Parfois, la musique nous sert de catharsis pour nous libérer de nos problèmes. La musique de Leæther Strip nous a servi pour nous déconnecter d’une vie qui, parfois, n’est pas tendre. Nous avons interviewé Claus Larsen à propos de la carrière de l’un des principaux groupes de ce genre que nous adorons, l’EBM. Il jouera au W-Fest en mai. Une célébration de l’obscurité.
—Peux-tu nous décrire ta vie entre Non-Stop Erotic Cabaret et Black Celebration ? Comment ces deux albums l’ont-ils changée ?
—Au début des années 80, j’étais dans ma période sombre d’adolescent. Ces deux albums occupent une place spéciale dans mon cœur. L’univers de Soft Cell et de Depeche Mode représentait ma vie à l’époque. Je sentais qu’ils chantaient pour moi, et pour moi seul. Je vivais dans la banlieue, dans un endroit où je n’avais pas ma place. J’étais le seul punk du coin, tous les autres gamins de mon âge étaient riches et portaient des vêtements de marque. Je les méprisais avec chaque fibre de mon corps. J’étais aussi un punk homosexuel refoulé, donc je vous dis pas le mélange. Je restais dans mon coin et je me concentrais sur mon rêve de sortir mes chansons. Ces deux albums sont la raison pour laquelle j’écris des chansons aujourd’hui.
—As-tu écrit tes premières chansons en 1982 et en 1984 ? Tu avais 15 ans en 1982, lorsque tu as acheté votre premier Moog, pas vrai ? Ton mini-album de 2008, One Nine Eight Two était un hommage à cette année.
—Oui. J’ai écrit ma première chanson, « Dreaming », 14 jours après avoir reçu mon Moog. Avoir ce synthé m’a finalement montré la voie que je devais emprunter. Avant ça, je ne me voyais pas avec un avenir brillant, et j’aurais facilement pu devenir un nombre de plus dans les statistiques de suicides de jeunes gays. Acheter ce synthé m’a sauvé la vie.
—Coproduit par Talla 2XLC, ton premier single, Japanese Bodies, est sorti en 1989. Comment l’as-tu rencontré ? Ralf Henrich était-il aussi impliqué dans le projet ?
—Oui. Bon, Talla n’a pas vraiment coproduit, comme c’est écrit sur la pochette. C’est moi qui ai produit toutes les chansons chez moi. Ensuite, on a tout réenregistré sur leur 18-pistes de leur studio de Francfort. Ralf était le technicien et c’est lui qui a dirigé toute la session d’enregistrement: Il est vraiment gentil et est très talentueux.
—Ton premier album, The Pleasure of Penetration, présente un peu le même genre d’humour et de provocation que Coil. Étais-tu influencé par le groupe à l’époque ? Tu étais le seul membre de Leæther Strip, non ?
—Oui, c’est plutôt amusant, car quand j’ai écrit les chansons, je ne connais pas du tout Coil. Je n’avais encore jamais écouté leur travail. Je suis le seul membre de Leæther Strip, et c’est toujours le cas. Mon mari, Kurt, m’aidait sur scène pour les claviers avant de tomber malade. Au tout début, c’est Jesper Schmidt de Psychopomps qui s’occupait de jouer les claviers en concert.
—Dans ton EP Science for the Satanic Citizen, tu utilises des samplers de films. Le cinéma est-il une source d’inspiration pour le groupe ?
—Oui, beaucoup. Je suis un geek des films d’horreur. Je collectionne des films depuis les années 80, et j’ai une énorme collection. Mon inspiration vient des films, des livres, de l’art, et principalement de mon esprit malade. J’ai une dépression chronique, c’est ma thérapie.
—En 1991, tu as aussi créé le projet Klute et tu as sorti quatre albums. Pourquoi sortir ces chansons avec un nom différent ? Quelles sont les différences principales entre LS et Klute ?
