Antipole est le nom du projet de post-punk/darkwave de Karl Morten Dahl, Paris Alexander et Eirene. Après un premier album sorti chez le label Unknown Pleasures, ils nous ont offert l’année dernière l’album Radial Glare acclamé par la critique. On a eu l’opportunité de les voir en live pendant leur concert au W-Fest 2018. Karl nous dévoile l’histoire d’un projet né pour impressionner sa petit-amie, et qui a fini par impressionner tout le monde.
—De 2003 à 2006, tu as joué avec AqPop, un groupe de pop psyché, et enregistré Beautifully Smart avec eux, si je ne me trompe pas ? Que peux-tu nous dire sur cette période de ta vie ?
—Merci de m’avoir contacté ! Entre 2000 et 2005, j’étais à fond dans la musique psyché et folk (The Byrds, Steeleye Span et les Dipsomaniacs, etc.). Quelques-unes des chansons que j’ai écrites avec cette influence apparaissent sur l’album d’AqPop, Beautifully Smart (2004), sorti en CD par 35g Records. On a fait environ 15 prestas en live. À Oslo, Liverpool, mais principalement dans notre ville natale, Trondheim. J’avais fini mes études à l’université, commencé à travailler et eu des enfants, du coup ça s’est arrêté naturellement. Je pense toujours qu’on avait sorti des chansons pop énormes ! AqPop est toujours actif, mais sans moi.
—Tu étais branché rock indé avant de créer Antipole, et tu écoutais des groupes comme Guided by Voices. Tu crois que certaines de tes premières influences s’entendent toujours dans ta musique ?
—Pas de manière trop évidente du moins, mais je dirais que certaines chansons comme “La Vie Après” et “Le Moment” ont pu être arrangées et enregistrées avec une approche indé oui. Je suis quasiment sûr que la tristesse, la mélancolie des années de musique folk ont compté dans la composition de mes chansons, et que c’est toujours le cas. J’écoutais beaucoup l’album Shimmering, Warm and Bright de Bel Canto, et je pense qu’au moins une partie du côté éthéré d’Antipole provient de l’écoute de Bel Canto dans les années 90.
—L’EP instrumental des débuts du groupe (2014) s’appelle Panoply: Songs for AC. D’après ce que tu as dit, c’est un EP de « lofi post-punk instrumental ». AC sont les initiales du nom de ta petite amie. Quand tu l’as enregistré, est-ce que tu le voyais comme un cadeau, ou simplement comme le début d’une nouvelle aventure musicale ?
—Non, j’ai enregistré ces 8 chansons/ébauches une par une et je les ai présentées à ma copine Anne-Christel. J’essayais juste de l’impressionner. Je n’imaginais rien de plus à ce moment-là.
—Tu as déclaré vouloir des chansons qui aient l’air d’avoir été écrites en 1983, inspirées par The Cure et Joy Division. Ça me donne l’opportunité de pouvoir te poser une de mes questions préférées. Que trouves-tu de si spécial, si intéressant dans cette période ?
—Ce n’est pas facile à identifier. Je suppose qu’on y trouve beaucoup de nostalgie. J’étais trop jeune au début des années 80 pour bien rentrer dans le style de The Chameleons, The Sound, Joy Division et dans les premiers trucs de New Order. Du coup j’ai dû me faire ma propre culture de cette période, principalement à partir de vieilles photos, de clips vidéos et de musique sortis à ce moment-là. Il y a un truc particulier avec les télés et les cassettes VHS old school. Mon enfance peut-être. Ceci dit, toute l’ère pré-Internet semble plutôt romantique et nostalgique de nos jours.
—Dans ton premier EP, Getting Frequent Now, il y a une chanson chantée par Mats Davidsen et le reste l’est par Paris Alexander. Quand as-tu pensé avoir besoin d’un chanteur (ou deux) ? Si Antipole avait débuté à la fin des années 70, qui, pour toi, aurait été le chanteur parfait pour le groupe ?
—Après Panoply: Songs for AC, j’ai sorti quelques singles numériques (Someday 45, Narcissus). J’étais vraiment emballé par les chansons et j’ai commencé à me dire qu’elles auraient été encore meilleures avec du chant et la production appropriée. J’imagine que c’est arrivé quand j’ai pensé à ne pas me contenter d’impressionner Anne-Christel avec le projet Antipole ! J’ai contacté Mats Davidsen (il habite aussi à Trondheim). Avec AqPop, on avait donné un concert avec son groupe Wallpaper Silhouettes en 2003, je crois. Wallpaper Silhouettes avait une petite touche années 80, et il a une super voix. Il était au chant pour Deco Blue, que j’adorais. J’aurais voulu travailler plus avec lui, mais il ne voulait pas à ce moment-là. Du coup j’ai continué à chercher, et j’ai fini par entrer en contact avec Paris Alexander. Le chanteur parfait de cette période ? Peut-être un jeune Mark Burgess, un Adrian Borland ou un Ian Curtis.
