Plus de 35 années ont passé depuis la création de KMFDM, l’un des groupes qui ont le plus repoussé les frontières de la musique industrielle (et de toutes ses variantes), tout en la rendant plus populaire. Le groupe a sorti 21 discos, (le dernier, Paradise, est sorti il y a quelques mois à peine), où ils ont su mettre au goût du jour leur discours musical tout en gardant leur mordant. On a interviewé Sascha Konietzko, que nous pourrons voir avec son groupe le 21 mai au W-Fest. Vous êtes prêts pour de l’Ultra-Heavy Beat ?
—KMFDM a commencé comme un projet d’art de performance. Comment étaient les premiers concerts du groupe ? As-tu vraiment de l’aspirateur ?
—Le premier concert de ce qui devint plus tard abrégé en KMFDM, a eu lieu le 29 février 1984 au Grand Palais à Paris, France. C’était une collaboration entre moi et un groupe de peintres/sculpteurs de Hambourg et de Cologne qui s’appelait Erste Hilfe (premiers soins). On m’a demandé de faire un accompagnement audio pour l’inauguration d’une exposition au Palais. Je suis donc allé chercher ce que je pouvais trouver chez les prêteurs sur gages de la rue Saint-Denis. Parmi les choses que j’ai pu me procurer, il y avait des aspirateurs, un synthétiseur cassé (ARP 2600), une guitare basse et un amplificateur de basse (Ampef). J’ai fait de mon mieux pour obtenir un chaos sonore spontané. Par malchance, les vitres du plafond de cette structure ont commencé à tomber, se brisant sur le sol parmi les (quelques) spectateurs. Les sculpteurs avaient enduit dr béton les portes en verre et certaines personnes ont fui, prises de panique. C’était un véritable chaos. Mais je dois reconnaître que j’ai adoré ça…
—Tu as lancé cette rumeur disant que KMFDM signifiait Kill Mother Fuckers Depeche Mode, non ? Depeche Mode sont-ils au courant ?
—Je suis sûr qu’ils en ont entendu parler 😉
—Dans ta première cassette, Opium, tu joues déjà avec Raymond Watts. Comment l’as-tu rencontré ? Il a fait partie du groupe pendant de nombreuses années.
—À l’époque, c’était un expat du Royaume-Uni vivant dans un placard à balais chez l’un de ses amis, ici à Hambourg. Il avait accès à un abri antiaérien de la Seconde Guerre mondiale dans lequel étaient stockés des instruments appartenant à des membres d’Abwärts (un groupe punk notoire de Hambourg), dont certains avaient récemment rejoint Einstürzende Neubauten à Berlin. On a profité de notre temps libre pour y enregistrer des choses étranges. Au fil des ans, il a fait des allers-retours, nos agendas étaient assez différents.
—What Do You Know, Deutschland? est ta première collaboration avec l’artiste Aidan Hughes qui a conçu presque toutes les pochettes du groupe. Pourquoi son travail est-il adapté à la musique du groupe ?
—Au début, je n’y pensais pas vraiment, j’aimais tout simplement son style. Au fil du temps, c’est devenu la marque visuelle, une image reconnaissable de l’apparence visuelle du groupe. Comme j’étais adepte du travail de Frank Zappa, j’aimais de plus en plus l’aspect de « continuité conceptuelle ». Bien que cette continuité ait été interrompue parfois juste pour le plaisir.
—Quelle a été l’influence d’Adrian Sherwood dans la production de Don’t Blow Your Top ? Tu étais déjà intéressé par la dub et le reggae, non ?
—J’écoutais de la dub et du reggae depuis la fin des années 60, et j’étais un grand fan du travail d’Adrian. J’étais pote avec les gars de Mark Stewart and the Maffia (qui venait du groupe house de Sugarhill Records) et j’ai finalement simplement demandé à Adrian : « Hé mec, j’aime vraiment ce que tu fais, tu veux bien mixer quelques morceaux pour mon projet ? » À ma grande surprise, il a accepté 😉
—Que s’est-il passé avec Naive ? L’album a été retiré à cause de quelques samples de Carmina Burana ? Est-ce le début des problèmes avec les samples ? Une version différente de Naive/Hell to go est sortie plus tard, non ?
