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Interview : The Young Gods

par François Zappa

J’ai entendu pour la première fois la musique des Young Gods grâce à la bande-son éclectique du film Sliver, où ils apparaissaient aux côtés d’UB40, Enigma, Shaggy et Lords of Acid. Évidemment, j’étais beaucoup plus intéressé par la musique du groupe suisse de rock industriel que par cette tentative inutile de refaire un nouveau Basic Instinct. Depuis, je suis devenu un véritable fan du groupe, c’était donc un véritable honneur de pouvoir interviewer Franz Treichler, qui jouera avec les Young Gods au Sinner’s Days, le premier novembre.

—Franz, tu as commencé dans deux groupes punk/post-punk avant de former The Young Gods, n’est-ce pas ? J’ai découvert que tu étais le chanteur de Jof and the Ram et Schizoids. Peux-tu nous en dire plus à ce propos ?

—J’avais 16 ans en 1977, et le punk rock m’impressionnait beaucoup. En 1979, je faisais partie d’un groupe qui s’appelait Johnny Furgler and the Raclette Machine avec Cesare Pizzi. C’était plutôt punk et très critique envers le système politique suisse, que l’on trouvait hypocrite. Quand Heleen a pris la basse après le départ de Cesare, on a renommé le groupe Jof and the Ram et notre style est devenu plus post-punk, apportant plus d’éléments de musique abstraite dans notre rock.

J’ai produit Schizoids, et j’en étais le guitariste, mais c’était le projet de notre ami Jumpee et c’est lui qui chante sur l’enregistrement. On était son groupe d’accompagnement. Très engagé politiquement également.

—Le nom du groupe vient de l’EP Young God (1984) des Swans. Comment était-ce d’écouter le groupe de Michael Gira dans les années 80 ? Est-ce que les albums du groupe sortis pendant la dernière décennie t’intéressent (The Seer, To Be Kind, The Glowing Man)?

—Dans les années 80, les Swans étaient différents de tous les autres groupes. À ce moment-là, tout le monde voulait être le groupe le plus rapide du monde et les Swans étaient l’opposé : le son le plus lent et le plus profond jamais entendu. J’ai rencontré Roli Mosimann alors qu’il était leur batteur. J’ai participé à l’organisation de leur concert dans ma ville natale, Fribourg (en Suisse). J’étais vraiment impressionné par le style de Roli à la batterie : c’est lui qui permettait l’unité du groupe, la musique était vraiment lente et flippante ; chaque frappe sur la batterie résonnait comme si c’était la fin du monde. Le temps et l’espace se connectaient à travers le son et le volume. J’aime ce que les Swans ont fait ces 10 dernières années. Je continue d’aller les voir en live et j’adore.

—Pourquoi as-tu choisi une version de Gary Glitter pour le premier single ? Je ne peux rien imaginer de plus éloigné du son et de l’éthique du groupe que le style glamour de Glitter ? Que penses-tu de la polémique autour du fait qu’une de ses chansons se retrouve dans le film Joker (maintenant qu’il est considéré comme étant pédophile ?)

—Notre premier single était « Envoyé ». « Did you miss me », le second. On aimait surprendre les gens et éviter de faire ce qu’on attendait de nous. C’était bien avant l’affaire de pédophilie. J’aimais plutôt bien ses beats pétillants et les sonorités de ses percussions. Je n’avais pas connaissance de la polémique autour de Joker.

—Tu as déclaré que le groupe donnait des concerts sauvages au début. Comment tu les décrirais ? J’ai lu qu’il y avait eu un incendie lors d’un concert avec Test Dept, que peux-tu nous en dire ?

Au début, on a joué de manière illégale dans pas mal d’endroits : des squats, des usines occupées ainsi que des jardins publics. Il n’y avait pas de place pour cette culture et on voulait le dire à voix haute. Une fois, alors qu’on faisait la première partie de Test Dept dans un hangar, de la fumée a commencé à sortir du sous-sol de l’usine : quelqu’un avait jeté une cigarette sur une pile de cartons et déclenché un incendie. Les pompiers sont venus et l’endroit a été évacué assez rapidement. De ma vie, je n’ai jamais revu un rangement de système de sonorisation aussi rapide !

