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Interview : Front 242

par François Zappa

Si on joue aux associations d’idées, dans 90 % des cas, en entendant EBM, c’est Front 242 qui nous viendra à l’esprit. Le groupe belge, formé en 1981, a défini le genre grâce à une série imbattable de disques qui commence dès 1982, avec Geography. Pour cette interview, nous avons compté sur l’aide d’un fan authentique du groupe, Karl von Schlagend, qui a préparé la moitié de l’interrogatoire auquel Richard 23 a répondu sans se départir de son sourire une seule seconde. Front 242 jouera au Sinner’s Day Special le 25 août dans le cadre de leur tournée Black to Square One. Écoutez le rythme du temps.

—Karl von Schlagend : D’après la biographie du groupe, tu es devenu membre en 1983, après le départ du cofondateur Dirk Bergen, qui est devenu le manager du groupe (l’est-il toujours ?) J’ai aussi lu que tu aidais le groupe pendant les concerts. Comment te rappelles-tu cette période, quels étaient tes devoirs ? Quel a été le premier concert de Front 242 auquel tu as assisté avant de devenir membre du groupe à part entière, et qu’a provoqué la musique en toi ? Quel a été ton premier concert ? Comment as-tu rencontré Patrick et Daniel ? Dans la boutique de musique Hill’s Music, ou en sortant à Bruxelles ?

—J’ai rejoint Front 242 plus ou moins en 1983, oui. Je les aidais déjà en live. Je préparais le matos sur scène, je m’occupais un peu des lumières et des projections. J’avais déjà fait des voix sur le single « U-Men », car Jean-Luc me l’avait demandé. On se connaissait d’avant, on venait du même quartier de Bruxelles, et on faisait tous les deux de la musique électronique. Ensuite, j’ai bien sûr rejoint le groupe, avant qu’on ne fasse Endless Riddance. Mon premier concert dans une grande salle a eu lieu à Amsterdam. Bon sang, comment s’appelle cet endroit maintenant ? Paradisio ! Une radio organisait le festival, donc le public était déjà nombreux. Dirk faisait encore partie du groupe. On a donné trois concerts avec Dirk et moi, puis, bien sûr, Dirk est parti. Il ne se sentait plus vraiment dans l’esprit du groupe. Il n’était pas vraiment le manager, mais plus le comptable pendant quelques mois, mais ensuite, il est parti. C’est le meilleur ami de Daniel. Ils jouent tous les deux dans Nothing But Noise. Et voilà comment j’ai commencé.

—Karl von Schlagend : As-tu participé à l’enregistrement de Endless Riddance (1983) ou as-tu commencé plus tard, en 1984, avec No Comment ?

—Oui, on peut entendre ma voix dans « Take One ». Jean-Luc s’est chargé de « Controversity Between » sur l’autre face.

—El Garaje : Dans No Comment, le groupe fait la première référence à l’EBM dans la phrase « Electronic Body Music Composed on 8-track by Front 242 ». Qui a eu l’idée de ce concept ? De quelle façon a évolué l’EBM avec le temps ?

—Pour être honnête, je ne suis pas certain si j’ai eu cette idée, ou bien si c’était Patrick, mais c’était comme une sorte de conscience. Les journalistes parlaient de nous d’une façon qui ne nous convenait pas. Ils utilisaient des mots pour nous décrire qu’on n’aimait pas. On ne rentrait dans aucune des catégories desquelles ils parlaient. Du coup, on a pensé que ce serait une bonne idée de dire ce qu’on faisait vraiment. L’expression EBM est arrivée naturellement. On pensait que nos lives étaient plus physiques et parlaient plus au corps que ce que faisaient la plupart des groupes de musique électronique de l’époque. Ça nous a semblé naturel d’incorporer « corps » au terme « musique électronique », mais je ne me souviens plus qui de nous a inventé le terme final.

