Pink Turns Blue, pionniers de la dark wave et créateurs de l’hymne « Your Master Is Calling » sont de retour pour apporter un peu d’obscurité à notre vie. Ces dernières années, ils ont sorti des disques intéressants. Parmi eux, leur petit dernier, The Aerdt-Untold Stories, en 2016. Nous avons discuté avec Mic Jogwer, chanteur et guitariste de ce groupe allemand. L’année prochaine, ils joueront au W Festival le dimanche, juste après Red Zebra, que nous avons eu le plaisir d’interviewer il y a peu. Bénie sois tu, obscurité.
–Le nom de votre groupe provient d’une chanson de Hüsker Dü. Y a-t-il une quelconque relation entre le son de Pink Turns Blue et le son du groupe de Bob Mould et de Grant Hart ? Pourquoi avoir choisi le nom de cette chanson pour votre groupe ?
–Les deux membres fondateurs, Tom Elbern et moi-même (Mic Jogwer) étions fans du groupe et plus particulièrement de cette chanson. Alors cette histoire d’amour qui de quelque chose de divin et de spécial se transforme en une triste addiction aux drogues nous a vraiment touchés. Musicalement parlant, Pink Turns Blue a toujours eu un côté plus atmosphérique et dark que Hüsker Dü, qui étaient principalement post-punk, voire grunge.
–Aviez-vous une quelconque relation avec le mouvement Neue Deutsche Welle ?
–Au contraire. Le Neue Deutsche Welle prenait tout avec humour, et rien au sérieux. Pink Turns Blue a toujours pris les choses trop au sérieux. C’est pourquoi nous sommes devenus l’un des groupes fondateurs de la dark wave. Ce n’était pas intentionnel, mais à la fin, nous avons fait partie de la nouvelle dark wave qui était complètement opposée à « l’amusante » Neue Deutsche Welle.
–La situation politique allemande a-t-elle affecté votre musique ?
–Non, et ce ne sera jamais le cas. Pour nous, la politique est proche du mainstream et en profite. Heureusement, notre musique essaie d’inspirer l’être humain et l’âme, et infuse un plus grand effort de l’esprit.
–La pochette de votre premier album If Two World Kiss (1987) est emblématique et correspond parfaitement à son état d’esprit. C’est le visage de votre ancien batteur, n’est-ce pas ? Pourriez-vous nous raconter comment s’est passé l’enregistrement de l’album ?
–Le premier album est un mix de plusieurs sessions. Et il inclut aussi plusieurs changements. Certaines chansons ont été enregistrées avec Tom Elbern à la guitare. Il a quitté le groupe un an ou deux avant qu’on ne sorte l’album. La plupart des chansons ont été écrites et enregistrées en trio. J’étais à la guitare et Ruebi était à la basse au lieu d’être au clavier.
–Votre deuxième album, Meta, est considéré comme l’un des premiers albums de dark wave. Comment avez-vous choisi de travailler dans cette direction ?
–Meta était le premier album où nous avions un accord d’enregistrement. Et nous avons pu enregistrer la musique qui nous semblait être la bande-son idéale pour l’époque. Nous avons joué en première partie de Laibach sur plusieurs tournées, et nous avons fini par enregistrer dans leur studio de Ljubljana. Clairement, c’est la combinaison du producteur Janez Krizaj de Laibach et de nos âmes et esprits sombres qui a permis de créer cet album très dark.
–Aimez-vous d’autres artistes de dark wave ?
–Nous n’avons pas vraiment eu la chance de les rencontrer ou de les connaître à l’époque. En 1988, la scène dark wave n’existait pas vraiment. Plus tard, il était possible d’acheter des magazines et des CD avec comme titre dark wave. De cette façon, on pouvait plus ou moins savoir quels artistes étaient connectés à cet esprit et à ce son. Avant ça, il existait des groupes de post-punk comme The Sound, ou des groupes de batcave comme Bauhaus. Mais personne n’appelait ça de la dark wave à l’époque.
–Vous dites que Laibach est l’un de vos groupes préférés. Qu’est-ce qui vous attire dans leur musique ? De quelle façon ont-ils influencé votre musique ?
