GG Quintanilla, chanteur et musicien qui avec Ornamento y Delito a récolté de très bonnes critiques et est apprécié du public, a également publié une douzaine de disques en solitaire. Aujourd’hui, il nous parle de ses derniers disques, de ses goûts et aussi du livre dont le groupe tire son nom, dans une interview longue, mais intéressante.
Vous pouvez écouter ses disques ici : https://ggquintanilla1.bandcamp.com/
Vous pouvez acheter ses deux derniers disques ici : http://www.novak.es/
–Quand je vois votre nom, je pense toujours à GG Allin, c’est automatique. Avez-vous déjà porté un quelconque intérêt à ce personnage ?
–Non, pour dire la vérité. Ce sont seulement les initiales de mon nom et de mon premier nom de famille (Garikoitz Gamarra), associées à mon deuxième nom de famille (Quintanilla). À l’époque, ça me semblait amusant, surtout parce que je vivais au Pays Basque.
–Vous avez publié cette année La Reconstrucción, cinq ans après Iberona. Après une première écoute, je constate qu’il est moins immédiat et beaucoup plus obscur. Comment voyez-vous votre nouveau disque ?
–Iberona était plus lumineux, c’est sûr, mais dans celui-ci, il y a quelques chansons de pop qui montrent une certaine continuité. C’est vrai qu’Iberona est un disque plus facile, plus immédiat quant à la composition et à l’enregistrement. Je l’ai fait dans un état d’esprit plus printanier. Avec La Reconstrucción, j’ai eu plus de doutes, jusqu’au moment de le sortir. Je l’ai composé à une époque où j’avais à peine le temps et le force de faire de la musique, et j’ai fini de faire le mix dans un moment beaucoup plus automnal de ma vie, j’imagine que ça se ressent.
–Ce nouveau disque a été publié par Nøvak. Comment êtes-vous rentré en contact avec eux ?
–Ils m’ont contacté il y a quelque temps pour me demander une chanson, « Vehículos accidentados » pour une compilation dans le style technopop. Au début de cette année, ils m’ont de nouveau contacté pour me dire qu’ils voulaient sortir une compilation de mes derniers travaux. Ça a été une véritable surprise et un véritable orgueil pour moi.
–Cette compilation s’appelle El Evangelio Según Quintanilla. Comment avez-vous procédé à la sélection des chansons ? Pensez-vous que ce soit la meilleure chose pour découvrir votre œuvre, ou recommandez-vous d’autres disques ?
–Luciano a fait la compilation de son côté. C’est déjà bien qu’ils aient voulu la sortir pour l’amour de l’art. C’est une grande compilation. Je ne sais pas si c’est la chose la plus facile pour découvrir mon œuvre, on sent qu’elle a été faite par quelqu’un qui aime beaucoup mes chansons. Ainsi, il est possible qu’il soit exigé de celui qui l’écoute une attitude similaire. D’un autre côté, il a choisi des chansons des quatre derniers disques (avant La Reconstrucción) et les plus techno, car cela fait partie du style de son label. La patronal por todas partes, qui vient de fêter ses 10 ans, est peut-être mon meilleur atout pour me présenter.
–Quinze ans se sont écoulés depuis la parution de votre premier disque, Vidas ejemplares. Pensez-vous que votre musique a changé depuis ? Ou avez-vous changé ?
–Je crois que j’ai plus changé que ma musique n’a changé. À dire vrai, je n’avais jamais pensé à ça, mais il est possible que des choses comme l’art permettent de maintenir le cap, ou, au moins, se souvenir de son point de départ et de son sens (ce n’est pas facile d’être à la hauteur de tout ça, parfois, c’est un rappel cruel).
–Croyez-vous que les musiciens doivent s’engager politiquement parlant ?
–Non.
–Votre premier groupe s’appelait El Eterno Femenino. Je suppose que vous faites référence à La Mode. Comment ont été vos débuts ?
–Oui, c’est exact, c’était en référence à La Mode, bien que nos influences ne venaient pas uniquement de là. Le premier disque de La Mode me paraissait génial, et c’est encore le cas aujourd’hui. Je me rappelle de nos débuts avec beaucoup de nostalgie, pour l’innocence, la fraîcheur, la pureté et la lucidité que nous avions à l’époque. On n’avait pas beaucoup de matériel. On était des gamins de la Rive Gauche du Nervion, de Portugalete et de Trapagaran, le berceau d’Eskorbuto. On faisait une musique très martienne pour tout le monde, même pour les Getxo Sound, on était bizarre, à cause notamment de nos références à Joy Division et à Los Bichos. En plus, on chantait en castillan. C’était presque un miracle d’organiser un concert où seulement venaient quatre amis, mais nous avions une crédibilité à toute épreuve. Ce furent 10 ans aux côtés de Txerra Rodríguez, surtout de 1994 à 1997, vraiment magiques.
–Êtes-vous toujours aussi passionné par les comics ? Y a-t-il quelque chose qui vous ait intéressé dernièrement ?