—Oui, certaines personnes ont eu vent des samples utilisés et ont menacé de poursuivre le label (Wax Trax!) en justice, alors ils ont retiré l’album, je m’en foutais, je n’ai jamais rien eu à perdre de toute façon…
—Comment était Chicago au début des années 90 ? J’ai lu dans la biographie de Laurent Garnier que c’était un endroit dangereux.
—Oui, tout à fait. Là où je vivais, il y avait de fréquentes fusillades en voiture, tous les vendredis et samedis. Une fois, un gars a été abattu juste sous la fenêtre de ma cuisine. J’ai espionné les poulets alors qu’ils ramassaient tous les cartouches de balle… on lui a tiré dessus 16 fois, mais ils ont trouvé que 15 cartouches. J’ai trouvé (et conservé à ce jour) la 16e.
—Tu vivais dans les bureaux de Wax Trax ! au début de ton séjour à Chicago, non ? Comment étaient l’atmosphère et tout ce qui était lié à ce label désormais légendaire ?
—Le chaos complet et total régnait, j’adorais ça. J’y ai vécu du début de 1991 à la fin de 1992. Ce fut toute une expérience.
—Tu as dit que Money (1992) avait été fait à la hâte et que tu ne l’aimais pas tant que ça, mais pour certains fans, c’est l’un des meilleurs albums. Qu’en penses-tu maintenant ? C’était censé être un double album, non ?
—Au départ, c’était censé être une face A faite par moi-même et une face B faite par les fars qui composaient le groupe à ce moment-là, mais les propriétaires du label (Jim et Dannie) ont ri quand ils l’ont entendu pour la première fois et ont cru que l’usine d’impression avait enregistré la musique de quelqu’un d’autre sur la face B. J’ai donc dû mettre les bouchées doubles pour composer du matériel pour faire un album, car on avait déjà planifié et réservé la première « vraie grosse » tournée de KMFDM aux États-Unis. On avait déjà tourné en 91 en tête d’affiche et avec beaucoup de succès, mais la tournée de 92 allait être ÉNORME, et le label voulait que l’album soit prêt afin de faire la pub de la tournée et la sortie, vice versa…
—Angst est considéré comme « l’album le plus heavy », grâce à l’excellent travail de guitare. Tu es fan de musique métal ? Quels groupes aimes-tu ?
—Dans mon esprit, Angst n’était pas si heavy, mais c’était peut-être le cas pour certains. D’ailleurs, j’ai jamais trop aimé le métal, j’aimais juste les rythmes à fond la caisse qui collaient bien avec des rythmes de danse. En pensant aux albums heavy de KMFDM, WWIII, Hau Ruck et Tohuvabohu me viennent à l’esprit.
—Certaines chansons de Nihil (1995, et pour certaines personnes le meilleur album de la première époque) se retrouvent dans des films comme Bad Boys ou des anime comme Street Fighter II. Penses-tu qu’elles sont cinématographiques ? Ou ont-elles été choisies parce que le groupe était assez célèbre à l’époque ?
—Elles ont été choisies parce que le département de synchronisation de TVT Records (qui avait englouti Wax Trax! à cette époque) faisait un excellent travail !
—L’enregistrement de Xtort a sans aucun doute été un événement unique dans l’histoire de KMFDM. Tu as fait appel à la section de cors de Tower of Power et inclus beaucoup de musiciens de studio. A-t-il été difficile de travailler avec autant de personnes ?
—Pas du tout, c’était l’une des productions les plus agréables que j’ai faites dans les années 90. Je connaissais déjà les gars de Tower Of Power, ils traînaient lors d’une session dans une autre pièce de Chicago Recording Co., alors je leur ai tout simplement demandé s’ils voulaient participer. Xtort a été terminé en quelques mois, c’est probablement l’une des productions les plus rapides que j’ai jamais faites.
