Playa Espectral est, sans aucun doute, l’une des propositions les plus originales et inclassables que nous ayons à Madrid en ce moment. Le trio, formé par trois musiciens expérimentés qui ont joué dans une multitude de groupes, a sorti quelques cassettes (récemment compilées) et travaille sur un LP. Jeudi, ils joueront au très intéressant festival français Setmana Santa, à Bordeaux vendredi, et nous espérons les voir bientôt dans un festival national.
—Ángel et Marco, vous vous êtes rencontrés en 2012 lorsque vous faisiez partie de Las Infantas, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
—Ángel : Las Infantas était un groupe de punk rock avec quelques touches de powerpop, de surf et de garage, mais la musique est devenue plus sombre avec le temps. On a enregistré un EP et un album complet et joué souvent à Madrid et dans le reste de la communauté (je crois que le dernier concert a eu lieu en 2017). J’ai rencontré Andrés, l’autre guitariste, au local de répétition Tablada 25 lorsque j’y répétais avec Nutria et il m’a proposé de rejoindre ce nouveau groupe qui n’avait pas encore de nom. Ils m’ont donné quelques démos de chansons faites maison, je les ai aimées et… voilà où on en est aujourd’hui !
—Depuis lors, tu as fait partie de différents groupes issus du groupe mère, comme Carnero et Les Cundas, et même un groupe de reprises de Dead Moon si j’ai bien compris. Comment ces projets ont-ils vu le jour ? Tu as parfois joué dans deux ou trois d’entre eux en même temps, n’est-ce pas ?
—Ángel : Ces groupes sont nés parce qu’on voulait faire de nouvelles choses et nous amuser avec une musique moins élaborée. Je suis passé à la batterie. Cundas et Carnero étaient plus agressifs et bruyants qu’Infantas. Carnero, qui a été très éphémère, est né d’une collaboration avec notre ami, l’artiste visuel Aitor Saraiba, et nous voulions aborder le terrain du crust et du black metal en parlant de drames ibériques, tandis qu’avec Cundas, on visait Mötörhead, Zeke ou Discharge, avec des paroles minimales et des chansons aussi courtes que possible. Après chaque répète, on avait composé 3 chansons ! Dead Moon né de notre amour pour le groupe et de l’initiative de Phil, le bassiste de Las Infantas, originaire de Toledo, Ohio, qui chante avec un timbre très proche de celui de Fred Cole. On a fait 2 ou 3 concerts et, évidemment, il n’a pas exigé grand-chose de nous non plus. Et oui, tout cela s’est passé entre 2012 et 2017, les années où Las Infantas était actif.
—À part cela, Ángel, tu as fait partie de Puerto Banús, Golden Creatures et Bultacos, votre projet le plus ancien, entre autres. Y en a-t-il qui t’ont particulièrement marqué dans la suite de ta carrière ?
—Ángel : Je pense que tous les projets auxquels j’ai participé m’ont marqué, même ceux qui ont été éphémères et qui n’ont donné qu’un seul concert, voire aucun. Avec Bultacos, j’ai vraiment commencé à comprendre le jeu et j’en garde d’excellents souvenirs. Je chéris également le temps que j’ai passé avec Nutria. Après de nombreuses années passées à chanter dans Bultacos, qui était un groupe de punk rock avec un pied dans le hardcore, inspiré par des groupes comme New Bomb Turks ou Adolescents, et qui chantait principalement en anglais, j’ai acheté un synthé. J’ai commencé à écrire en espagnol et je me suis lancé dans cette histoire qui, pour moi, était une bouffée d’air frais par rapport à l’aspect un peu plus rigide du punk rock classique, avec des compositions plus libres et plus atmosphériques qui naissaient de l’improvisation et pas tellement d’une chanson plus ou moins préconçue. Avec Puerto Banús, j’ai commencé à jouer de la batterie et à parler de Call Me Idiot, un combo assez délirant où je faisais des bruits, des atmosphères et des percussions, et le retour au hardcore, avec Nitropollo, un groupe que j’ai monté avec d’anciens collègues de Bultacos et Las Infantas et d’autres personnes de groupes comme Zinc ou E-330, et qui est toujours actif avec un autre chanteur.
—Marco, tu as également fait partie, entre autres, de La Catrina, Árida, Knights of the Long Grass et No hay Dolor, ce dernier avec Esteban, qui fait également partie du groupe. C’est comme ça que vous vous êtes rencontrés ? Que peux-tu nous dire au sujet de votre troisième membre ?