–Nous aimions le fait qu’ils avaient le courage de présenter le son qu’ils voulaient. En plus, leur musique ressemblait plus à une bande-son de film qu’à une chanson rock traditionnelle. Nombre de nos chansons étaient plutôt des paysages musicaux avec des paroles. Je crois que c’est ça qui nous a connectés d’une certaine façon.
De 1990 à 1994, vous avez sorti 5 albums, légèrement ombragés par les précédents. Nous aimerions les commenter :
–Eremite a l’air plus électronique et industriel. Comment avez-vous commencé à utiliser des samplers et pourquoi ? La musique industrielle vous intéressait-elle ?
–Nous avons toujours considéré qu’il était important de découvrir de nouvelles couleurs et de ne pas nous répéter. En ce sens, nous sommes plutôt des artistes. Notre motif principal est d’explorer de nouvelles façons de raconter nos histoires, et, on l’espère, de la façon la plus belle et la plus pure possible. De nouveaux appareils et sons aident à trouver de nouvelles couleurs et à offrir de nouveaux moyens de toucher l’âme de celui qui nous écoute.
–Aerdt a moins de guitares et est plus atmosphérique. Quelle musique écoutiez-vous à l’époque ? C’est votre dernier album de dark wave, en aviez-vous assez de composer ce genre de musique ?
–1991 est l’année de naissance de la techno et de la haine des groupes de rock traditionnels. C’était aussi valable pour nous. Alors nous avons essayé d’atteindre les sommets d’une voix racontant des histoires de façon directe et pure, des histoires qui venaient droit du cœur, sans la platitude des groupes de rock. Vous savez, de nombreux riffs à la guitare, avec leurs delay et leur chorus, se ressemblent énormément au fil du temps. Ils se ressemblent tellement qu’ils vous empêchent de raconter des histoires authentiques. Alors nous avons décidé d’être aussi radicaux que possible et de donner à la voix une chance de faire passer des émotions authentiques, avec autant d’intimité et de puissance que possible.
–Vous avez déménagé à Ljubljana à l’époque. Avez-vous ressenti une différence entre vivre à Cologne et vivre dans la capitale de la Slovénie ?
–Oui. Vous savez, chaque ville connaît son apogée de période culturelle. À Cologne, cet apogée a eu lieu au début des années 1980, avec l’expérimentation intellectuelle et artistique. À Lubljana, elle a eu lieu peu avant et après la chute du rideau de fer. De nombreux jeunes artistes ressentaient énormément de choses à propos du monde et à propos de ce qu’il fallait faire de sa vie.
–Pour Sonic Dust, les guitares sont de retour, bien que l’influence de la musique dance de l’époque est évidente. Est-ce la faute de votre ami Moby ?
–Nous avons déménagé à Londres pour commencer un nouveau chapitre. Pour commencer de zéro. En effet, nous pensons que si on essaie de répéter les succès passés, on diminue la crédibilité du passé tout en s’en moquant. Alors nous avons passé notre temps dans les discothèques de Londres. Le nouvel esprit underground alternatif de l’époque, la dance, s’est allié à notre style et à notre son. Moby allait encore plus loin. Il a complètement arrêté de jouer du punk et est devenu DJ ou producteur. Il samplait et combinait de la musique qui existait déjà, et y ajoutait des grooves et des pads au clavier. Il a été radical dans sa façon d’arrêter de créer ou de s’attribuer des créations. Nous, nous sommes redevenus un groupe classique, avec une batterie, une basse, etc. Je crois que nous sentions que notre phase Eremite et Aerdt était finie.
–Vous avez sorti 2 albums en 1994, dont Perfect Sex avec le producteur de Sisters of Mercy. Vous aimiez ce groupe ? Dave Allen a-t-il influencé votre album ?
–Non. Dave Allen aimait simplement notre musique et il nous a demandé s’il pouvait nous produire. À cette époque, les Sisters of Mercy étaient hors-jeu. Notre musique était beaucoup plus punk rock et plus du tout dark. J’aimais les Sisters à leurs débuts, et j’aimais leur premier album, avec Wayne Hussey en auteur et à la guitare. Plus tard, leur son a commencé à ressembler plus à du heavy métal, et ça ne me plaisait pas.
–Muzak est complètement opposé à votre premier album, de l’image du visage paisible au nom. Pourquoi avoir sorti un album acoustique ? Était-ce une façon de mettre fin à une période ?