—Le groupe est considéré comme pionnier du rock industriel. Certains disent que le rock industriel était du rock avec des bruits, comment tu décrirais la sonorité de The Young Gods ?

—Des bruits avec du rock.

—Dans une interview avec Red Bull Academy, tu as parlé de l’importance de la technologie dans les premiers moments du groupe, et de comment les nouvelles machines ont été la clé du son du groupe. Peux-tu nous en dire plus ?

—Notre identité musicale est née grâce à la nouvelle technologie de l’époque : le sampler. Quand les premiers sont arrivés sur le marché à un prix abordable, j’ai mis ma guitare de côté pendant un bon moment. Composer de la musique avec un sampler est complètement différent que de le faire avec une guitare ou un piano. Pas besoin de se soucier de la progression des accords, des tonalités, des clés et des notes : il suffit de plonger dans le son. Ce son et ses manipulations vous donnent l’inspiration.

L’Eau Rouge est le deuxième album du groupe et a été produit par Roli Mosimann (comme les cinq premiers), que vous avez mentionné avant. Comment a-t-il aidé à la création de ce qui est considéré comme ton chef-d’œuvre ?

Il était mon collaborateur principal en ce qui concerne l’écriture et les arrangements sonores. C’était un maître en la matière quand il s’agissait de mettre toutes ces sonorités dans le bon ordre. Un producteur-magicien. On ne parlait pas beaucoup, on agissait.

—Le troisième album contient plein de reprises de Kurt Weill, enregistrées à la demande d’un festival. Il t’a influencé (ta musique est inspirée du cabaret) ou tu l’as découvert grâce à The Doors ? As-tu aimé les reprises par The Doors ou David Bowie ?

—Kurt Weill m’a définitivement influencé, pas seulement avec la vibe cabaret mais aussi par la qualité de son écriture. Pour moi, il a été un pionnier de la pop (musique populaire). Quand il a écrit « The Three Penny Opera » avec Bertold Brecht, leurs chansons parlaient d’un quartier imaginaire à Londres, rempli de bandits, de prêtes, de prostitués et de gens ordinaires. Pas de héros. Il était tellement humain, au-delà du bien et du mal. La musique était un peu désaccordée, dissonante, vraiment loin de ce à quoi on s’attend pour un opéra : les chanteurs n’étaient pas du tout dans le « Bel Canto ». Et au-dessus de tout cela, il y avait une critique politico-sociale cachée. Pour moi, la bonne pop, c’est ça. Pas étonnant qu’ils soient devenus les « ennemis publics » officiels des nazis. La première chanson de Kurt Weill que j’ai écoutée était « Alabama Song », reprise par The Doors. Peu après, j’ai dû étudier « The Three Penny Opera » à l’école, grâce à notre professeur d’allemand.

—D’après Allmusic, le groupe s’est tourné vers les États-Unis avec T.V. Sky après avoir joué avec des groupes tels que Ministry et Nine Inch Nails. Ont-ils influencé The Young Gods ou était-ce pour gagner une partie de leur public ? Le groupe a eu également quelques problèmes lors de la tournée en Amérique à cause du prix élevé des visas, c’est bien vrai ?

—Je crois que notre première tournée américaine au eu lieu en 1990. À ce moment-là, la tournée passait dans les mêmes clubs que NIN, mais on n’a jamais joué ensemble. Quand on est arrivés à Chicago, Al Jourgensen de Ministry nous a invités chez lui et voulait nous inviter sur sa tournée. Ça n’est arrivé que 6 ans plus tard, en 1996. Je crois qu’au début des années 80 tout le monde influençait tout le monde.

Le problème avec les visas, on l’a actuellement, pas à l’époque.

Heaven Deconstruction est une publication étrange, un album instrumental expérimental avec des morceaux de Only Heaven. Tu pensais que la formule utilisée pour créer les quatre albums précédents (sans compter celui avec Kurt Weill) avait besoin de changement ?