—Marco : No Hay Dolor a commencé comme un duo, Nata et moi, mais après quelques années, nous avons décidé de donner une nouvelle tournure au son en intégrant Esteban dans le projet. Il jouait avec Nata dans un autre groupe appelé Compulsif. On s’est très bien entendus dès le début et honnêtement, j’ai toujours été fan de son style et de sa façon de jouer de la basse. J’adore ses riffs. Lorsque nous avons commencé à façonner les concerts de Playa Espectral et à définir le son, on a pensé que c’était la bonne personne.
—Esteban : Je dois ajouter que depuis que j’ai été approché pour rejoindre No Hay Dolor, je pense que Marco et moi avons eu une connexion très cool et très intuitive. On a très bien travaillé dès le début, étant donné que je n’avais jamais joué de la basse de ma vie et que je ne connais toujours pas la moindre note. En fait, j’ai atterri ici parce que ces deux-là ont fait leur premier concert de Playa et se sont soudain retrouvés sans bassiste, ce qui les a poussés à faire appel à moi. Par contre, je ne pourrai pas t’expliquer comment et pourquoi je suis toujours là. Et j’en suis très heureux. Peut-être que Marco aime ma façon de jouer, finalement… Je ne sais pas pour Ángel, ils ont dû en parler entre eux et il est content parce que je suis le copain de Marco. Mais en fin de compte, on passe de bons moments. Et pour moi, c’est fondamental, d’être plus une bande qu’un groupe. Et quand j’apprendrai à jouer de la basse, ils vont péter les plombs.
—Marco, tu as mentionné que tu avais commencé à t’intéresser à l’électronique, étant donné que tes groupes précédents étaient plus rock et même métal, et que tu as commencé à apprendre à utiliser Ableton. Comment cet intérêt est-il né ? Voulais-tu faire les choses par toi-même ?
—Marco : J’ai toujours aimé la musique électronique, mais je pensais que ça ne me conviendrait pas à l’heure de composer. Je la voyais comme quelque chose d’inaccessible. Pendant la pandémie, j’ai appris à produire de la musique avec Ableton et j’ai commencé à réaliser mes premières productions. J’ai d’abord monté un projet appelé Artik Falls, qui a sorti 8 singles avec la collaboration de Cristina del Val et Phil Stark. Après cette étape, j’ai voulu faire quelque chose de différent, sortir un projet solo avec des influences plus post-punk et coldwave… de cette agitation est né Dunkelwald. Simultanément, j’ai commencé notre projet avec Ángel, avec l’idée d’un son différent, plus mélodique et un peu plus éclectique.
—Lorsque le groupe s’est formé, Ángel était au Canada et le premier EP a été enregistré à distance. Tu avais déjà prévu de revenir ou la distance ne te faisais pas peur ?
—Ángel : En fait, au début, je ne savais pas si j’allais revenir ou non et on s’était mis tous les deux d’accord sur le fait qu’il s’agirait d’un projet à distance.
—À partir de là, tu contactes Marco et vous formez un petit groupe, prélude à Playa Espectral.
—Ángel : Comme Marco l’a déjà mentionné, on a commencé à travailler lorsqu’il était encore avec Artik Falls, dont est issu, d’une certaine manière, Dunkelwald, qu’il a créé lorsqu’il a commencé à produire des bases électroniques et pour lequel il m’a demandé de collaborer. Il m’a envoyé les bases de “Ciudad” avec quelques-unes de ses voix comme test, plus 4 ou 5 autres chansons au cas où je pourrais penser à quelque chose, et j’ai rapidement écrit quelques paroles et mélodies pour “Ciudad” et ce qui allait devenir “Flor”. J’ai enregistré les voix chez moi avec quelques montages et arrangements et je lui ai envoyé les pistes pour qu’il les mixe. Marco m’a ensuite proposé de faire une histoire avec sa propre entité, ce que je n’ai pas pu refuser car on se comprend très bien d’un point de vue musical. Je dois aussi dire qu’avant mon départ, on avait déjà parlé de faire quelque chose d’électronique. On pensait à quelque chose d’un peu sombre mais aussi d’un peu pétaradant, d’EBM et d’Italodisco, juste pour le plaisir. On retrouve ça dans “KSF”.
—Vous avez mentionné Psychic TV, les débuts de Ministry, Throbbing Gristle, Suicide, l’EBM et Christian Death comme influences. Quand avez-vous commencé à vous intéresser à la musique plus sombre ?
—Ángel : Ces influences se ressentent plus clairement dans ce groupe, mais elles ont toujours été présentes. Je pense que tous les membres écoutent ces groupes ou des groupes similaires depuis un moment. Mais oui, lorsqu’on a commencé, ces références étaient sur la table.