–Non, j’ai perdu cette passion quand j’ai commencé la musique, lors de la première année d’université. Je ne sais pas du tout où en est le monde du comics actuel. Tout ce que je sais se réduit au monde de Marvel et de DC des années 80.
–Comment vos études de philosophie ont-elles influencé votre musique ?
–Surtout au niveau des paroles. On peut les comprendre d’une façon moins abstraite, mais elles peuvent aussi être lues une deuxième fois de façon conceptuelle. Dans certains cas, je fais aussi des références cultes (Luther et l’aventure, Max Weber), qui ne relèvent pas uniquement de la citation, mais qui ont aussi une thèse (originale je l’espère). Dans La Reconstrucción, quand je parle du désir, je pense en termes spinoziens et nietschiens (ou lacaniens, j’imagine). Il en va de même dans Sesión continua (bien qu’ici, la thèse est plus défaitiste, presque schopenhauerienne). Bien au-delà des noms et des références, je crois que les allégories et les images, bien souvent faites à travers des contrastes, invitent à penser, et c’est ça la philosophie.
–Nous vivons des temps bizarres avec le Brexit et la victoire de Trump. Avez-vous une vision pessimiste ou optimiste du futur ?
–J’imagine que la même que tout le monde : ça dépend des jours. Mais je n’ai pas aussi peur de Trump que des gens qui me sont proches, ceux qui sont dans « mon camp ». J’ai peur que finalement ils abandonnent, qu’ils se trahissent eux-mêmes et qu’ils trahissent la vie, qu’ils se laissent porter par les choses faciles, par la couardise, qu’ils condamnent de nouveau Socrate.
–Comment voyez-vous votre relation avec le monde de l’électronique ? Vous imaginez-vous jouer avec Ornamento y Delito au Sonar ?
–Non. Ornamento est un groupe peu électronique. Nous avons eu quelques divagations très amateuriales. De fait, ce que nous mixons aujourd’hui est très organique. J’étais très intéressé par l’électronique du temps d’El eterno femenino. De fait, on a changé de nom pour devenir les Sintéticos quand, fans de Kraftwerk et de Cabaret Voltaire, on a commencé à avoir un style du genre Industrial Records. En 2000, quand Sintéticos s’est séparé, j’ai acheté un ordinateur et j’ai découvert des séquenceurs virtuels comme Reason, Reactor et Fruity Loops. J’ai particulièrement adoré ce dernier, au nom ridicule et apparemment peu professionnel, car il disposait de plus d’options au niveau des arrangements pop. Je travaille toujours avec aujourd’hui. Comme vous voyez, je ne suis ni un pionnier ni un grand connaisseur. J’ai simplement continué avec ce qui fonctionnait pour moi et avec le temps et en insistant, j’ai fini par obtenir quelque chose qui sonne.
–Va-t-on avoir des nouveautés d’Ornamento y Delito bientôt, ou êtes-vous plus concentré sur votre carrière en solo ?
–Oui, je crois que bientôt, il y aura des nouveautés. On travaille depuis peu de temps sur un nouveau disque. Mais c’est beaucoup plus lent que ce que je voudrais. Je suppose que c’est lié à l’âge, aux charges familiales et autres. Pour cela, j’essaie de faire des choses par moi-même, quand je vois que la machinerie d’Ornamento devient pesante. Maintenant, j’ai monté un petit groupe pour jouer en concert avec GGQuintanilla, El telón de acero, avec lequel j’ai l’intention de jouer plus.
–Quand vous composez, y a-t-il quelque chose qui délimite ce qui va paraître sous votre nom ou celui de OyD ?
–Non. Parfois, pour certaines chansons qui allaient être pour Ornamento, j’ai décidé de les arranger et de les sortir sous mon nom en solitaire. C’est ce qui s’est passé avec Iberona. Je l’ai fait parce qu’elles ne fonctionnent pas en local et parce que je n’ai pas l’occasion de les travailler suffisamment. D’autres fois, c’est les membres d’Ornamento qui me disent que telle chanson ne leur plaît pas ou ne leur correspond pas. Parfois je les oublie, parfois je les récupère. Ça s’est passé principalement pour la plupart des chansons de La reconstrucción. Elles étaient prévues pour Ornamento.
–Vous nommez Luigi Tenco en tant qu’influence. Dans ce blog, nous avons un certain intérêt pour la musique italienne. Qu’est-ce qui vous plaît chez lui ? Quels autres artistes italiens vous intéressent ?
–Haha, je ne m’en souvenais pas. En vérité, ma seule, unique et véritable référence italienne est Battiato. J’ai écouté Tenco pendant un temps, mais ce n’est pas une influence authentique. Pour moi, Battiato est mon dieu, plus ou moins. Chez lui, tout est beau, tout est bon, tout est vrai.
