Si vous avez vécu en Italie et que vous aimez un certain style de musique, il impossible que vous n’ayez jamais entendu parler de Kirlian Camera. Je les ai découverts pour la première fois à Milan, il y a huit ans, grâce à une compilation de Sprittle Records. Ils ont également été les protagonistes de mon troisième article sur cette revue numérique, en 2016, quand elle était encore monoglote. Début 2016, j’ai eu l’occasion de savourer un incroyable concert et c’est pour cela que j’éprouve une grande satisfaction à interviewer le grand Angelo Bergamini, membre fondateur du groupe italien. Ils joueront au DarkMad, à Madrid, le 26 octobre.
—Au début, le nom du groupe était Suicide Commando. Vous l’avez modifié car un autre groupe portait ce nom, mais en 1986, un autre groupe est devenu célèbre sous le même nom. Pensez-vous que les choses auraient été différentes si vous aviez conservé ce nom ?
—Exact, il y avait un groupe appelé Suicide Commandos, au pluriel, à l’époque. J’ai donc décidé de changer de nom après une poignée de concerts. Ensuite, le style de mon projet Suicide Commando n’avait rien à voir avec celui de Kirlian Camera. Il était beaucoup plus agressif, plus industriel, un mix de SPK, Suicide, Cabaret Voltaire, etc. Je ressentais que je devais montrer plus de respect à la musique pop. Je devais montrer que j’étais capable de créer de vrais morceaux, en mélangeant la mélodie et la recherche. D’un autre côté, j’étais influencé par la musique classique, en particulier par les compositeurs de musique classique, de la fin du XIXe, début du XX, comme Mahler, Verdi et Wagner en particulier. Continuer à faire des morceaux bruyants n’était pas vraiment mon truc, c’était juste un sale tour que je me jouais à moi-même.
—Aimiez-vous d’autres groupes italiens du début des années 80 ? Neon? Diaframma ? Chrisma ? Limbo ?
—Je les aime tous, et vous devriez ajouter Faust’o/Fausto Rossi à votre liste, tout comme beaucoup d’autres. Ce n’était pas des suiveurs. Ces groupes avaient une vraie inspiration. Chrisma et Rossi, en particulier, ont prouvé qu’ils étaient des génies, qu’ils avaient toujours plusieurs coups d’avance…
—Était-ce difficile d’enregistrer votre premier EP ? Je suppose que personne ne savait vraiment comment travailler avec ce genre de son en Italie.
—À l’époque, l’Italie était presque entièrement isolée. Il était possible de créer un projet « expérimental » pour quelques personnes, mais les chances d’en faire un projet à succès avec de nouveaux sons étaient extrêmement limitées. Ensuite, on a signé chez Virgin Records. Il s’agit d’un événement isolé, d’une anomalie… puis quelque chose a changé, mais si ce n’était pas grand-chose. Les productions britanniques et américaines continuent de tyranniser la scène musicale d’aujourd’hui, même si des musiciens d’autres pays arrivent à percer sur le marché mondial. Je pense que Kirlian Camera utilisera de moins en moins l’anglais pour les paroles. Je n’aime pas me sentir obligé de chanter dans une langue étrangère à tout prix sous peine de ne pas avoir de distribution efficace par la suite, par exemple, au Canada. Je n’ai pas participé à la Seconde Guerre mondiale, je n’ai donc jamais compris pourquoi on devrait être assujettis à ce genre d’arrogance, parce que l’Italie avait perdu la guerre et/ou à cause d’autres motivations ridicules. Des cas isolés comme Rammstein, Ramazzotti et Julio Iglesias ne sont que des exceptions, pour citer des artistes de différents genres qui pourraient être considérés comme l’exemple opposé de la démocratie culturelle. Dans le monde, il existe tant de langues intéressantes… L’italien, le français, l’allemand, l’espagnol, l’arabe, etc. Le temps est venu pour les tyrans de commencer à apprendre différentes cultures et façons de s’exprimer. Je suis conscient que ma déclaration ne plaira pas à ceux qui sont habitués à supposer qu’il existe un monstre derrière les vraies rébellions. Ceux qui sont vraiment libres n’auront nul besoin de se sentir blessés, car je n’ai absolument rien contre la culture anglaise. Mais je n’aime pas l’idée de domination masquée par la démocratie irréelle et le mondialisme. Pourquoi passerais-je mes années, mon argent et mon énergie à apprendre une langue étrangère, quand les personnes nées dans certaines nations trouveront toutes les portes ouvertes ? Des paroles à méditer.
—Vous dites toujours que vos derniers albums sont les meilleurs et vous parlez à peine de vos albums des années 80. Que pensez-vous maintenant de votre premier album, It Doesn’t Matter ?
