Bien que nous aimions l’obscurité, nous aimons aussi la lumière d’ULTRA SUNN, la nouvelle révélation belge de l’EBM/synthpop qui a prouvé que la nuit est la leur lors de leur incroyable concert à l’Ombra Festival. Le jeune duo n’a eu besoin que de deux EPs pour électriser nos corps avec leurs hymnes uniques à la nuit. Ils jouent à Madrid jeudi prochain au Specka club avec Dead Violets Night et Nöle. Ce sera, sans aucun doute, une nuit inoubliable.
Photos: Kris Parenti
—Sam, tu es dans la musique depuis longtemps. Tu peux nous en dire un peu plus ?
—J’ai commencé ma carrière de musicien à l’âge de 15 ans. À 18 ans, j’ai commencé à jouer dans des groupes de rock en tant que guitariste et chanteur. J’ai beaucoup appris pendant cette période. J’ai voyagé, appris à composer, à enregistrer, à me comporter sur scène, etc. J’ai vraiment passé de bons moments et conservés d’incroyables souvenirs.
—Dans une interview, vous avez expliqué que « ULTRA SUNN signifie la lumière parfaite. La lumière qui révèle ce qui est caché et aussi les combats contre les ténèbres. » À votre avis, la musique peut-elle servir d’instrument pour que les gens réfléchissent aux problèmes d’origine sociale ?
—À nos yeux, ULTRA SUNN représente une certaine idée de la beauté et de l’esthétique. La lumière parfaite du soleil, et plus symboliquement, un guide de lumière dans l’obscurité, un moment de paix et d’inclusion. Cette même lumière peut aussi se transformer en arme pour lutter contre l’obscurantisme. La musique peut être un moyen de communiquer des valeurs et d’inviter les gens à la partager avec nous.
—En mai 2020, le groupe a conçu des masques et la moitié des bénéfices a été reversée à ROSA, une association qui lutte activement en faveur de l’égalité des sexes, contre l’homophobie et la transphobie. Vous pourriez nous parler un peu plus de ce projet ?
—Avant la pandémie, on s’est produits pour le concert contre le sexisme, organisé par ROSA. On a vraiment été heureux d’être contactés et de participer à cet événement. Après l’annulation du concert, on a quand même souhaité agir, à notre échelle. Cette association vit uniquement de dons. La pandémie a également été très complexe pour eux, les militants ont même reçu des amendes parce qu’ils ont continué à protester publiquement pour dénoncer les violences faites aux femmes et les discriminations qui ont ensuite explosé pendant le confinement.
—À votre avis, la scène dark/goth est-elle un peu plus ouverte d’esprit en termes de sexualité que les autres scènes ?
—Il y a plus de place pour tout le monde. En regardant le public, on peut constater que la scène est beaucoup plus inclusive. Ça compte vraiment pour nous. Il reste encore énormément de progrès à faire. Le secteur reste dominé par les hommes cisgenres. On a déjà été confrontés à des comportements qui n’étaient pas corrects, et on a été témoins de mansplaining. Il nous arrive de trouver tout ça épuisant. Certaines personnes se comportent de manière radicalement différente avec un boys band, par exemple. On nourrir toujours des espoirs pour la nouvelle génération et les jeunes qui grandissent et ont grandi avec des valeurs plus inclusives et égalitaires. On a hâte que l’industrie leur réserve leur place, afin que tous puissent respirer un peu. On est fiers de pouvoir montrer que l’on peut être une femme ou un homme, sans toutefois adhérer à tous les comportements que l’on attend de vous en raison de votre sexe. On peut choisir qui l’on est, et briser ces normes oppressives.
—Sam, tu as toujours indiqué que la New Beat avait été une véritable influence pour toi. As-tu quelque chose à ajouter à ce sujet ? Quelles sont tes œuvres préférées de ce genre ? Tu as réalisé un remix new beat de « Night is Mine » en hommage à la scène.