—Paris Alexander et Eirene sont tes collaborateurs principaux. Que peux-tu nous dire sur eux ? Comment les as-tu rencontrés ?
—Paris Alexander et Eirene sont des artistes qui vivent à Brighton, au Royaume-Uni. J’ai contacté Paris Alexander par Internet courant janvier 2017, quand j’ai commencé à chercher un producteur/chanteur qui pouvait améliorer mes chansons. Il a remixé “Narcissus” et ajouté du chant. J’ai vraiment adoré, et on a continué à travailler ensemble de la même façon depuis. Sa petite amie Eirene nous a rejoints plus tard et a ajouté du chant sur beaucoup de chansons. Paris Alexander dirige les Studios Blue Door et sort donc sa propre musique également. Et il a Simon, Martin (qui ont tous joué en live avec Antipole). Eirene aussi a sorti son propre album (l’EP Jhana en 2019). Vous devriez l’écouter ! Ce sont vraiment des gens adorables avec qui travailler.
—Ils font également les live avec toi, c’est difficile de répéter et de partir en tournée quand on vit dans des pays différents ?
—C’est évident que ce n’est pas simple à gérer. On a deux concerts programmés pour 2020. Brighton en mai (avec The Snake Corps) et le Young & Cold Festival à Augsbourg, en Allemagne, en septembre. On répète séparément, on a rarement l’occasion de le faire ensemble. Mais on est en train de se prévoir au moins une répétition générale avant le concert de Brighton.
—Ils composent également les chansons avec toi. Comment tu décrirais le processus créatif au sein d’Antipole ?
—Ils écrivent les paroles, les lignes mélodiques de chant, les lignes de synthés et de percus/batterie. Le processus créatif commence par moi : j’écris une chanson instrumentale avec une basse, plusieurs guitares et des percussions de base. Ensuite, Paris Alexander utilise ces pistes de guitare et de basse pour développer une structure solide en ajoutant des percus, de la batterie et du synthé électroniques, et fait l’arrangement. Puis Paris Alexander et/ou Eirene écrivent les paroles et ajoutent les chants. Certaines de ces pistes sont parfaites dès le début alors que d’autres sont un peu éditées/retravaillées à plusieurs reprises. Ils me les renvoient jusqu’à ce qu’elles sonnent comme je les avais imaginées, voire mieux. Je travaille aussi avec IAMTHESHADOW, Kill Shelter, L’Ordre d’Héloïse, Camilla Sombrio/Lory Fayer et, bien sûr, Mats Davidsen. Je ne suis ni chanteur ni producteur, donc travailler avec d’autres gens est à la fois un plaisir et une nécessité pour moi. Les instrus Lo-fi perdent de leur intérêt à la longue (rires).
—Le premier album du groupe, Northern Flux (2017), contenait des chansons hypnotiques géniales. Comment tu fais pour que l’album reste intéressant malgré le nombre élevé de répétitions et le son similaire sur tout l’album ?
—Merci ! Ce n’est pas facile à expliquer. J’aime à penser que c’est grâce aux bonnes chansons, mais c’est aux autres de décider. Les chansons doivent avoir une bonne accroche, une émotion ou autre chose. Une émotion éthérée et de la tristesse, de la mélancolie, voilà la part centrale que les chansons d’Antipole doivent avoir, selon moi.
—Pourquoi as-tu choisi de terminer ton premier album avec une reprise de Joy Division ?Sais-tu pourquoi elle a été retirée de la version Spotify ?
—C’était ma chanson préférée de Joy Division à ce moment-là, et je m’en inspirais quand je n’étais pas encore sûr de ce qu’Antipole devait être. Ça fait un bail que j’ai enregistré cette reprise. Septembre 2016, je crois. C’était un an avant la sortie de Northern Flux et plus tard, lors des discussions avec Unknown Pleasures Records, l’idée incluant l’instrumentale est venue. Une suggestion géniale de la part de Pedro, d’UPR. Le label s’est occupé des droits d’auteur nécessaires pour la version CD. Je ne savais pas comment faire ça pour la distribution numérique, alors par facilité, j’ai choisi de ne pas inclure la reprise. Du coup, la version CD a une piste bonus.
—En 2018, tu as publié Perspectives, un album de remix, comment t’es venue cette idée ? La plupart des artistes ont là aussi collaboré avec toi, non ?