–Quand vous écoutez Tenco ou Battiato, Gainsbourg ou Brel, leur son est typiquement italien et français. Aujourd’hui, des artistes connus comme Pheonix pourraient être de n’importe quel pays. Croyez-vous qu’il y ait une tendance à l’homogénéisation de la musique populaire ?
–C’est un processus qui est en marche depuis que l’homme est homme et depuis qu’il produit la culture. Je ne crois pas que nous devrions nous alarmer, mais c’est effectivement quelque chose de curieux. Justement hier, un documentaire réalisé il y a quelques années sur le créateur et décorateur Mariano Fortuny y Madrazo, le fils du peintre, passait sur la deux. Il est célèbre pour une lampe qui est toujours produite de nos jours. Fortuny a grandi parmi les produits exotiques que son père collectionnait, au goût européen du XIXe siècle pour ce qui était « occidental ». Il a développé un style moderniste tardif et hyperchargé, à la façon orientale, mais d’un point de vue occidental. Sur sa lampe, par exemple, se mélangent des motifs arabes, italiens de la renaissance et indiens, sans relation, hors de leurs contextes symboliques. Tout a un air mystérieux et exotique qui paraissait plus oriental qu’oriental aux Européens de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle : un bel orient, vide de réalité, sans les révoltes locales contre les colonisateurs, sans l’oppression des Européens). Après la Seconde Guerre Mondiale, cependant, le fonctionnalisme et le style international, qui plaident l’austérité (le fameux Ornement et Crime de Loos) sont devenus hégémoniques. Le style chargé et oriental de Fortuny n’était plus à la mode. La question est qu’il y a quelques années, des imprésarios américains d’origine orientale ont acheté le brevet de la lampe et la produisent aujourd’hui en quantité industrielle. Elle se vend comme des churros à Dubaï et dans les pays arabes. C’est comme si Nike commençait à imiter les chaussures d’imitation chinoises.
Mais bon, au-delà du caractère purement marchand du cas Fortuny, c’est ce qui se passe dans la musique pop depuis qu’elle existe. Je crois qu’il y a toujours eu des échanges culturels et des métissages, que l’idée de la musique traditionnelle nationale a été inventée au XIXe siècle avec les drapeaux, les hymnes et les cartes. Dans de nombreux lieux du Pays Basque, on célèbre Sainte Agueda avec une chanson qui semble jaillir de la terre et du cœur des Basques, avec cette mélancolie des interminables jours de pluie, ce brouillard et la couleur verte de ses montagnes. Apparemment, des marins basques ont entendu la mélodie au XIXe siècle, on ne sait pas dans quel port, chantée par des marins italiens. Ils l’ont par la suite chantée eux aussi en adaptant les paroles. Dans certains villages d’Italie, ils chantent exactement la même chansonnette basque. Curieusement, l’autre jour, en regardant un concert de Cohen en Israël dans les années 70, le public chantait en hébreux une chanson qu’on me chantait en basque à l’école maternelle.
Je crois qu’il faut distinguer les effets des tendances monopolistes du marché avec la mobilité et les échanges culturels, qui ont toujours existé. Aujourd’hui, il est très compliqué de faire des rêves auto-identitaires ou pour les faire, il faut faire comme la Corée du Nord (ou comme le Brexit, ou comme Trump, ou comme le veut Vestrynge) : fermer les frontières, couper les télécommunications, et construire une technologie et une économie nationale et tribale.
D’un autre côté, il est vrai que le monopole des espaces de communication et de production (les trois multinationales qui accaparent le monde du disque et du spectacle : Warner, Universal et Sony) de musique de masse, fait que le public en général (pas les mélomanes, mais la personne qui va au centre commercial, au stade de foot ou au palais des sports) connaisse moins la musique et que celle qu’ils connaissent soit pire, plus pauvre. Il y a peu, j’étais dans un café anodin de Pontevedra, où ils passaient la chaîne de vidéoclips de MTV je crois, et j’ai été surpris de voir jusqu’à quel point on peut écouter de la musique poubelle.
–Vous avez cité Leonard Cohen duquel vous avez toujours été un grand fan. Sa mort vous a-t-elle affecté ? C’est une année horrible, eh ?
–Je citerai ce que j’ai écrit sur Facebook. C’est du 11 novembre. « Hier soir, avant de me coucher, j’ai lu l’apologie de Socrate et je me suis endormi avec son message d’espoir à propos de la mort, vue comme un bien pour qui a vécu sa vie en faisant la justice. Ensuite, j’ai rêvé que ma tante, qui est morte jeune d’un cancer, mourait âgée et en paix. En me réveillant, j’ai reçu un message d’un de mes amis qui me disait que Leonard Cohen nous avait quitté, quelque chose pour laquelle il disait être préparé. Je suppose qu’une bonne mort est une combinaison de deux choses. Premièrement, s’en aller avec la conscience d’avoir été plus juste qu’injuste avec le monde. Deuxièmement, avec la chance que le monde ait été plus juste qu’injuste avec nous. Adieu, Leonard, chanteur que j’admirais le plus au monde ».