—Klute (maintenant Klutæ) est mon « terrain de jeu punk ». En fait, c’était l’idée de Talla de composer le premier EP en tant que projet parallèle amusant avec des samples de guitare, et ça a fonctionné du tonnerre. Comme je suis très productif alors que je suis seul dans mon groupe, j’aime avoir un endroit où je peux sortir de ma zone de confort et expérimenter. Ça m’aide à avoir de nouvelles idées, à devenir un meilleur musicien et compositeur. Je suis beaucoup plus spontané lorsque je travaille sur Klutæ que lorsque je travaille sur Leæther Strip. D’ailleurs, je bosse sur le prochain album de Klutæ en ce moment même.
—Ton album de 1992, Solitary Confinement, est considéré comme ton meilleur album par certains de tes fans. Qu’en penses-tu ?
—Ouais, cet album a une vie à lui tout seul. Je suis très fier d’avoir composé un album il y a aussi longtemps que les gens aiment et adorent toujours. Ce n’est pas le cas de beaucoup de groupes. Lorsque j’ai composé et enregistré cet album, j’étais vraiment dans une période sombre de ma vie. C’est mon album qui s’est vendu le plus, et il se vend encore très bien. L’album m’a permis d’atteindre un plus grand public que ce que j’aurais pu imaginer. Il y a encore une grande part de moi en lui, j’ai vraiment fait ce que j’aimais.
—Depuis 1992, le groupe a sorti beaucoup de matériaux limités, comme la série Yes, I’m Limited. Est-ce comme un cadeau aux fans ou juste une façon de sortir plus de matériel ?
—Oui, c’est très important pour moi de sortir quelque chose de spécial pour mes plus grands fans. C’est pour eux que je fais ça. Les collectionneurs occupent une place particulière dans mon cœur. En tant que collectionneur moi-même, je sais ce que ça signifie d’avoir quelque chose de spécial que personne d’autre n’a.
—On constate un gros changement de son dans ton album de 1994, Serenade for the Dead. Que s’est-il passé ?
—Je n’y ai pas vraiment pensé, ça s’est juste produit. J’ai composé des morceaux comme ça avant la création de Leæther Strip. J’adore les bandes-son de film et je voulais écrire un album qui jouerait le rôle de bande-son pour les livres que je lisais à l’époque. Comme Clive Barker et Stephen King. Le label voulait que je sorte cet album sous un autre nom, mais j’ai refusé. Je ne suis pas un objet qu’on peut mettre dans une boîte, j’aime beaucoup de genres de musiques et ça se reflète dans mon œuvre. J’ai aussi composé Serenade for the Dead Part II, et il est possible que j’en fasse une troisième partie.
—The Rebirth of Agony, de 1996, est un autre de tes albums classiques. Avec Self-Inflicted, il s’agit de l’un des albums les plus « tourmentés ». Vivais-tu une mauvaise époque ?
—J’utilise la musique pour purger toute l’obscurité hors de mon système, car j’en suis engorgé. Je suis né avec une dépression chronique qui n’a pas été traitée, car à l’époque, les enfants « n’étaient pas déprimés ». J’ai appris dès le plus jeune âge à sortir les monstres et les pensées sombres qui sommeillent en moi en étant créatif. Écrire des chansons m’aide à garder un certain équilibre. Je n’ai jamais pris de médicaments, la musique est mon remède.
—Pendant cinq ans, de 2000 à 2005, tu n’as rien sorti. Pourquoi ?
—C’était de la merde. 1999 a été une année horrible pour moi. Mon père adoré est mort, j’ai dû me faire une opération qui a mal tourné, et j’ai eu des douleurs chroniques. Du coup, on m’a mis sous antidouleur extrêmement puissant. Le label a coulé et j’ai découvert qu’ils m’avaient volé une grosse somme d’argent. J’ai perdu tout mon matériel et je n’allais jamais toucher de royalties pour ça non plus. J’ai aussi découvert que le propriétaire du label était un enfoiré d’homophobe. J’en ai eu assez du business de la musique et je suis tombé dans une très grosse dépression.
—Le premier album sorti peu après cet arrêt est After the Devastation. La destruction de La Nouvelle-Orléans t’a-t-elle poussé à écrire l’album ? Comment écrivais-tu tes paroles ?