—Karl von Schlagend : Au début de Front 242, le groupe est passé d’un label à l’autre : 1981 chez New Dance, 1983 chez Mask Music et Himalaya, et vous avez aussi signé chez Wax Trax!. 1984 chez Another Side, 1985 chez RRE et Animalized. Vous avez terminé chez Epic, mais vous n’en avez pas été très contents, d’après ce que Patrick en a dit. Aujourd’hui, le groupe est chez Alfa Matrix. Dans d’autres interviews, vous avez dit que le groupe n’avait pas eu de soutien, même pas de la part de l’industrie musicale belge. Quelles conclusions tires-tu de cette période, du travail du groupe avec ces labels, RRE, et de la période américaine ?

—Vous confondez parfois labels, distribution, marketing et licence. Le premier label était effectivement New Dance, qui a produit les deux premiers singles et le premier album Geography. C’était un très petit label indépendant de Bruxelles, dont un seul gars s’occupait. Ensuite, on a décidé de produire la musique nous-même, car on avait notre propre studio, on faisait nos propres illustrations, pochettes, etc. On n’avait donc pas besoin d’un véritable label, et c’est là qu’est né Mask. Mask était notre label et on cherchait une entreprise de distribution. Himalaya a été la première, puis on a eu une licence pour l’Amérique avec Wax Trax! Plus tard, on a signé un contrat artistique avec Red Rhino Europe, un label créé juste pour nous par Play It Again Sam. Wax Trax! s’occupait de la distribution aux États-Unis et Animalized en Allemagne. Ensuite, on a quitté Wax Trax!, on a signé pour la distribution aux États-Unis avec Epic Sonic. En gros, on a eu deux labels importants, notre label Mask Records et Red Rhino Europa, ainsi que la grosse licence Wax Trax! qui nous a rendus célèbres aux États-Unis. Alfa Matrix n’est pas notre label, mais s’occupe de la distribution et du marketing, car on produit tout nous-mêmes. Du moins, quand on fait quelque chose… ça fait un moment.

—Karl von Schlagend : Nous savons que toi et Patrick (je suppose que Jean-Luc est plus timide), vous aimez vous mêler au public, pendant les concerts ou après. Je suppose que le côté humain représente une part importante de la tournée, non ?

—D’habitude, c’est plus Patrick et moi qui allons rencontrer nos fans. On aime les gens, ce n’est pas une obligation, mais c’est sympa. Parfois, c’est un peu lourd, parce que t’as envie de boire un verre avec des amis, et au final, des gens viennent pour faire une photo, avoir un autographe, mais bon, c’est pas grave. Sans notre public, notre histoire n’aurait jamais eu lieu. Si je veux être tranquille, je reste en backstage puis je rentre à l’hôtel. Cependant, c’est important de rencontrer les gens et de les écouter. D’être avec eux, car sans eux, tout ça ne serait pas possible. Sans le public, les groupes n’existeraient pas. On peut toujours faire de la musique chez soi, mais jamais vous n’aurez la possibilité de jouer votre musique et de partir en tournée. C’est important de rester en contact avec les gens.

—Karl von Schlagend : Front 242 adore jouer en Espagne. Qu’apprécies-tu de ce pays, et comment décrirais-tu le public en comparaison de celui des autres pays? Le groupe joue à Madrid depuis 1984, ça représente un sacré tas de concerts. Une anecdote positive ou négative que tu aimerais partager avec nous ?