—Heaven Deconstruction était une tentative de montrer à notre public ce qu’il y avait derrière Only Heaven : un amour profond pour l’ambient. On voulait mettre Heaven Deconstruction et Only Heaven ensemble sur un second CD, mais c’était trop expérimental pour nos maisons de disque en 1995. Mais tu as raison : quand la routine s’installe, on essaie de nouvelles choses. Après l’Eau Rouge et Play Kurt Weill, le cabaret et les samples de musique classique étaient devenus une routine qu’on a voulu casser. L’album suivant, T.V. Sky, était plus minimaliste et principalement concentré sur des sonorités rock.

—A contrario, Second Nature est un peu plus techno/électro, c’était le résultat d’un album précédent ou étais-tu plus intéressé par la musique électronique à ce moment-là ?

—On était définitivement intéressés par la scène techno/électro et on avait besoin de casser la routine « rock » des 2 albums précédents (T.V. Sky et Only Heaven).

—Le concept derrière Music for Artificial Clouds est vraiment intéressant. La musique a été créée principalement avec des sons provenant de la forêt Amazonienne. Tu peux nous en dire plus ? Es-tu intéressé par le champ musical de musiciens comme Francisco López ? Avec l’album est né également l’Amazonia Ambient Project et Aquanaut, que peux-tu nous dire à propos de ça ?

—Dire que cet enregistrement a été fait principalement avec des sons de la forêt amazonienne est exagéré. Oui, il en contient beaucoup, mais autant que de sons provenant de synthétiseurs et autres sources. Je suis le membre du groupe qui a eu la chance de voyager en Amazonie plusieurs fois et j’ai été époustouflé par les sons de la forêt. Après chaque voyage, je suis revenu avec un tas de sons que j’ai adoré traiter en numérique ou laisser tels quels dans l’enregistrement. J’aime beaucoup Francisco López, il m’a ouvert l’esprit et m’a appris à mieux écouter mon environnement direct.

« Aquanaut » nous a été commandé par le Musée des Sciences de Genève : on a fait une performance live avec du matériel sonore provenant principalement de l’eau et travaillé avec un duo de cinéastes (Loopmatic) utilisant des films 16 millimètres en boucle.

—Le groupe a collaboré avec Mike Patton lors du Jazz Festival de Montreux en 2005. Pour quoi l’as-tu choisi lui pour chanter deux chansons ? Il a reconnu que ton groupe avait influencé sa musique.

—On est proche de Mike Patton depuis les années 90. Dans les années 2000, il nous a fait signer chez son label Ipecac aux États-Unis. En 2005, on a organisé un concert sur deux jours pour l’anniversaire des Young Gods, offert par le Jazz Festival de Montreux. Ce soir-là, on avait invité Fantomas à jouer et bien sûr on a demandé à Mike de choisir deux chansons à chanter avec nous.

—Après ces albums, le groupe est revenu vers les riffs rock avec Super Ready/Fragmenté. Le son des guitares te manquait ? Dans « Stay with Us », tu utilises ce que je crois être un autotune (ou vocodeur). Que penses-tu de l’usage excessif de cet auto processeur dans la musique moderne ?

—Exactement, après notre période électronique et ambient, on voulait réentendre des guitares. C’est cyclique. En 2007, quand Super Ready est sorti, le monde était sens dessus dessous après 7 ans sous la présidence de George W. Bush. Il était de nouveau temps de dire les choses à voix haute.

J’en ai vraiment marre de ce son autotuné.

—Et comment as-tu décidé de faire un album acoustique comme Knock on Wood ? Encore une fois, il est vraiment différent de ce que tout le monde attend de la part de Young Gods.

—De temps à autre, on a essayé de faire des versions acoustiques de notre musique. Notre manager Patrick David aimait beaucoup cela, il nous a encouragés à faire plus que juste quelques chansons. Ça nous a fait réaliser la dimension de la composition de certaines de nos chansons. Elles sont acoustiques mais gardent leur intensité.

—L’album live Griots and Gods, avec le groupe de rap Dälek, était un autre projet intéressant. Comment est née cette idée ? Était-ce facile de travailler avec Dälek ?