—Le nom de la première cassette, K.S.F. (Kanadisch Spanische Freundschaft) est-il une référence à DAF ?
—(Tous) : Bien sûr ! Respect et admiration.
—Vous avez mentionné que Playa Espectral a aussi un côté pop que l’on peut voir dans les mélodies. D’où vient cet intérêt pour la musique pop, qui n’était pas aussi évident dans vos projets précédents ?
—Ángel : Infantas ou No Hay Dolor contenaient de bonnes chansons pop ! On aime le bruit et la désolation, mais on apprécie aussi les bonnes mélodies et les harmonies vocales. Bien sûr. Presque plus personne ne chante.
—L’humour est-il important pour vous ?
—Ángel : Bien sûr que oui ! Dans cette blague qui tue, soit on rit, soit on se fait seppuku, soit on prend le katana directement dans la rue. On se prend relativement au sérieux. Ou pas. Pas vraiment. Que quelqu’un d’autre réponde.
—Il y a deux reprises sur l’EP K.S.F. , une de Christian Death et un extrait de “Bandido” d’Azúcar Moreno que vous jouez en concert. Pourquoi deux chansons aussi différentes ?
—Ángel : Comme nous l’avons déjà dit, on aime les grosses prod de dance music de la fin des années 70 et des années 80, telles que Birthday Party, Screamers, Lost Sounds, D-Beat ou Motorik. L’un de nos leitmotivs, c’est que les préjugés sont inutiles. Ça rejoint un peu la question précédente sur l’humour, et on retrouve cette atmosphère dans nos compos. Par contre, les chansons qu’on enregistre seront plus dures que celles de KSF, car les choses ont changé après être passés en studio.
—Vous avez ensuite enregistré quelques titres en commun avec le collectif Chico Trópico. Pouvez-vous nous en dire plus ? J’ai entendu dire que c’était un peu inhabituel.
—Ángel : Chico Trópico est une entité multiforme d’agitation culturelle et l’un de leurs projets est un studio mobile appelé La C.O.S.A., situé à l’intérieur d’une caravane dans laquelle ils se consacrent à donner une voix à l’expression populaire des quartiers. Les enregistrements que nous avons réalisés au cours de l’été 2022 faisaient partie d’un projet appelé Splash ! dans lequel, comme d’habitude, ils ont enregistré tous ceux qui voulaient faire de la musique. Ils ont également enregistré une chanson d’été communautaire dans différents styles dans quatre piscines de Madrid. On voulait sortir quelque chose de nouveau et c’est ce que nous avons fait, à part collaborer à la chanson rock estivale Primero de Agosto, qui sera incluse avec d’autres surprises dans une cassette éditée par Polypiel Records et Diskos KSF, qui est déjà disponible et qui compile les deux eps : ces morceaux de Piscina Espectral et de KSF.
—Sur les deux titres enregistrés dans les piscines, l’un est une reprise de The Spits. Pourquoi avez-vous choisi cette chanson ? À vrai dire, je ne connaissais pas du tout ce groupe.
—Ángel : C’est un grand groupe punk. On adore leurs infrasons, leurs synthés et leurs voix ramoniennes à basse révolution.
—Marco, ton autre projet s’appelle Dunkelwald. Comment t’est venue l’idée de le créer ?
—Marco : Comme je l’ai déjà dit, il est arrivé un moment où j’ai voulu sortir une œuvre solo, plus sombre et plus personnelle. Je ne savais pas jusqu’où cela irait, ni même s’il y aurait des concerts. Ça fonctionne bien, et avec Luna (guitare/chant) on est impatients de continuer à travailler ensemble.
—Penses-tu que la musique de Dunkelwald a influencé Playa Espectral ?
—Marco : Peut-être au début, mais Angel donne beaucoup de personnalité aux compositions et les chansons de Playa Espectral ont rapidement acquis un son très particulier et personnel. Pratiquement, les deux premiers EPs des deux projets ont été créés à peu près en même temps, mais le résultat est différent.
—Que réserve l’avenir à Playa Espectral ?
—Ángel : Vous pouvez vous attendre à un album complet qui est en cours de préparation et à ce qu’on se transforme en licornes.
—Que peuvent attendre les spectateurs de Setmana Santa de votre concert ?
—Ángel : Trois personnes qui croient en ce qu’elles font et veulent faire, et qui veulent que cela se traduise sur scène. Et merci au Garaje de Frank pour cette merveilleuse interview et pour leur soutien.