—La musique New Beat m’inspire énormément. C’est un genre né en Belgique à la fin des années 80 et au début des années 90. Je venais de naître lorsque la New Beat est apparue. Ses images et ses sons possèdent un je-ne-sais-quoi de spécial, qui me rappelle ce sentiment étrange d’être un enfant en Belgique dans les années 90. Les sons utilisés et l’atmosphère sont très particuliers et immédiatement reconnaissables. Ils font écho à la situation politique de l’époque, où l’on connaissait une période froide, et difficile. En même temps, les jeunes voulaient lâcher prise et danser pendant des heures au ralenti dans le brouillard, pour oublier tout le reste. Les Belges sont très fiers de leur New Beat. J’ai toujours été fasciné par les boîtes à rythmes, les synthétiseurs et cette atmosphère qui résume si bien notre expérience belge. Parmi mes morceaux préférés, j’aimerais mentionner « Virgin in-D Sky’s » de In-D, « Bryllyan “t de Boytronic, ‘Voices’ de NEON, ‘Cocaine” de The Maxx, “Externia” d’Inouï, “Come To Me” de BPM AM et bien sûr “Flesh” de A Split-Second.
—Gaëlle, parle-nous des groupes électroniques que tu préfères. Comment ont-ils influencé ton travail avec ULTRA SUNN ?
—Je suis également très influencée par la New Beat, et comme Sam, par l’EBM classique comme, Front 242, Nitzer EBB ou A Split-Second. Cependant, on garde toujours à l’esprit notre désir de modernité et on est très attentifs à ce qui se passe actuellement. La scène actuelle est très intéressante et productive. On adore les artistes comme Schwefelgelb, Kontravoid, Reka, SARIN, Die Selection ou Sextile.
—Ce n’est pas tous les jours qu’un groupe débute avec un titre égalant l’incroyable force de « Night is Mine ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la composition/l’histoire de cette chanson ? Vous avez écrit les paroles après avoir été agressés, c’est bien ça ?
—Pour ce titre, le jour où on est allés faire des repérages pour la vidéo, on avait terminé la composition de la musique, mais pas encore écrit les paroles. On voulait filmer dans une rue de Bruxelles. Ce jour-là, alors qu’on travaillait, on a été harcelés dans la rue. En rentrant, on a ressenti le besoin d’écrire sur ces événements, en particulier sur nos sentiments. On voulait que ce morceau sonne comme un hymne possédant un message fort et positif. Hors de question de se plaindre, on devait aller de l’avant ! Quelques jours plus tard, on est allés tourner dans la même rue. C’était une belle revanche. Ce titre possède une autre particularité : la rapidité de la composition. En moins d’une heure, tout était fait, On ne s’est pas posé de question, comme si on était en passé en mode d’écriture automatique, ce qui peut expliquer la sincérité du titre.
—Vous avez déclaré que vous travaillez mieux la nuit. Vous inspire-t-elle ? Je préfère aussi travailler la nuit, mais Violaine est plutôt du genre à travailler le jour.
—Oui c’est vrai haha. La nuit est un moment parfait pour travailler. La lumière change à peine, tout semble être infini et éternel. Personne ne peut vous dérange quand vous êtes occupé.
—Vous vous êtes limités à cinq synthés et une boîte à rythmes pour composer. Pourquoi cinq et lesquels ?
—On peut vite s’éparpiller à chercher des sons pendant des heures. C’est encore pire quand on commence à chipoter les instruments virtuels. La composition pourrait rapidement se transformer en une quête sans fin. De nombreux nouveaux sons, samples, etc. sont disponibles chaque jour. Cinq machines, c’est amplement suffisant pour nous. Connaître toutes leurs possibilités représente déjà un défi de taille. Ainsi, on peut également travailler plus rapidement : lorsqu’on une mélodie, une idée nous vient à l’esprit, on la recrée directement sur la machine. En nous limitant à cinq machines, on garde aussi une certaine logique, une sorte de palette sonore qu’on fait évoluer très lentement. On travaille avec un Roland Juno 106, un Moog Model D, un Korg Minilogue, un Fairlight CMI et un bon vieux Microkorg.
—”Night is Mine” a été remixée par SARIN. Pourquoi avoir choisi cet artiste ? Qu’aimez-vous dans son travail ?
—Le fait que SARIN ait voulu remixer notre premier titre constitue un véritable honneur, et a fait notre fierté ! On adore son approche, son son et son énergie. Il compose une EBM/Techno très détaillée, puissante et élégante. Il est vraiment très sympa.
—Oráculo Records a sorti votre premier EP, comment vous ont-ils contactés ?