—Adios est l’album de la séparation du groupe. A-t-il été difficile à enregistrer ?
—Non, c’était super facile, j’ai juste pas invité tout le monde en même temps, on enregistrait chacun son tour. Et avec le recul, je dirais qu’il ne s’agissait pas vraiment d’une séparation, mais plutôt d’une décision stratégique pour donner à chacun un peu de temps et d’espace afin de penser à l’avenir.
—Attack (2002) est le premier album avec le nouveau line-up (toi et Lucia Cifarelli). Comment as-tu eu l’idée de remonter le groupe ? Comment s’est passé l’enregistrement de l’album ?
—En fait, beaucoup de monde a participé à Attack. Tous venaient des incarnations précédentes du line-up, Lucia était la seule nouvelle. J’ai travaillé avec elle pendant 2 ans avant la reformation de KMFDM, c’était donc normal de la compter dans l’équipe.
—L’enregistrement de WTF? a duré 14 mois, puis l’album a été réenregistré. Que s’est-il passé avec la première version de l’album ?
—Franchement, je ne m’en souviens pas, 14 mois de travail pour faire un album, y’a pire non ? Je connais des albums/personnes qui ont mis beaucoup plus de temps 😉
—Dans Kurst, la chanson « Pussy Riot » est écrite en soutien au groupe du même nom. As-tu eu des problèmes de censure ou politiques au cours de la longue carrière du groupe ?
—MTV nous a donné du fil à retordre bien qu’en premier lieu, on leur ait jamais demandé de faire passer nos chansons. Alors, quand ils nous ont contactés pour nous dire qu’on s’auto-censure afin qu’ils puissent diffuser nos morceaux, je leur ai simplement dit d’aller se faire foutre !
—Hell yeah (2017) a obtenu de très bonnes critiques, et est considéré comme l’un des meilleurs albums de 2017 par Allmusic. Comment parviens-tu à composer d’aussi bons albums après tant d’années ? Qu’attend le public d’un album KMFDM ?
—On ne pense pas vraiment à CE QUE LE PUBLIC ATTEND EXACTEMENT DE KMFDM, donc on jouit d’une liberté totale. D’ailleurs, je suis en train de terminer un nouvel album de KMFDM qui sera du reggae 100 % old school. Tout simplement parce que JE PEUX 😉
—Paradise (2019) est votre dernier album. Il est sorti il y a quelques mois à peine. Que peux-tu nous en dire ? Il est très politique, n’est-ce pas ?
—Ne le sont-ils pas tous, du moins pour la plupart ? Eh bien, on ne veut tout simplement pas écrire des paroles sur des trucs bizarres, comme ce qui nous fait souffrir, etc. On ne mâche pas nos mots et on pense que la politique est plus importante que jamais.
—As-tu déjà pensé à retravailler avec En Esch ou Gunter Schulz ou à faire une tournée avec le line-up original ?
—C’est qui, eux ? Bon sang, non, plutôt mourir, plus jamais je ne veux avoir affaire à eux. Ils ont décliné mon invitation en 2002, lorsque je leur ai proposé de reformer KMFDM avec de nouvelles conditions, de faire table rase pour ainsi dire. Au lieu de ça, ils m’ont entraîné dans de faux procès et ont commencé à critiquer KMFDM. Faut pas être malin pour s’autocritiquer, haha.
—Peux-tu nous parler un peu de tes projets annexes, Schwein, KGC, OK•ZTEIN•OK et Excessive Force ?
—Ce n’était que des projets ponctuels. Parfois, c’est amusant de travailler avec des gens en dehors du refuge que KMFDM me donne, de sortir et d’essayer de nouveaux trucs, juste pour voir ce qui reste à la fin 😉
—Que s’est-il passé avec le deuxième album de ton autre projet MDFMK ?
—Rien, il est rangé dans une boîte.
—Que peux-tu nous dire de votre futur concert au W-Fest ?
—On a hâte de donner à nouveau des concerts ici en Europe. Bon sang, je me souviens même pas de la dernière fois qu’on a joué ici.