—Non, le titre de l’album n’a rien à voir avec le désastre de Katrina. Une chanson de cet album, appelée « Give us some shelter (Katrina) », était bien basée sur le désastre. Cependant, le titre de l’album parlait de ma sortie de mes cinq années d’enfer. J’écris mes paroles très tôt dans le processus de composition. D’abord je travaille sur la ligne de basse basique et le rythme de la batterie. Ensuite je commence à écrire les paroles et la mélodie de la voie. Puis, je construis les sons autour de ça.
—Civil Disobedience, de 2008 et Mental Slavery, de 2010 ont quelque chose en commun : ce sont deux très longs albums. Lorsque tu commences à écrire un album, prévois-tu de le faire long, ou prends-tu cette décision en cours de route ?
—Oui, j’ai composé beaucoup de chansons sur ces albums. Je ne le prévois pas, ça se fait tout seul. Je suis très productif, et je veux que les gens écoutent ma musique. Les chansons qui sont gardées au fond d’un tiroir ne vivent pas, et je ne finis jamais une chanson si je ne la sens pas. J’écris des chansons pour moi. Je leur donne leur propre vie en les sortant, mais c’est juste un bonus.
—Mental Disturbance et Mental Recovery sont des albums de remix. Comment sélectionnes-tu les artistes que tu remixes ? Es-tu toujours satisfait du résultat lorsque d’autres artistes te remixent ?
—Je demande aux groupes que je trouve intéressants, c’est aussi simple que ça. C’est toujours amusant d’écouter ce que les autres musiciens arrivent à sortir de mes chansons. J’adore les remix, mais malheureusement, ce n’est pas quelque chose de très populaire dernièrement.
—Toujours en 2010, tu as sorti une bande-son, Dark Passages. Est-ce difficile de composer de la musique pour les films ? Cesar Cruz était le directeur du film, pas vrai ?
—Oui, et c’est l’un de mes albums préférés de Leæther Strip. Je l’ai composé avant même que le film ne soit réalisé. Je disposais du script et du dialogue. Au final, c’est la musique qui a inspiré le directeur, Cesar Cruz. J’espère pouvoir faire plus de travail dans ce genre, j’ai vraiment adoré.
—Æppreciation, en 2014, est ton premier album de reprises. J’ai été surpris par l’inclusion de « Breaking the Law », une chanson de Judas Priest.
—Oh oui, j’adore Judas Priest, et d’autres groupes de métal. Rob était mon héros lorsque j’étais ado. Tous les gays savaient qu’il était gay dans les années 70. Ça a vraiment été un choc de voir tous ses fans réagir si mal quand il a fait son coming out. Je pensais que tout le monde savait. « Breaking the law » a toujours été une chanson spéciale pour moi. J’ai aussi fait une reprise synth pop de « Turbo Lover », avec mon groupe de synth pop Am Tierpark. J’adore tous les genres de musique, pour moi, ils peuvent tous être bons si on y met du cœur. Une bonne chanson est une bonne chanson.
—Tu as consacré Æppreciation III à un mouvement, la Neue Deutshce Welle. Qu’aimes-tu chez ces artistes ?
—J’adorais tous ces artistes. Tout ce mouvement était incroyable, il s’est produit juste après le post-punk. Il conservait des éléments du punk, mais la composition des chansons s’était grandement améliorée. On y retrouvait encore le punk et des mélodies très prenantes. Très simple et minimaliste, mais incroyable. Ils ont sorti le « No Future » de la musique. Il y avait de l’espoir.
—Ton dernier album de matériel original est World Molester : comment a changé Leæther Strip au fil de ces années ?
—Oui, et il a eu beaucoup de succès. Je ne pense pas vraiment à ça et je ne sais pas comment j’ai changé au fil des ans. Je fais du mieux que je peux pour apprendre plus et devenir un meilleur compositeur et producteur pour chaque album. Je ne prévois jamais quelle sera la prochaine chanson. Tout se passe lorsque je m’assois dans mon studio et que je compose.