—Oráculo nous a contactés après avoir entendu « Night Is Mine » et nous a proposé de sortir notre premier EP. On était vraiment heureux de sortir une référence sur ce label. Ce premier EP est désormais épuisé. Les personnes qui l’ont acheté sont en possession d’une véritable pièce de collection. Aucune réédition exactement comme celle-ci n’est prévue (il y aura une réédition sur Cold Transmission, avec de belles surprises à la clé)
—Pour votre premier concert, vous avez joué en première partie de Rendez-Vous. C’était également le tout premier concert de Gaëlle. Comment vous rappelez-vous l’expérience ? Avez-vous eu peur au début ?
—On adore Rendez-vous, on a souvent eu l’occasion de les voir en concert. Jouer en première partie de leur concert était absolument génial, ils sont adorables. C’était stressant, mais c’était du bon stress ! Ce souvenir restera à jamais gravé dans notre mémoire.
—Dans une interview, vous avez expliqué que vous vouliez considérer votre projet comme un tout, en gardant la même esthétique dans la musique, les visuels, les photos… Gaëlle, tu es créatrice de mode. Quelle part représente ton travail ?
—On gère tous les aspects ensemble. On peut tous deux apporter un savoir-faire plus spécifique en fonction. Avant de devenir musicienne, j’étais créatrice de mode et Sam est historien de l’art. Par exemple, on tire tout autant notre inspiration de la mode que de la peinture. On va voir beaucoup d’expositions, de musées, on regarde beaucoup de défilés de mode. Ces points communs nous inspirent énormément à l’heure de travailler sur notre projet. Pour nous, il est important de conserver une logique. C’est vraiment en travaillant ensemble qu’on y parvient.
—Apparemment, vous souhaitiez tourner une vidéo pour chaque chanson de l’EP Body Electric. Vous en avez toujours l’intention ? Ces vidéos vont-elles suivre une histoire, comme les deux premières ?
—C’est toujours l’idée ! En parlant de ça, il ne nous reste plus qu’une chanson. On a décidé que la vidéo officielle du titre « Body Electric » serait filmée en direct lors de notre soirée de lancement à Bruxelles. On pense que cette chanson doit être expérimentée en live. Ainsi, le dernier titre qu’on a prévu de sortir en vidéo est « Two Snakes ».
—Votre dernier EP, Body Electric, comprend six titres. Comment considérez-vous ce travail, en comparaison avec votre premier EP ?
—Ce nouvel EP est un peu différent. On s’est vraiment concentrés sur le travail réalisé au niveau des machines. On a pris quelques bonnes boîtes à rythmes et tous les sons sont entièrement analogiques. On a écouté beaucoup de musiques nouvelles, et on s’est laissés inspirer par d’autres types d’arts comme la mode ou la peinture, comme dit précédemment. On pense que ce deuxième disque est une continuation du premier et offre à la fois une évolution, avec un son différent. Chaque morceau est conçu pour le live, car au final, même si les paroles contiennent des messages, c’est de la dance music.
—Le single Young Foxes parle de la fête et de la fin de l’insouciance. Vous considérez-vous comme des fêtards ? On le découvrira lors de votre visite à Madrid.
—Oui, on souhaitait parler de cette période de la vie où on fait beaucoup la fête, sans penser à rien d’autre, et où, soudain, on commence à se concentrer comme un spectateur. On commence à observer les autres. C’est la fin de l’insouciance et c’est aussi le moment où l’on commence à rationaliser, à se poser des questions. Comme si un rideau tombait alors que l’on entend encore les autres crier et profiter de la nuit. C’est aussi le moment où les relations purement superficielles ne nous intéressent plus. La chanson parle de tout ça, mais elle en célèbre la beauté. Cette insouciance est belle, à la différence qu’à présent, on doit la provoquer un peu plus qu’avant. En fin de compte, il n’est pas difficile de replonger dans ce milieu. Pour répondre à ta question, oui, on se considère comme des fêtards, mais on est aussi des travailleurs acharnés. On sait garder notre sérieux et se concentrer quand le moment est venu. Ce sont les deux aspects de notre personnalité.
—Vous avez composé un remix pour The Secret French Postcards. Vous nous en réservez d’autres à l’avenir ? Quelle est votre approche du remixage ?
—C’était une belle expérience. D’autres remixes sont à venir, on est impatients de recommencer. Jusqu’à présent, on a essayé de garder les lignes vocales comme guide. À partir de là, on se permet de réécrire les basses, les batteries et les synthés. C’est toujours agréable de conserver certaines caractéristiques du morceau original, car cela nous permet de créer un remix qui reste reconnaissable et respectueux, même si on décide de le transformer à notre manière.