—Je ne l’aime pas tellement, tout comme je l’ai dit lors de sa sortie. Ensuite, pour ce qui est de mes goûts, le passé a toujours l’air ennuyeux. Je préfère penser à l’avenir.
—Comment votre groupe a-t-il été reçu à l’époque, en Italie ?
—On était appréciés, au début, même si beaucoup de prophètes de l’underground ne nous toléraient pas plus que ça. Pour eux, notre style ressemblait trop à de la pop. On est un groupe pop qui utilise des sons électros. Bon, « un groupe pop bizarre », comme beaucoup aiment à nous qualifier aujourd’hui. Un groupe pop qui a eu le toupet de tout balancer, de ne jamais respecter aucune règle. Pourquoi aurions-nous dû changer de style pour faire plaisir à ces prophètes autodéclarés ? La musique est connectée à l’esprit, à l’âme, aux idéaux. Même si on n’est qu’un groupe pop…
—Maintenant, c’est difficile de penser que vous étiez impliqué dans un projet disco. Est-ce que vous aimiez ça à l’époque, ou était-ce juste pour l’argent ?
—Pour m’amuser. Juste pour m’amuser. C’était un moment de relaxation, une expérience insouciante. J’aime la musique glamour et commerciale, alors parfois, j’aime faire des digressions dans différents genres de musique. Je suis l’entité invisible derrière SPECTRA*paris, tandis qu’Elena est celle qui tire les ficelles de Stalingrad Valkyrie !
—Était-ce difficile d’enregistrer un deuxième album avec tous les changements de line-up ?
—Un peu, car tout le monde semblait aimer créer des obstacles, tout le temps. Par exemple, Simona Buja était une championne hors pair en la matière !
—Quel changement s’est opéré en vous pour que vous écriviez l’album Todosengel ? Normalement, après quelques années, les artistes commencent à se vendre, mais vous avez pris l’autre direction.
—Il était nécessaire que les gens comprennent que Kirlian Camera n’avait rien à voir avec les autres. C’est le respect de la musique qui compte. Je n’avais nul besoin de me forcer dans une direction ou dans l’autre. On a juste besoin de satisfaire notre besoin d’être responsable. C’est encore plus vrai de nos jours.
—Lequel de vos albums des années 90 nous recommandez-vous ? Peut-être Solaris ?
—J’aime la recherche derrière Unidentified Light. Il y a 20 ans, il n’a pas été bien reçu… mais Still Air, sorti un an plus tard, a tout remis sens dessus dessous… certaines personnes ont réalisé qu’il y avait une sorte de créativité qui se cachait derrière l’album..
—Je suppose que la rencontre avec Elena Alice Fossi a été l’un des moments les plus importants pour le groupe. Comment s’est-elle produite ? Le premier album avec la nouvelle formation s’appelle Invisible Front, et sort en 2005. C’est aussi l’un des plus acclamés. Que pouvez-vous nous dire de plus à ce sujet ?
—Officiellement, Elena Alice a rejoint le groupe en janvier 2000. Elle a fait ses débuts en tant que chanteuse et compositrice sur Still Air. Mais il faut également ajouter que ses vrais débuts ont eu lieu un an plus tôt, que ce soit sur scène et dans le studio. Simplement, elle était trop jeune, ses parents ont eu donc quelques hésitations avant d’approuver son choix, ce qui peut se comprendre. Ensuite, lorsqu’elle a enfin eu la possibilité de rejoindre officiellement le groupe… elle était « trop jeune et trop belle » pour être prise au sérieux. Vous savez comment sont les gens, même dans la scène alternative ! L’attitude d’Elena était vraiment étrange malgré son jeune âge. Elle a dû faire face à de trop nombreux tests : une fille si talentueuse, dont la voix et le talent musical étaient déjà à des millions d’années-lumière de ceux des divas célèbres… elle aurait dû cracher du sang pour être prise au sérieux ?! Et oui, c’était le cas. Elle l’a fait avec dignité, sans jamais se plaindre, sans caprice. Jamais je ne pardonnerai à un certain type de public. C’est impossible. Et mon ressentiment est dangereux. Mieux vaut ne pas m’avoir comme ennemi. Les gens sont particulièrement stupides, ça ne fait aucun doute. Plus ils veulent prouver qu’ils sont différents, plus ils confirment qu’ils ne sont que d’irrécupérables ignorants et des conservateurs sans cervelle. Des cochons manipulés sans aucun caractère. Porter des lunettes et combattre pour l’environnement n’est pas suffisant.
