Nous avons eu le plaisir d’interviewer Jean-Christophe Arnell, de Collection d’Arnell-Andréa (Pascal Andréa, co-fondateur, a abandonné le groupe après son premier concert, restant seulement présent dans le nom), compositeur principal et pianiste d’un des meilleurs groupes dark français. Depuis peu, ils ont sorti leur dixième album, intitulé Another Winter. Ils joueront un set acoustique tous les jours au W Festival, dans la zone VIP.
–Quelles étaient vos influences au début ? Dead Can Dance ont-ils eu une grande influence sur vous ? Et qu’en est-il de Death in June et de Bauhaus ?
–Notre principal désir consistait à proposer une musique qui puisse intégrer des instruments électroniques (boîtes à rythmes et synthétiseurs) et des instruments plus acoustiques comme des percussions ou bien entendu, le violoncelle. Bien sûr, la découverte du premier album de Dead Can Dance ne pouvait que nous enthousiasmer et surtout nous inciter à poursuivre dans cette voie, qui n’était pas forcément évidente auprès des médias en cette fin des années 80. Notre premier maxi 4 titres fut d’ailleurs produit par un label anglais…
–Comment était la scène française dark wave néoclassique des années 1980 ? Nous ne connaissons qu’Ordo Equitum Solis.
–En fait, c’est surtout à partir de notre album Tristesse des Mânes sorti en 2002 (compositions pour alto, violoncelle, piano et voix) que notre présence au sein de la scène néoclassique parut évidente. La scène dark wave, à laquelle nous avons toujours été rattachés, était issue de différents courants : le postpunk et les débuts de la scène électronique.
–Dead Can Dance ont toujours été influencés par les musiques baroques et médiévales européennes. Pensez-vous que vos influences classiques sont plus modernes ? Je retrouve plus de références de la fin du XIXe siècle dans votre musique.
–Effectivement, nos références s’apparentent davantage à la musique de la fin du XIXe siècle : Fauré, Gounod, Debussy, Duparc…
–Pourquoi pensez-vous qu’au milieu des années 1980 surgit cet intérêt dans des musiques tant oubliées ?
–Peut-être une certaine forme de nostalgie et certainement la nécessité de faire tomber les barrières qui existaient jusqu’à lors entre les différents styles de musiques.
–Quelles sont les influences de vos paroles ? Le symbolisme ? Alain-Fournier ?
–J’ai toujours essayé de parler de l’Homme, de ses sentiments, de ses angoisses par le prisme de la Nature. Comme si la Nature et l’Humain ne faisaient plus qu’un. Sinon, j’attache également beaucoup d’importance à la forme des textes, toujours écrits sous la forme de poèmes, souvent en vers, qu’ils soient écrits en anglais ou en français ! Je tiens à ce que mes textes puissent être lus indépendamment de leur musique, comme de véritables poèmes.
–Un Automne à Loroy est votre premier album de 1989. Comment s’est passé l’enregistrement ? Est-ce que ça a été facile d’exprimer votre son ?
–Ce premier album fut enregistré dans un petit studio, 12 pistes. Nous savions que notre souhait de mélanger des synthés et le violoncelle serait délicat, mais nous avons été aidés par notre ingénieur du son Sylvain Leboucher (avec qui nous avons enregistré les 2 albums suivants) et j’aime toujours beaucoup le son de ce disque ! C’est avec ce disque que nous avons signé chez New Rose / Lively Art (mythique label français indépendant de l’époque), donc un excellent souvenir.
–En 1990, vous sortez Au Va des Roses, qui vous fait connaître d’un public plus nombreux. Pensez-vous que votre son plus classique est né dans cet album ?
