuit où j’ai donné mon tout premier spectacle aux États-Unis en août 2018. Il jouait juste avant moi, alors j’écoutais sa musique tout en me préparant à monter sur scène et à vivre l’un de mes rêves absolus. De plus, la deuxième fois qu’on s’est vus, c’était une nuit où il a joué à Paris en première partie de Boy Harsher. Je l’ai tagué dans une story Instagram et après l’émission, il a répondu quelque chose comme « Je ne savais pas que tu étais là » et j’ai rencontré Boy Hasher grâce à lui. C’est ce qui m’a amenée à tourner avec eux en novembre 2019, un autre rêve devenu réalité. Bref, j’adore sa musique et je l’écoute beaucoup en voyage. C’est pour ça que je voulais l’inclure dans l’album Fierce Remixes & More lol.
—Tu vas jouer au Roadburn pour un public plus « rock ». Est-ce difficile de jouer pour un public qui pourrait ne pas être habitué à ton style de musique ?
—En fait, je pense qu’ils ont créé une scène plus spécialisée dans la musique électronique, donc je ne sais pas s’ils veulent attirer un autre type de public ou si le public y est super ouvert d’esprit et aime découvrir de nouvelles musiques. Peut-être les deux. Ce sera très intéressant de toute façon 😀
—Tu crées également les illustrations de certains de tes albums, n’est-ce pas ? Un artiste dans ce domaine qui t’a influencée ?
—J’ai créé toutes les illustrations d’albums sauf celle de Her Fall And Rise, mais je n’ai aucune référence pour être honnête… C’est un peu comme les chansons, j’essaie des trucs sur Photoshop avec des images et des textures que j’aime et ça devient mes pochettes lol.
—Dans notre interview avec Minuit Machine, on t’a posé une question sur Hante. Il est maintenant temps de te poser une question sur Minuit Machine. Vous allez sortir un nouvel EP, non ?
—Oui, on sort un nouvel EP le 16 octobre. Il s’appelle Don’t Run From The Fire. On est absolument ravies de le partager ! Parce qu’on adore ça bien sûr, mais aussi parce que ça fait du bien d’avoir des nouveautés en ces temps difficiles. En tant qu’artiste, sans tournée, on a un peu l’impression de disparaître…
—Au Garaje, on est de grands fans du label Unknown Pleasures et on sait que tu as chanté sur l’un de leurs disques, Damage by Kill Shelter. Comment est née cette collaboration ?
—Pete m’a envoyé un e-mail et j’ai vraiment aimé la chanson. J’ai eu quelques idées pour les paroles tout de suite alors j’ai dit oui et le tour était joué !
—Tu dis souvent que ton album préféré OK computer est ton album préféré. Aimes-tu les autres albums de Radiohead qui ont suivi ? Que penses-tu de la musique électronique de Thom York ?
—Pour être honnête, ils m’ont perdue juste après OK Computer. Je n’ai pas aimé les albums qui ont suivi, mais OK Computer est toujours l’un de mes albums préférés. J’aime quelques chansons du projet Thom Yorke, les plus émouvantes comme « Dawn Chorus » ou « Suspirium ». J’adore sa voix, elle me fait ressentir des émotions très profondes.
—Dans notre dernière interview, on a déjà parlé de ton label, Synth Religion. As-tu signé un nouveau groupe ? Je suppose que tu dois recevoir une quantité considérable de demandes.
—Depuis un certain temps, le label comporte uniquement Hante., Minuit Machine, Box and the Twins, Fragrance. et Marble Slave. Mais ça va bientôt changer, on serait ravis de sortir de nouveaux projets. Pour l’instant, rien n’est signé, mais on en parle avec les artistes qui nous intéressent. On reçoit beaucoup de démos oui et on n’a pas toujours le temps de répondre à toutes les demandes. On s’en excuse… Mais les gens peuvent bien sûr continuer à nous envoyer leur musique 🙂 Cette année a un peu changé notre perspective. On a compris qu’on devait se concentrer davantage sur le label.
—On voulait te parler de l’un des groupes du label : tu as fait une tournée avec Box and the Twins et sorti leurs albums, le dernier d’entre eux, l’année dernière. Que peux-tu nous en dire ?
—Ils sont extraordinaires. Ils sont gentils, super talentueux, on ne peut pas souhaiter de meilleurs amis. Je les considère comme ma famille, j’aimerais qu’ils vivent dans la même ville. On a vécu tellement d’aventures folles ensemble. Quand on a tourné aux États-Unis, ça a été deux des meilleures semaines de ma vie. On s’est rencontrés lors de notre première tournée européenne avec Phosphor en 2013. Mike s’occupait de la promo et on a dormi chez eux. Ils sont à nos côtés depuis le début, ils ont été témoins de tout. Quand j’ai entendu leur musique, j’arrivais pas à croire à quel point elle était géniale et tellement émouvante ! Dès qu’on a pu voyager après le confinement, mon premier réflexe a été d’aller les voir à Cologne 😀
—Comment la pandémie a-t-elle affecté ta carrière ? Je sais que beaucoup de concerts ont été annulés.
—C’est difficile. Et ça l’est toujours. Beaucoup de déceptions et de frustrations. L’année dernière a été une année formidable pour moi, j’ai beaucoup tourné, j’avais l’impression de commencer un nouveau chapitre de ma carrière musicale cette année et bim, tout s’est arrêté. Financièrement, c’est compliqué, car je ne vis que de la musique. Comme beaucoup d’entre nous, j’attends juste, j’essaie de me concentrer sur la musique, sur la promotion, le label. On n’a aucune perspective, on attend juste que quelqu’un nous dise que c’est fini. Reviendra-t-on à la normale après tout ça ? Aucune idée.
—Que peux-tu nous dire de ton futur concert à DarkMad ?
—J’AI TROP HÂTE D’Y ÊTRE ! J’apprécierai chaque minute. J’espère que vous aussi 😀