—Autre album important : Coroner’s Sun. Comme la plupart de vos albums, vous l’avez produit tous les deux. N’êtes-vous plus intéressés par le fait de travailler avec des producteurs ?
—En général, Elena Fossi est notre productrice et je pense qu’elle est bien meilleure que ces gens qui nous font perdre notre temps et qui travaillent ou possèdent des studios très chers. De toute façon, je ne pourrai pas écarter certaines possbitiliés quant aux collaborations dans le processus de production. Certains noms nous plaisent… Qui sait ? Mais je ne pourrai pas accepter une production entièrement externe, seulement des co-productions, car l’expérience musicale d’Elena est essentielle pour obtenir le son le plus adéquat.
—Le groupe, tout comme d’autres groupes de neo-folk comme Death in June, ont été accusés d’être d’extrême droite. Avez-vous une idée de qui a lancé ces rumeurs et de quels intérêts ils pouvaient avoir ?
—Certaines personnes ont l’arrogance d’essayer de plier les artistes à leur orientation politique. La créativité ne devrait jamais être jugée, tout particulièrement quand il est clair qu’un artiste ne suit aucune idéologie politique précise. Du coup, je ne pouvais pas accepter d’être attaqué parce qu’un tyran inconnu voulait juger notre créativité. Ce ne sont des tyrans rien de plus, rien de moins. Ils ont créé des problèmes, ça se retournera bientôt contre eux. Est-ce qu’on est fascistes ? C’est possible. Ou peut-être que non. Qui sait ? On n’a jamais accepté de donner notre véritable position, car nous ne voulons pas être jugés. Et… si le concept de démocratie de certaines personnes est représenté par une telle attitude envers l’intolérance et la manipulation… et bien, ils ont raison, nous sommes le mal incarné ! De toute façon, je me demande comment notre amie africaine Fakeba, qui enregistre en ce moment même un single avec Elena et moi-même, continuerait à collaborer avec nous si on était racistes ! Certaines personnes continuent de dire qu’on est racistes, mais beaucoup d’Africains, de gays, de lesbiennes et d’enfants nous aiment, car nous les respectons et nous travaillons avec eux, nous montons sur scène pour eux ou avec eux, dans une complète harmonie, en essayant de les aider à combattre pour leurs droits. Mais si quelqu’un vient nous demander notre passeport d’extrême gauche, désolé, mais on n’en a pas ! Nous avons cette joie dans notre cœur, une joie, une liberté qu’aucune police ne pourra jamais nous enlever.
—Votre dernier album, Hologram Moon, est plus dansant, bien que la plupart de vos derniers albums aient cette qualité. Considérez-vous votre musique comme de la dance ?
—J’aime écouter la dance. Moroder, Kraftwerk et Pet Shop Boys sont de bons artistes, pour en citer quelques-uns, et sont souvent mentionnés comme appartenant à la scène « dance ». Chvrches sont plutôt pas mal. J’aime le glamour et le style, j’aime la mode et tout ce qui a attrait au mystique. Hologram Moon est un concentré de nombreux ingrédients. De la musique électronique d’abord. Le produire a demandé de gros efforts. Ce n’est pas un mystère, de nombreux musiciens professionnels l’apprécient. Produire un bon album qui offre plusieurs ingrédients n’a rien d’un jeu d’enfant. Hologram Moon est un album compliqué à produire. On voulait offrir un bon travail. Ça n’a pas d’importance si la recherche qui se cache derrière est extrêmement étendue. Quelqu’un qui écoute l’album ne devrait pas s’en rendre compte dès la première écoute. De toute façon, je viens de la pop. De vieilles chansons comme « Ocean », « Blue Room » et « Edges » ont l’air encore plus commerciales que celle que l’on compose aujourd’hui. Personne ne peut dire le contraire. Je m’en fiche de faire de la musique commerciale ou non commerciale. Depuis longtemps, on a prouvé qu’on ne respecte aucun engagement. Tout ce qu’on respecte, c’est la créativité et la pureté. C’est ça, Kirlian Camera, qu’on le veuille ou non.
—Le groupe vient de sortir un nouvel EP, Hellfire. Est-ce que vous prévoyez de sortir un album ? Que pouvez-vous nous dire sur ce nouvel EP ?
—Un jour qu’on écoutait une compilation de Dark Americana, on est tombé par hasard sur « Hellfire », de Barns Courtney. Immédiatement, on a ressenti le besoin d’en faire un hymne électronique. En général, on aimait cette atmosphère de gospel. On n’a pas vraiment attaché d’importance aux paroles. On a donc voulu augmenter cette sensation de gospel est épique. Le fait que le résultat soit une étrange chanson pop était inévitable. Le fait d’avoir ajouté ces rythmes militaires nous a vraiment plu.