—Tout a commencé fin 2017, quand Paris Alexander et moi, on remixait IAMTHESHADOW et juste après Hante. J’ai vraiment aimé faire ça. Puis j’ai contacté des amis et/ou des artistes que j’aimais beaucoup pour remixer les chansons d’Antipole. Quand on en a eu 5-6 de faites, j’ai commencé à me dire que ça serait génial de les compiler toutes ensembles. C’est ainsi qu’est né Perspectives. C’était passionnant d’avoir le point de vue et la version d’autres artistes pour les chansons d’Antipole. Beaucoup des remix ajoutent un petit quelque chose qui n’est pas forcément évident ou qui est absent de l’original. On sort un autre album de remix au printemps. 12 chansons et 12 nouveaux « remixeurs ». Aucun d’entre eux n’était sur Perspectives. On en est à 10 de finies pour le moment. Je suis réellement ravi de la plupart de ces remix !
—Tu as également remixé (avec Paris Alexander) d’autres artistes (Hante., Agent Side Grinder, Clan of Xymox, Geometric Vision). Quel remix as-tu le plus aimé ? Qu’essaies-tu d’ajouter à l’original lorsque tu remixes une chanson ?
—J’essaie d’ajouter une touche ou une ambiance à la Antipole, même si je n’arrive pas trop à définir ce que c’est. J’approche un remix de la même manière que je travaille sur mes autres chansons, en essayant d’ajouter des guitares intéressantes, avec une certaine ambiance, une certaine accroche. Puis Paris Alexander récupère mes lignes et celles de la version originale et ajoute les synthés, arrange et produit jusqu’à ce qu’on soit satisfait du résultat. Eirene a ajouté de magnifiques chœurs sur certains remix (Buzz Kull, Clan of Xymox et d’autres encore). Je ne remixe que les chansons que j’adore. Ça ne serait intéressant ni pour moi ni pour les auditeurs sinon. Et bien sûr, je n’ai pas beaucoup de temps pour le faire. Impossible de dire quel était mon remix préféré, mais celui de Hante. occupe une place particulière. C’était l’un des premiers que j’ai faits avec Paris Alexander. Je continue d’y revenir régulièrement.
—Ton nouvel album Radial Glare a été très bien reçu par la critique. Comment décrirais-tu l’évolution du groupe en matière de son et de composition des chansons ces dernières années ?
—Je pense qu’on est plus accomplis, et qu’on se dirige plus vers mon objectif de rendu final. Je dirais que d’avoir travaillé avec Paris Alexander sur tous les remix a été bénéfique à Radial Glare en matière de son. Certaines chansons de Radial Glare, comme “Part Deux” et “Decade Apart” ont été écrites au moment de la sortie de Northern Flux. D’autres, comme “Syndrome”, “July Supine” et “Le Moment”, ont été écrites peu de temps avant que Radial Glare ne soit complètement fini. Je ne crois pas que l’écriture des chansons soit bien différente. D’une certaine manière, je « n’écris » pas de chansons, elles viennent à moi.
—C’était comment de travailler sur le nouvel album avec Marc Lewis, du groupe des années 80 The Snake Corps ?
—Ça a été un réel plaisir de travailler avec Mark. Il ce ton parfait de la wave des années 80 dans la voix et il a écrit une mélodie magnifique et des paroles pour mon instru. Paris Alexander a ajouté des synthés et les a produits comme il a fait avec les autres pistes de l’album. Ouais, on va se produire avec The Snake Corps en mai à Brighton ! Je suis super impatient !
—Quels sont les projets du groupe pour le futur ? Vous allez bien jouer au Young and Cold 8 ?
—Avec ma copine, on est allés au festival de l’année dernière pour voir Actors, Minuit Machine, Rue Oberkampf et d’autres encore. Super endroit, super gens, super groupes et labels ! Les projets, ce sont ces 2 live. Il y aura un deuxième album de remix au printemps et quelques-uns des remix de Paris Alexander et moi vont également sortir. Je travaille sur du nouveau matériel, mais pas d’album de prévu pour l’instant.
—Que peux-tu nous dire sur le dernier concert du groupe au W-Fest ?
—On a donné notre 3e concert sur la Wave Cave du W-Fest en août 2018. Partager la scène avec des groupes qu’on adore comme Clan of Xymox, She Past Away, Chameleons et Ash Code était surréaliste. Notre set a duré 45 minutes avec principalement des chansons de Northern Flux et deux autres qui auront été ajoutées par la suite à Radial Glare. Une grande scène, un public génial et un programme incroyable. Je recommande à tous les groupes de jouer là-bas, et bien sûr, aux gens de venir au festival !
Traduction : Emmanuelle Ambert