Oui, on adore jouer en Espagne, c’est vrai. Depuis très longtemps, une forte connexion existe entre l’Espagne et la Belgique. On a eu une reine espagnole, il y a longtemps. On aime le pays, et avant de parler du public : j’allais en vacances en Espagne avec mes parents lorsque j’avais 12 ans. La grosse connexion entre les deux pays, c’est la fête. On aime faire la fête. Les Belges adorent aller en Espagne en vacances, car le soleil nous manque. Les Espagnols ont quant à eux une forte connexion avec la musique électronique, je ne sais pas trop pourquoi. C’est un bon marché pour nous. Il existe aussi une forte connexion entre le public espagnol et le groupe, chaque fois qu’on joue c’est fantastique. Je me souviens que le tout premier concert qu’on a donné à Madrid a eu lieu dans un club appelé Oh Madrid. Je ne sais pas s’il existe encore aujourd’hui. Je crois que c’était l’un des premiers à passer de la musique électronique, de l’EBM, de la house, de la techno, etc. C’était toujours très intense. C’était bizarre, car le club se trouvait près d’une autoroute. Les gens dansaient sur de la musique électro sur le toit ou la terrasse, et à côté de ça, il y avait des voitures qui filaient à toute vitesse, car les gens conduisaient très vite à l’époque. C’est toujours un véritable plaisir pour nous de jouer à Madrid, mais pas uniquement, bien sûr.

—Karl von Schlagend : Dans une interview à Budapest, tu expliquais que chaque samedi après-midi, tu écoutais la radio nationale belge, car elle diffusait un programme de cinq heures avec de la musique des années 70 à maintenant. Quels nouveaux groupes as-tu découverts et que tu souhaiterais nous recommander ? Quel genre de musique écoutes-tu ?

J’écoute toujours beaucoup la radio, même si c’est difficile d’avoir de bons programmes de nos jours. J’aime la radio car ils passent toute sorte de musique de différentes époques, différents genres. J’aime ça, c’est rafraîchissant. Je n’aime pas écouter un seul genre de musique. Vous savez, je ne me lève pas le matin en écoutant de la musique industrielle, j’aime tous les genres. J’écoute encore pas mal de groupes comme les Chemical Brothers. J’ai acheté le dernier album et je pense que c’est un bon album. J’aime bien aussi Camera, ils ont commencé il y a quelques années. Ils jouent un nouveau genre de krautrock, la musique des années 60-70 originaire de Dusseldorf, mais ils viennent de Berlin. C’est très intéressant, je les ai vus en live, et j’en ai pris plein la vue. C’était incroyable, hypnotique et puissant. J’aime aussi Youth Code, de Los Angeles. J’adore l’énergie du groupe, de Sara… on est devenus amis car on a tourné avec eux aux États-Unis. Ce sont vraiment des gens biens, et ils ont produit quelque chose de très original. L’énergie de Sara, la chanteuse, est tout bonnement incroyable. Je les adore, je ne me lève pas au milieu de la nuit pour écouter Youth Code sur ma chaîne hi-fi, mais je les adore. J’ai aussi découvert récemment un gars qui apparemment est originaire de Bruxelles et se fait appeler Cabaret Nocturne. Je l’ai découvert alors qu’il avait 5 millions de vues sur YouTube, et si je comprends bien, il n’a pas sorti d’album encore. C’est bizarre, car son travail est très bien produit. J’en ai parlé à Patrick récemment, et il se pourrait qu’on lui demande de faire une tournée avec nous. Ce n’est qu’une idée pour le moment. Je ne lui ai pas parlé et je ne le connais pas, j’ai juste découvert qu’il était de Bruxelles. J’ai également découvert Lusine, c’est un projet de musique électronique très intéressant. J’aime la façon dont il fait les voix. C’est très différent, vous devriez l’écouter. Pour être honnête, j’achète un tas de vieux vinyles des 70 de toute sorte: funk, disco, etc.

El Garaje : Selon toi, quels éléments rendent l’album Front by Front si extraordinaire ? Est-il vrai que la vidéo d’Anton Corbijn présente des gens avec des œufs sur la tête car il a compris «Egghunter» au lieu de «Headhunter» ? 