—C’est une idée qui est venue de la part de Kem Lalot, le booker principal du Festival des Eurockéennes (dans l’est de la France). C’est un fan de la première heure de musique industrielle, et son idée était de faire en sorte que nos musiques de rejoignent.

C’était très facile de travailler avec Dälek, on avait tout fini en 2-3 jours.

—Les Young Gods ont joué sous le nom de The Treichler Trontin Pizzi Experience lors du Cully Jazz festival. En quoi cette expérience a-t-elle changé le groupe ?

—En gros, c’était la première tentative des Young Gods de faire quelque chose de nouveau musicalement depuis le retour de Cesare dans le groupe (en 2012). Entre 2012 et 2014, Cesare, Bernard et moi, on n’a joué que le vieux répertoire. En 2015, on a décidé de continuer en tant que groupe et on a voulu écrire de la nouvelle musique. On ne voulait pas appeler ce projet « Young Gods » car on improvisait en live et on voulait être très clair : seule la musique non finie serait entendue, rien du répertoire des Young Gods. En plus l’endroit était tout petit. Donc en fait, seuls les membres les plus curieux de notre public sont venus.

Cette expérience nous a donné confiance, et on s’est senti prêt pour un autre cycle, à savoir : écrire un nouvel album, aller en studio et l’enregistrer, puis la tournée pour le jouer.

—Faire la musique pour le court-métrage Kali the Little Vampire est un des œuvres curieuses du groupe. Comment décrirais-tu cette expérience ? D’autres bandes-son prévues ?

—Regina Pessoa, qui a écrit Kali, utilisait beaucoup la musique déjà existante de Young Gods mais désirait du matériel original. On a dû plonger dans son monde et jongler avec nos sonorités pour les faire correspondre à l’image. C’est un exercice délicat dans le sens où, à ce moment-là, on était quatre dans le groupe et chacun d’entre nous avait sa propre vision du rendu du film.

—Vu que le groupe utilise le sampler en tant qu’un des instruments principaux, que penses-tu des albums créés essentiellement avec des samplers, comme Since I left You, par The Avalanches, Endtroducing, par DJ Shadow ou l’œuvre de pionniers tels que Negativland, Art of Noise ou KLF ?

—Je pense que le sampling est un moyen vraiment fantastique d’écrire de la musique. C’était une révolution dans les années 80, et j’aime tous les groupes que tu as mentionnés. Ils sont allés là où peu ont osé. À ce moment-là, on risquait beaucoup d’être critiqué si on ne jouait pas avec de vraies guitares sur scène.

—Dans Data Mirage Tangram, Cesare Pizzi fait de nouveau partie du groupe. En quoi son retour a changé votre musique ?

—Je crois qu’on peut voir le résultat dans l’album. Cesare a contribué au processus d’improvisation. Quand on a commencé à écrire Data Mirage Tangram, on était tous d’accord pour faire quelque chose à un rythme un peu plus lent et répétitif.

—En 2000, tu as fait un album solo appelé Braindance avec de la musique créée pour des compagnies de danse. Que peux-tu nous dire là-dessus ?

—Je travaille avec différentes compagnies de danse et principalement celle de Gilles Jobin. Gilles m’a sollicité à maintes reprises mais je n’ai jamais eu le temps de faire quelque chose d’original. En 1997, il s’est servi de certaines musiques de notre disque d’ambient Heaven Deconstruction. C’est comme ça qu’on a commencé une longue collaboration. Avec les compagnies de danse, j’ai énormément appris concernant la relation entre le son, le mouvement et le temps.

—Tu te rappelles de ton premier concert en Espagne ? Comment c’était ?

—Je ne suis pas sûr mais je crois que c’était à Barcelone à la fin des années 80. Je me rappelle seulement avoir rencontré des gens très sympathiques et être allé à une fête après le concert !

—Comment s’annonce votre concert au W-Fest ?

—Je sais que c’est un festival tendance années 80, non ? On n’a pas encore décidé de la liste des morceaux pour notre set. On va probablement jouer des « classiques » des Young Gods mélangés à du matériel plus récent. Surprise !

Traduction : Emmanuelle Ambert

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