—Vous faites partie de la famille Cold Transmission. Je suppose que vous avez une bonne relation avec le label, car chaque fois que je vous ai vus, vous étiez avec Andreas et Suzy. Quels autres artistes du label souhaitez-vous nous recommander ?
—On s’entend très bien avec notre label. On a de la chance de travailler avec Suzy et Andy, qui sont très professionnels et attentionnés. C’est agréable d’avoir la possibilité d’évoluer avec des personnes qui partagent notre vision du travail bien fait. Humainement, ils sont adorables, accueillants et chaleureux. Avec eux, on se sent toujours motivés, et ils s’occupent très bien de nous ! On a la chance de partir en tournée européenne à partir de février 2022 avec deux groupes qu’on adore, à savoir S Y Z Y G Y X et Palais Ideal. On écoutait déjà leur musique avant de signer avec Cold Transmission.
—J’aimerais discuter avec vous de la question de l’audience. Votre public est principalement composé de fans de musique des années 80 et, comme nous l’avons vu lors de votre concert, il n’est pas vraiment jeune. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes groupes composent ce genre de musique. Ne pensez-vous pas que le public devrait aussi se renouveler, à un moment donné ?
—Honnêtement, cela dépend de l’endroit où on se trouve. Dans certains pays ou villes, le public est un peu plus âgé et plus nostalgique de la musique des années 80, mais d’un autre côté, ces gens ont un réel intérêt pour les nouveaux groupes. On trouve que cette énergie et cette curiosité contribuent beaucoup à la vie et à la santé de la scène. Dans de nombreux autres cas, les profils peuvent être plus jeunes ou mixtes. On remarque que la nouvelle génération est vraiment touchée par notre musique, peut-être parce qu’on leur parle directement. On garde toujours à l’esprit qu’on ne compte pas être un groupe de musique revival. On fait partie de notre époque et on se sent à notre place dans la musique actuelle, même si certaines de nos inspirations peuvent être tirées de la musique de la fin des années 80. Notre processus, nos visuels et nos messages sont contemporains. Lorsque l’on regarde nos statistiques sur les réseaux sociaux ou de streaming, on constate que les tranches d’âge sont plutôt jeunes. On pense que la scène se renouvelle déjà naturellement. Cela dépend donc des endroits où nous jouons. On est surtout heureux de voir que toutes les générations sont mélangées et trouvent des intérêts différents au même endroit.
—Vous avez également enregistré quelques DJ sets. Êtes-vous également intéressés par le métier de DJ dans les clubs ou le faites-vous déjà ?
—On a mixé plusieurs fois sur Twitch pendant le confinement. À cette époque, on voulait clairement développer le Djing, et on a eu le plaisir de mixer en direct plusieurs fois lorsque les clubs ont rouvert. On reste à l’affût de toutes les musiques qui sortent et on est toujours à la recherche de joyaux oubliés chez les disquaires. On a bien l’intention de continuer le DJing, qu’on considère comme très amusant.
—Comment avez-vous vécu cette période de Covid ?
—On a commencé le projet juste avant le confinement, ce qui a pu nous donner le sentiment d’avoir très vite l’herbe coupée sous le pied. On a dû brusquement annuler tous les concerts, notre première partie de KOMPROMAT, etc. Malgré tout, on a décidé de travailler très dur et de repenser plusieurs fois notre concept, afin d’être le plus honnête possible dans notre approche. On a eu le temps de créer beaucoup de nouveautés. Pendant cette période, on a sorti notre premier EP sur Oráculo, puis nous avons signé avec Cold Transmission et commencé à préparer le deuxième EP avec eux. On a jamais vraiment cessé de sortir de nouveaux titres. Ce moment était assez intense, on a travaillé d’arrache-pied, mais finalement, beaucoup de choses positives en sont ressorties.
—Quels sont vos projets pour l’avenir ? Un LP ?
—Beaucoup de concerts, et puis la réédition deNight Is Mine sur laquelle nous travaillons. On pense déjà à un nouvel album qui sortira dans environ un an.
—Que peut-on attendre de votre concert à Madrid ?
—Comme toujours, un beau moment d’échange et de partage. L’important est d’oublier les normes et de danser tous ensemble. On crée des moments où on peut montrer sa véritable identité, vous serez toujours accueillis et aimés. Quoi d’autre ? La nuit nous appartient !