—Aucune idée, je suppose que c’est à ce moment-là que le groupe est devenu vraiment mature en termes de production et de son, on savait ce qu’on faisait, et, bien sûr, «Headhunter» est devenu un hit industriel. C’est probablement l’un des albums sur lesquels on a le plus travaillé car les quatre membres du groupe étaient tous musiciens à plein temps. On avait beaucoup plus de temps et on ne se consacrait qu’à ça. Ensuite, les machines étaient plus efficaces et on a enfin eu la possibilité d’utiliser une machine à sampler. Je pense que tous ces éléments font que Front by Front est un très bon album.

On ne saura jamais s’il a compris «egghunter» au lieu de «headhunter», c’est devenu une blague. Quelqu’un a eu cette idée stupide. Je ne sais pas, vous devriez demander à Anton. On a pensé que ce serait drôle d’injecter une dose d’humour à Front 242 qui avait toujours été si sérieux.

—Karl von Schlagend : Lors des derniers concerts du groupe à Leipzig et à Prague, Daniel Bressanutti n’a pas joué avec vous. Nous savons qu’il est le membre le plus âgé du groupe, et les longues tournées peuvent être épuisantes. N’est-il pas une partie importante du show? Lorsqu’il ne joue pas, qui le remplace ?

Daniel a arrêté, c’est tout. Je suppose qu’il était fatigué. C’est le membre du groupe le plus âgé, il a presque 66 ans et je pense qu’il avait tout simplement besoin de prendre soin de lui, de se détendre et de se consacrer à ses propres projets. Techniquement, il fait toujours partie du groupe, mais il ne partira plus en tournée. Depuis qu’il a arrêté, je crois qu’il se sent mieux. Comme je vous l’ai dit, il a un projet, Nothing But Noise, avec Dirk et d’autres. On a dû le remplacer car Daniel était le membre du groupe derrière la table de mixage. Son remplaçant est en fait un gars qui s’occupait de gérer tous les aspects de la scène depuis 15 ans. Pour nous, c’était plus simple de faire ça et de trouver quelqu’un d’autre pour faire son travail. C’est comme ça, vous savez. Les gens arrêtent, et un jour, ce sera notre tour, mais pas pour tout de suite, car on a beaucoup de concerts de prévus cette année et l’année prochaine. On a beaucoup d’obligations, et j’espère qu’on pourra continuer jusqu’à la fin de ces concerts.

El Garaje : Tyranny (For You) est le premier album «politique». Quelques jours après sa sortie, la guerre du Golfe a éclaté. Le groupe était-il influencé par ce qui avait lieu dans le monde lors de la composition de l’album ?

—Rien dans les paroles n’est politique. Bon, vous devez comprendre que la guerre du Golfe a commencé et, bien sûr, on a été influencés, car on est toujours influencés par les médias et ce qui se passe dans le monde. Je peux vous dire que No Comment a été influencé par la Guerre froide entre l’Est et l’Ouest, mais ce n’étaient que des inspirations. On n’a jamais fait de déclaration spécifique, on ne s’est jamais placés à droite ou à gauche, même si certaines personnes ont essayé de le faire pour nous. Les quatre membres du groupe ont des points de vue politiques différents, ce serait très difficile pour nous de faire des déclarations politiques. On a été influencés par les médias, les infos, ce qui se passait dans le monde. On injectait ça dans les paroles, mais ce n’était pas vraiment une déclaration politique. Dans Tyranny (For you), on parlait de la tyrannie qu’on pensait imposer aux gens. Une tyrannie est comme une dictature pour laquelle les gens votent. C’est la différence avec la dictature, où le dictateur s’empare lui-même du pouvoir. On a senti qu’on était élu par notre audience, et qu’on imposait la musique qu’on faisait. C’est de là que vient le titre.

—Karl von Schlagend : Le groupe a des valeurs et des principes très forts, ce qui a été prouvé par le fait que Front 242 a refusé de jouer et refuse toujours de jouer pour des événements belges importants, car ils sont associés à des personnes, collectifs ou partis politiques que le groupe méprise. Que pouvez-vous nous en dire ?