–De nouveau, nous nous efforcions de faire quelque chose de nouveau. En plus, peu après, nous nous sommes sentis épuisés et nous avons arrêté de faire de la musique.
–Qu’avez-vous fait pendant la période où vous n’avez pas joué dans Pink Turns Blue ?
–Et bien, au début des années 1990, les multimédias et Internet ont fait leur apparition. Du coup, je me suis impliqué dans de nombreux projets artistiques de multimédias et sur Internet. Pour moi, la musique était devenue trop unidimensionnelle et répétitive. Il était temps pour moi d’explorer quelque chose de nouveau et de stimulant.
–Phoenix, votre album de réunion, a de nouveau le son classique post-punk de vos débuts. Comment vous est venue l’idée de vous réunir ?
–Au début, nous avons donné un concert de réunion au Wave Gotik Treffen en 2003, avec Tom à la guitare et Brigid au clavier et aux chœurs. Ce concert nous a motivés, nous voulions refaire quelque chose ensemble. Mais très vite, Tom a quitté le projet pour se consacrer au sien, et Marcus, le batteur d’origine (et maintenant artiste visuel à temps plein) nous a rejoints avec ses sons, ses samples et ses concepts visuels. Je dirais que c’est Marcus qui a eu la plus forte influence sur le son, avec Janez qui s’occupait du mix.
–Vous avez dit que Storm marquait la fin d’une communauté créative. En quoi il était difficile de « recommencer » ?
–Et bien malheureusement, juste après le Ghost Tour, notre batteur, Louis Pavlou, a quitté le groupe. Il était un membre important et caractéristique du groupe. À son départ, le projet semblait complètement déserté. Il y a beaucoup de musiciens, mais peu ont cette musicalité qui permet qu’un enregistrement ou une performance atteigne un niveau spécial. Avec les membres qui l’ont remplacé, il a été difficile de travailler sur un nouvel album. Nous ne nous amusions plus. Et ce n’est pas bon du tout.
–Aerdt – Untold Stories est votre dernier album. Quelle relation existe-t-il entre cet album et celui de 1991 qui porte le même nom ?
–Aerdt était un album très personnel, comme un album solo. C’est la même chose pour Aerdt – Untold Stories. Il y a beaucoup de parallèles entre les deux. La différence se trouve au niveau de l’arrangement. Aerdt – Untold Stories est fait avec des musiciens jouant en live et Aerdt contenait principalement des sons faits à l’ordinateur, mes voix et quelques guitares. À la fin, la musique enregistrée semblait offrir plus de dimension émotionnelle que la musique faite par ordinateur. La communication d’êtres humains jouant une chanson.
–Pink Turns Blue a joué à Valence cette année. Votre musique était plutôt populaire dans les années 1980 dans cette partie de l’Espagne. Aviez-vous déjà joué là-bas auparavant ?
–Non. J’ai toujours aimé Valence. Je suis un fan de Calatrava et de l’esprit de la ville. Le club où nous avons joué paraissait plus des années 1980 que Valence.
–Comme Thomas Elbern jouera au W Festival, sera-t-il possible de vous voir ensemble de nouveau ? Que pouvons-nous attendre de votre concert là-bas ?
–Et bien, je ne savais pas. Pour être honnête, Tom n’aime pas du tout la connexion. Il ne vaut mieux pas lui poser de questions sur Pink Turns Blue car tout ce que vous obtiendrez en retour ce sera un commentaire désagréable. Ce à quoi vous pouvez vous attendre : à un trio fortement connecté aux forces du groupe jouant tous les tubes. Nous savons quelles chansons veulent entendre les gens, et nous adorons leur donner un concert aussi spécial que possible. Juste pour créer et passer une bonne soirée, pour connecter les âmes.
–Pourriez-vous nous en dire plus sur ce que vous prévoyez à l’avenir ?
–Pour le moment, nous donnons des concerts pour explorer l’essence de notre musique. Et nous travaillons aussi sur de nouvelles chansons pour essayer de voir de quelle façon un nouvel album – un ensemble de nouvelles chansons, d’histoires visant à toucher l’âme – pourrait nous ouvrir un autre chapitre…
Photos : Daniela Vorndran et Knut Etlling