—Comment les concerts du groupe ont-ils évolué avec le temps ? On a vu Kirlian Camera il y a quelques années à Milan, et on a été vraiment surpris.
—À un moment dans notre carrière, nos concerts ont dû grandement changer, autrement, j’aurais dû tuer le groupe moi-même ! Nos concerts des années 90 par exemple étaient souvent une expérience abrutissante, bien que mes compagnons musiciens étaient très bons. Je ne ressentais pas grand-chose… c’était inquiétant et frustrant. Le groupe que j’ai aujourd’hui est celui dont j’ai toujours rêvé. En plus, je devais trouver une chanteuse, une musicienne, une compositrice hors pair en 1999. J’ai trouvé Elena Alice et la magie s’est produite, c’était presque inexplicable ! J’en avais assez de ces stratégies underground. On est des musiciens, pas des poseurs. Je ne sais pas si on est controversé, comme des petits drôles disent, ou non… mais un artiste doit être controversé. Pourquoi diable devrait-il jouer de la musique alors qu’il peut connaître le succès en tant qu’orateur acteur ou politicien ? Le problème, c’est qu’il n’existe pas d’artistes vraiment controversés aujourd’hui. Ils sont-elles assumées. Je n’éprouve aucun respect pour de telles têtes vides.
—Pensez-vous que la scène de la musique italienne s’est améliorée au fil des ans ? Maintenant, on retrouve Spiritual Front, Ash Code, Winter Severity Index… est-ce que vous aimez ces groupes ?
—Ce sont de bons groupes, ils apportent un nouveau souffle à la musique alternative d’aujourd’hui. J’ajouterais également Dope Stars Inc, Delendanoia, Carnera, Hidden Parts, TourDeForce, Tying Tiffany et Blank. La liste pourrait être bien plus longue car l’Italie underground a tellement de bons groupes à offrir. Certains sont littéralement ignorés par les magazines, je ne sais pas pourquoi. J’adore Tiziano Ferro. Ce n’est pas un chanteur stérile : il aime ajouter une créativité efficace à son travail. Même Division K-Pax est un nom prometteur…
—Vous avez également un projet parallèle appelé Stalingrad Valkyrie. Que pouvez-vous nous en dire et qu’en est-il d’Uranium USSR 1972 ?
—Le dernier album de Stalingrad Valkyrie s’appelle Martyrium Europae. Il est sorti en édition ultra limitée il y a peu, et sera republié bientôt en tant que version standard et de luxe. Il fait suite à Demo Adventure, un mini album de six pistes dont les exemplaires se sont épuisés en quelques heures. On a un public nombreux que le business de la musique le veuille ou non. Encore une fois, on suit notre propre voie, indépendamment de rumeurs, des blablatages et des balivernes. Au contraire, Uranium USSR 1972 et apparemment terminé et je ne sais pas si je lui donnerai une nouvelle vie. Nous verrons.
—Que pouvez-vous nous dire sur le projet d’Elena ?
—Je pense que SPECTRA*paris va être mis en cryostase temporaire. Je sais qu’il y a des chansons qui doivent sortir, mais je ne sais pas si ça a du sens de le faire via les chaînes de cette scène. Cette scène est une alcôve. Principalement faite pour d’autres situations. SPECTRA*paris est une association de glamour, de fashion, de nostalgie, de fantaisie, de recherche électronique, d’expérimentation de la voie, de mémoire de cyborg, de décadence de rock « n’ roll, d’échos lynchesques, de musique classique… un peu trop, pour les auditeurs moyens.
—Nous adorons le cinéma. Vous avez travaillé sur quelques bandes-son. En quoi est-ce différent de composer de la musique pour les films ?
—Tout d’abord il va sans dire qu’écrire une chanson pour votre propre album est un acte de pure créativité tandis que respecter les temps, les idées, et le rythme du film requiert de la discipline, surtout quand le réalisateur ou la compagnie de production n’arrivent même pas à se mettre d’accord ! Beaucoup de réalisateurs de films et beaucoup de producteurs sont confus, vous savez. On aime s’occuper de la production de films, car c’est un bon entraînement musical, mais après tout, il n’y a rien de tel que de suivre sa propre inspiration ! En plus, pour composer une bande-son de films, il faut avoir du très bon matériel. Ne pensez même pas que vous puissiez composer de la musique de film sur un ordinateur portable 500 €, même si… on l’a fait il y a quelque temps, haha !
—Que pouvez-vous nous avancer sur votre concert au DarkMad ?
—Je ne sais pas encore… mais je sais qu’on sera en force sur scène… devinez pourquoi ?