—Comme je vous l’ai dit, jouer pour un parti serait impossible pour nous, vu qu’on ne veut supporter aucun parti politique. J’ai mon point de vue, Daniel a son point de vue, tout comme Patrick et Jean-Luc, donc on refuse de faire ça. On refuse principalement de jouer dans de gros festivals car de grosses entreprises, comme Live Nation, les possèdent, et on refuse de participer à ça. Live Nation est une grosse industrie qui tue tout le monde. Ils achètent tous les festivals, les salles, les agences, la publicité, ils vendent les tickets, etc. un peu comme Microsoft avec les ordinateurs. On ne veut pas faire partie de ça. On veut continuer à travailler avec des gens qui essaient de faire leur propre truc, être indépendant. C’est pourquoi on joue principalement dans de petits festivals. Quand on joue dans de petits festivals comme le Wave Gotik Treffen en Allemagne ou au W-Fest en Belgique, on est sûrs que ces gens sont indépendants. On ne veut pas faire partie d’un jeu. Il faut savoir que Live Nation soutenait George Bush en Amérique pendant la campagne. On joue dans de petits endroits, mais avec des gens sympas.

—El Garaje : Pour 06:21:03:11 Up Evil, le groupe a travaillé avec Andy Wallace au mix et Craig Leon à l’enregistrement des voix. Ce sont deux choix étranges, surtout le premier. Le label était-il à l’origine de ce choix ? C’était comme de travailler avec Craig Leon, aimais-tu ses albums ?

—Je considère qu’Andy Wallace a été l’erreur la plus grosse qu’on ait commise, ce mec coûte une fortune. C’était une idée de notre manager américain. Je pense qu’il a fait un très bon boulot avec Nirvana et d’autres personnes avec qui il a travaillé, mais ce n’était pas une bonne idée de faire appel à lui pour mixer Front 242. Pour être honnête, il n’a pas fait grand-chose, et a pris beaucoup d’argent. Tout ce qu’il a fait, c’était boire du café devant la table de mixage. C’était une erreur, il ne nous a rien apporté, selon moi. Par contre, c’était intéressant de travailler avec Craig Leon, c’était la première fois qu’on travaillait avec un coach pour les voix. On a aussi travaillé avec sa femme, ce sont des gens supers, et on a adoré faire ça avec eux. C’était une expérience incroyable. On a fait appel à Craig principalement en raison de son travail avec Suicide. On est tous de grands fans de Suicide. Il était cool, et chaque instruction que nous donnait sa femme était précise et intéressante. Beaucoup plus intéressante que celles d’Andy Wallace.

—El Garaje : Comment le groupe a-t-il eu l’idée de sortir 05:22:09:12 Off, un genre de suite du précédent, mais aussi l’un des albums les plus expérimentaux de Front 242 ? Qui chantait les voix féminines sur l’album ?

Fuck Up Evil et Evil Off étaient censés être un double album mais, encore une fois, la maison de disque a pensé que ce serait une meilleure idée d’un point de vue commercial de sortir deux albums, pour l’argent. À cause du contrat, on n’a rien pu faire d’autre, donc on a sorti les albums séparément. C’est 99 Kowalski qui fait les voix. Elle chantait dans un groupe new-yorkais appelé Spill, et Daniel et Patrick faisaient leur production. C’était une mauvaise période pour nous. Jean-Luc et moi, on n’était pas d’accord sur la direction qu’était en train de prendre le groupe. Ces deux albums, c’était vraiment une mauvaise période pour nous. On était vraiment sous pression de devoir tourner aux États-Unis, c’est l’une des raisons pour lesquelles on a arrêté fin 1993. Pendant 4 ans, le groupe a arrêté de travailler ensemble, on ne s’entendait plus très bien, et c’était mieux d’arrêter tout le processus.