—À part ces trois albums, tu as deux albums reprenant des chansons de Depeche Mode et de Simple Minds. Était-ce facile d’amener les chansons de Depeche Mode dans ton monde ? Quel est le prochain groupe sur votre liste ?
—Dernièrement, j’ai repris « Army of Me » de Björk. Sur cet album, je fais des reprises de groupes comme Killing Joke, Laid Back, NIN, The Misfits, Filter, Lead into Gold, Billy Idol, Garland Jeffreys et Depeche Mode. Je ne sais pas ce que je reprendrai par la suite, par contre.
—Tu as aussi un autre projet parallèle, Am Tierpark, qui est plus synthpop. Que peux-tu nous en dire ?
—Am Tierpark est composé de John Mirlan et de moi-même. On partage tous deux l’amour de la pure synth pop mélodique et les synths classiques. Un beau dimanche au printemps 2015, alors qu’on marchait ensemble et qu’on parlait de musique tout en regardant les animaux du Tierpark de Berlin, on a créé Am Tierpark. On veut que notre musique ne soit pas surproduite et ne baigne pas dans les effets. On veut présenter les sons, les mélodies et les paroles de façon claire à l’auditeur. Ce groupe est une ode à l’amour des belles mélodies, des synthés et des paroles qui émeuvent celui qui écoute. On est vraiment des âmes sœurs musicales, et le nouvel album Kings of Failure est sorti il y a quelques mois.
—Tu as sorti Æppreciation IV, il y a tout juste un mois. Souhaites-tu nous dire un mot sur tes nouveaux albums pour Leæther Strip et Klutæ ?
—Oui, il est sorti chez le label américain Cleopatra Records, tout comme les autres albums de la série Æppreciation. Je vais malheureusement devoir retarder la sortie de l’album de Klutæ en raison de la situation actuelle avec mon mari, Kurt. Les CD sont produits et étaient prévus pour mars, mais comme je les sors moi-même, je n’ai ni le temps, ni l’argent pour le moment. Je passe la plupart de mes journées avec Kurt à l’hôpital qui se trouve à 2h30 de route. Je ne peux pas me permettre de perdre plus de temps. Dès que Kurt ira mieux, je me remettrai sur les rails. J’ai prévu le prochain album de Leæther Strip pour cet automne, si tout se passe bien. Toutes les chansons sont déjà composées.
—Uniquement si tu veux en parler bien sûr, comment va Kurt ? On a vu que tu essayais de récolter de l’argent pour couvrir ses soins. Veux-tu ajouter quelque chose ?
—Ces derniers mois ont été très difficiles pour Kurt. Plusieurs médecins et chirurgiens n’ont pas vu un énorme abcès à côté du rein que je lui ai donné. Il était rempli d’un litre de fluide… S’il s’était rompu, il serait mort en quelques heures. J’ai presque perdu mon Kurt. Il a subi six opérations en une semaine, et aura besoin d’opérations supplémentaires. C’est une situation très difficile pour nous, il a besoin que je sois là tous les jours pour m’occuper de tout, et j’ai besoin d’être avec lui. Kurt est la personne la plus courageuse que je connaisse, et j’ai beaucoup d’espoir. On a demandé de l’aide des fans pour que je puisse aller le voir tous les jours, car l’essence coûte très cher. Les gens peuvent faire un don par PayPal (à l’adresse [email protected]) ou vous pouvez faire votre shopping sur Bandcamp. Chaque centime sera utilisé pour les soins de Kurt. Merci !! Je viens aussi de sortir un nouveau single en bénéfice pour Kurt. C’est une chanson que j’ai écrite avec Mildreda (Jan Dewulf).
—Que peux-tu nous dire que ton futur concert au W-Fest ? Vas-tu te concentrer sur la période de Zoth Ommog?
—Je n’ai pas encore choisi les chansons pour le set, mais je pense que je vais partir sur des old school. Je pense que ça correspondra bien au festival. J’ai vraiment hâte, je vais retourner en enfance avec toutes ces légendes de la musique sur scène.