–Ce disque est un peu dans la continuité de Un Automne à Loroy ; il est d’ailleurs sorti seulement un an après. Effectivement nous avons eu beaucoup de bonnes chroniques, notamment le Melody Maker ou Liberation. Je pense que ce disque est davantage Dark Ethereal Wave, que « néoclassique » même si le violoncelle et la voix de Chloé ont toujours une place importante. Mais il y a beaucoup de synthés et de boîtes à rythmes…
–Les Marronniers, de 1992, est l’un des albums où l’on apprécie le mieux vos influences classiques. Comment passe-t-on du rock à la musique classique ?
–Vous avez raison, c’est dans cet album que nous sommes allés « au bout » du processus en proposant quelques morceaux très « musique de chambre ». Mais je n’avais pas vraiment l’impression de passer d’un univers à un autre, tant toutes ces influences (musique classique et rock) font partie de notre inspiration à tous dans le groupe. Nous avons enregistré toutes les lignes de piano dans un ravissant salon du XVIIIe siècle, dans un château…Bref, toute l’ambiance était là pour nous accompagner !
–Villers Aux Vents, de 1994, est un album conceptuel sur la Première Guerre mondiale. Avez-vous prêté une attention particulière à une autre œuvre conceptuelle ? Diriez-vous que tous vos disques sont conceptuels par essence ?
–Oui pratiquement tous nos albums sont « conceptuels » ; en tous cas j’essaie toujours de m’imprégner d’une idée forte pour l’écriture ; parfois c’est le hasard qui m’entraîne, comme pour Villers-aux-Vents ; c’est la découverte d’une série de photographies stéréoscopiques, datant de cette période (1914-1918) qui m’a conduit à écrire tous les textes autour de cet événement majeur de notre période de prédilection (fin XIXe / début XXe siècle). Cette fois la Nature est toujours présente, mais sous la forme de tranchées, de tombeaux, d’arbres calcinés. Pour la musique, avec des guitares plus écorchées, plus acérées, le thème général nous a également beaucoup guidés. Ce disque marque également notre collaboration avec Gilles Martin (Tuxedomoon, Minimal Compact, Bel Canto, Breath of Life…) rencontré à l’occasion d’un concert à Bruxelles.
–Cirses des champs de 1996 est très pastoral en revanche. À quoi doit-on ce changement aussi radical de thématique en seulement 2 ans ? Avez-vous eu plus de facilité à créer cette ambiance ou l’ambiance belliqueuse ?
–Toujours l’inspiration de la Nature, mais cette fois, une nature plus sereine, plus apaisée. Il était intéressant pour nous d’opérer ce changement de couleur musicale, mais en conservant le même producteur. Ce disque est, en apparence, beaucoup moins sombre que Villers-aux-Vents !
–Tristesse des Mânes : ce disque est basé sur une formation complètement classique et s’inspire des musiciens français de la fin du XIXe siècle. Comment est née cette idée ? Sept de ses chansons sont des reprises de chansons que vous aviez déjà sorties, comme « Aux Glycines défuntes ». Préférez-vous les nouvelles versions ?
–Nous avions envie de renouer avec des influences plus « classiques », et surtout de retrouver le son originel du violoncelle, de l’alto et de permettre à la voix de Chloé de prendre une place plus importante (au niveau du mixage notamment). Donc la forme de « mélodies » comme au XIXe siècle nous a semblé évidente ; ce disque ne comporte que des compositions pour piano, alto, violoncelle et voix. Comme un petit orchestre de musique de chambre en quelque sorte ! Nous jouons rarement dans cette configuration (WGT Leipzig en 2008), car il faut un lieu adapté (théâtre, église) et un piano. Cet album marque notre rencontre avec P.E., ingénieur du son et le début d’une longue et fructueuse collaboration, jusqu’à aujourd’hui.
–The Bower of Despair, de 2004, est le seul album dont le nom et tous les titres des chansons sont en anglais. Y a-t-il un motif à cela ? Peut-être parce qu’il fait référence à la musique anglaise des années 1980 ? Vous vous rapprochez d’un son gothique plus traditionnel, comme Siouxie and the Banshees, non ? C’est un grand changement par rapport au disque précédent.