Karl von Schlagend : Tu dis toujours que le live de Front 242 est très énergique et qu’une importante part de cette énergie dépend de vous, étant donné que Jean-Luc a un style plus «calme». Avez-vous peur de ne pas pouvoir conserver ce rythme frénétique sur scène (Moldavia, par exemple, requiert d’être en forme) ? Faites-vous du sport ? Vous aimez la plongée sous-marine, non ?

—Est-ce que vous avez récemment vu Iggy Pop en live ? Il a 72 ans. Si je pouvais signer quelque part pour être comme il est à 72 ans, je le ferais de suite. Je n’ai pas peur, si le moment vient où nous n’avons plus la même énergie en live, on arrêtera. J’irai chez moi, et j’écouterai mes disques de soul. Je fais de la plongée, oui, mais ce n’est pas le genre de sport qu’on fait aussi souvent qu’on le souhaiterait en Belgique, il fait trop froid. D’ailleurs, je vais faire de la plongée à l’Estartit en juillet, car mon instructeur y travaille depuis quelques années. Je peux faire de la plongée et du vélo, mais je ne peux plus jouer au foot à cause de mes genoux. Mais oui, on essaie de rester en forme. On ne boit pas trop, on ne prend pas trop de drogue, on essaie de manger sainement.

—El Garaje : Pourquoi avoir sorti une version plus courte de Pulse, appelée Filtered Pulse ?

Facile. C’était un CD, on devait le mettre sur album, et il n’y a pas la place pour une heure et quart sur un album. On a dû faire une sélection, comme un filtre, et décider ce qui allait se trouver sur la version finale.

—El Garaje : Patrick a parfois dit qu’aucun d’entre vous n’était un vrai musicien. Pensez-vous que la musique électronique a adopté l’idée du punk, selon laquelle tout le monde peut jouer, et l’a fait passer au niveau supérieur ? En même temps, ne croyez-vous pas que ça puisse limiter les musiciens ?

—Le seul vrai musicien est Jean-Luc, le chanteur. Il a étudié un peu la musique, il jouait du violon mais ne l’a jamais utilisé. Pourtant, c’est le seul qui ne participe pas à la composition de la musique. On a repris l’énergie du punk, c’est clair. L’énergie de la scène punk était très importante pour nous, tout comme le DIY. Pour les punks, il suffit de prendre une guitare et de dire : «je peux le faire, même si je ne suis pas musicien». On avait la même attitude avec les premiers synthés qu’on utilisait. Vous savez, nous aussi, on pouvait le faire. Cependant, lire les manuels était difficile pour nous. On essayait de trouver comment faire fonctionner les machines sans les lire, et c’était vraiment bien. On n’avait aucune règle, on ne suivait pas les règles de musiciens et ça nous a donné l’opportunité d’expérimenter. Quand on est musicien, on doit suivre des règles et parfois, on est bloqué par ces règles. Ce n’était pas le cas pour nous. Pour moi, c’était un point positif de ne pas être musicien si on faisait de la musique électronique.

—El Garaje : En 2007, tu t’es présenté comme candidat aux élections générales du parti Ecolo. Comment as-tu commencé ta carrière politique ? Penses-tu que faire partie de Front 242 aurait pu te faciliter les choses, ou les rendre plus difficiles ?

—La première fois que je me suis présenté pour le parti Ecolo, c’était en 94, pour les élections locales. Ils m’ont demandé de me présenter après m’avoir vu me plaindre à la télévision locale de trucs qui se passaient dans le voisinage. Ils m’ont dit qu’ils avaient besoin de gens comme moi, et je les ai rejoints. Mais à l’époque, avec quatre gosses, le groupe et la famille, c’était impossible. Ensuite, je me suis présenté comme candidat, il y a 13 ans, c’était quand ça ? Oh, bon sang, 2007 ! En fait, j’ai demandé car je connais l’une des ministres d’Ecolo depuis longtemps, elle était ministre de l’environnement et une vieille amie à moi.

Après avoir été dans le sud-est de l’Espagne avec Patrick pour un DJ set, où il était censé faire chaud et ensoleillé et froid et pluvieux en Belgique, eh bien, il faisait super froid. Je crois qu’on devait aller à Grenade, il faisait un froid de canard, on se les gelait. Ma sœur m’a appelé pour me dire qu’il faisait plus de 30 degrés à Bruxelles et que le soleil brillait. J’étais dans l’avion, et j’ai dit à Patrick : «rien ne va plus». J’ai voulu me joindre à eux et les aider, car on voulait que les verts fassent partie du gouvernement. J’ai travaillé énormément pendant trois mois, je devais voir beaucoup de gens… J’ai obtenu un bon résultat, mais ce n’était pas pour moi, vous savez. Je voulais les aider mais par être élu. Je n’ai pas été élu, et c’était bien mieux comme ça.

—Karl von Schlagend : Bien que tu préfères vivre dans le présent, où vois-tu Front 242 en 2030 ? Selon toi, jusqu’en quelle année le groupe sera capable de continuer (peut-être 2042) ? Le groupe a encore beaucoup de fans.

—Je ne sais pas où sera Front 242 en 2030, c’est dans dix ans. Si on continue comme ça 3 ou 4 ans, honnêtement, on en sera contents. Dans dix ans, Patrick et Jean-Luc auront 70 ans, ils seront aussi vieux qu’Iggy Pop aujourd’hui, donc on verra.

El Garaje : Tu fais aussi partie des Revolting Cocks, c’était comment de travailler avec Jourgensen? Que peux-tu nous dire de la tournée où vous avez joué les chansons de Big Sexy Land, le premier album du groupe ? Avez-vous prévu de sortir un autre album ?

—Le premier album était génial, ensuite, c’est devenu un cauchemar. Big Sexy Land est, en fait, le seul album que j’ai fait, ensuite j’ai quitté le groupe car j’avais des problèmes avec Al Jourgensen. On ne s’est pas reparlé depuis, et je ne veux pas. On s’est bien amusés, car on ne savait pas ce qu’on faisait, on était juste trois gars dans un studio avec de grosses machines, et on savait à peine les utiliser. On faisait n’importe quoi, et ça s’est traduit en un album intéressant. Un nouvel album ? Je ne crois pas, peut-être des concerts l’année prochaine, mais on verra. Je me concentre sur Front 242, ça me prend beaucoup de temps et de travail.

—El Garaje : Tu es graphic designer et tu as travaillé sur le concept du groupe. Quelles étaient tes influences ? J’ai lu que le groupe était intéressé par le constructivisme russe et le futurisme italien, non ?

Non, je ne suis pas graphic designer, par contre, Patrick et Daniel, oui. On a travaillé dur sur le concept et l’imaginaire du groupe. J’ai appris un tas de trucs sur le graphic design grâce à Patrick et à Daniel. On s’intéressait au constructivisme russe et au futurisme italien, mais pas que. On était intéressés par les formes plus que par le contenu. On s’inspire de films, parfois les films pourris seront plus intéressants à cause de leur bande-son. On s’intéresse aux films, à l’architecture, ainsi qu’à tout ce qui est digne d’intérêt en dehors de la musique.

—El Garaje : Avez-vous prévu de sortir un nouvel album ? Ça fait 17 ans que le groupe n’a pas sorti de matériel original.

Joker ?

—El Garaje : Que peut-on attendre du concert de Front 242 au Sinner’s Day Special ?

—La tournée s’appelle Black to Square One, et c’est un tout nouveau show. Je ne peux pas vraiment en dire plus pour le moment, mais c’est tout nouveau, beaucoup de fans seront contents du contenu et de la présentation. C’est pourquoi elle s’appelle ainsi. D’ailleurs, on jouera en Espagne, à Madrid et à Barcelone.

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