–Oui, ce disque est assez référencé, d’où peut-être le titre en anglais ; mais vous noterez que la Nature demeure toujours présente et au centre de l’album ! Disons que nos influences les plus sombres (gothiques, coldwave et électroniques) apparaissent de façon plus précise. Un album résolument « dark », avec un artwork en totale adéquation…
–En 2207, vous sortez Exposition : Eaux fortes et Méandres. Comment vous est venue l’idée de créer des chansons inspirées de tableaux ? J’ai lu que vous aimez le groupe Rachel’s, qui ont sorti un disque appelé Music For Egon Schiele. Vous a-t-il plu ? Votre musique a aussi des points communs, bien qu’ils soient plus proches du post-rock, moins obscur. Musicalement, on note un changement avec l’incorporation d’influences comme Nine Inch Nails. Essayez-vous d’avoir un son plus actuel ?
–Là encore, la peinture nous offrait un concept parfait, autour d’œuvres dans lesquelles la Nature et les tourments des Hommes occupent une place essentielle : la vie, la mort et toutes les émotions qui en découlent. J’aime effectivement beaucoup les Rachel’s, mais tout autant NIN. Alors, il est logique de laisser transparaître des influences aussi fortes, même si quoique nous fassions, et tant mieux, notre musique sonne toujours quand même comme « du Collection d’Arnell-Andrea » ; effectivement nous avons parfois l’impression de prendre des risques, d’évoluer, d’expérimenter, mais finalement, nos musiques demeurent très identifiables et c’est ce qui contribue forcément à construire notre propre identité musicale.
–Vernes-Monde, votre album de 2010, montre un retour à votre son plus classique. Allez-vous poursuivre dans cette direction ou allez-vous essayer quelque chose de distinct dans le futur ?
–Vernes-Monde pourrait être une sorte de suite de Un Automne à Loroy. Le prochain album sera nettement plus électronique et électrique. Les rythmiques seront notamment plus présentes…nous sommes en cours de mixage pour l’instant.
–Pourquoi ne donnez-vous pas beaucoup de concerts ?
–En fait, nous attendons qu’un organisateur manifeste l’envie de nous faire jouer ! Nous n’avons jamais fait de véritable tournée, mais en général, nous acceptons les propositions de concerts, dès que les conditions minimales sont réunies. On recevons relativement peu de propositions, puisque nous ne sommes pas dans des réseaux de tourneurs, mais nous avons joué à Londres, Paris, Genève, Milan, Bruxelles et Madrid !
–Vous avez deux formations, l’une en tant qu’orchestre de chambre et l’une électrique. Jouez-vous les mêmes thèmes ou bien y’en a-t-il qui ne supportent pas le changement de formation ?
–Lorsque nous jouons en formation « orchestre de chambre », nous adaptons certains titres « électriques », mais l’inverse n’est pas toujours possible ; certaines compositions « acoustiques » ne peuvent être interprétées qu’en version « classique » (piano, alto, violoncelle et voix). Certains morceaux comme « Aux mortes saisons », « l’Aulne et la Mort » se prêtent parfaitement bien aux 2 versions.
–Pensez-vous que Prikosnovénie soit le label de musique idéal pour vous ?
–Ils nous ont fait confiance pour l’album Tristesse des Mânes et ont eu la bonne idée de rééditer nos premiers albums en digipack.
–Il y a un an, nous avons vu Kirlian Camera, un groupe dont vous avez fait une reprise. Éprouvez-vous un quelconque intérêt dans d’autres groupes italiens ?
–Nous avions participé à une compilation et avions repris leur titre « Drifting » ; un bon souvenir, mais nous n’avons pas vraiment de contact avec d’autres groupes italiens.
–Vous avez joué à Madrid en 2008 ?
–Oui, et nous en gardons un très bon souvenir ; c’était notre premier concert en Espagne ! Nous y avons de nouveau joué en 2007.