Le label franco-espagnol Unknown Pleasures a sorti l’année dernière le dernier album de Phil Von, ancien membre du groupe iconoclaste Von Magnet. Pour intituler ce nouveau travail, il a utilisé le nom de son ancien groupe. Il nous semble donc opportun de vous en dire un peu plus sur le passé de l’artiste afin de mieux comprendre l’œuvre. L’album est sorti dans un magnifique format digipak hexagonal et en version numérique. Nous allons commenter la version CD, qui comporte trois pistes de plus que la version téléchargeable.
Von Magnet est né au milieu des années 80 en tant que compagnie de théâtre musical autour de Flore Magnet et Phil Von. En 1986, ils sortent leur premier single, intitulé I, toujours avec un son plus industriel, qui sera suivi trois ans plus tard par El Sexo Surrealista, une œuvre plus mature dans laquelle ils développent leur Electroflamenco. Le groupe a continué à sortir et à enregistrer des albums jusqu’à Archipielagos en 2012. L’album dont nous parlons aujourd’hui devait être leur dernier, mais ils se sont séparés alors qu’ils travaillaient dessus. C’est pourquoi on retrouve parmi les musiciens qui ont participé à l’enregistrement une bonne partie de ce qu’était Von Magnet : Def, Tit’o, Yana Maizel et Hugues Villette.
Mais avant la séparation, Phil Von avait déjà fait ses débuts en solo avec L’Autre Nuit, un album enregistré avec The Gnawa Musicians Of Fès en 2001. Au cours de sa carrière, que ce soit avec son groupe ou en tant qu’artiste solo, il a commencé à ajouter des sonorités orientales et est-européennes, comme on peut le voir dans son précédent album, qui comprend une performance live dans laquelle il réinterprète d’anciennes compositions lituaniennes avec Rokas Zubovas. Ces dernières années, il a également produit Algirdas Klova, un maître de la musique folklorique lituanienne, décédé en 2021, qui joue également sur cet album. Dernièrement, nous avions vu Phil en tant qu’invité sur Theatre Of Cruelty, le dernier album de HIV+, le patron du label Unknown Pleasures, qui comptait également plusieurs collaborateurs tels que Marc Hurtado et Alice Botté.
Maintenant que nous avons présenté le groupe, les musiciens et le label, passons à la critique de l’album. « Ultima Chispa » fonctionne comme une intro, où l’on entend déjà les sons classiques du flamenco (la guitare et plus tard les cris) avec un rythme électronique basé sur le cajón ou le zapateado, réalisé par Phil Von lui-même. C’est l’une des forces de l’album, car la partie rythmique sera presque entièrement basée sur des éléments de flamenco, traités de manière plus électronique, mais qui donnent à la musique une touche plus humaine. « Tout » est une composition fantastique, aux sonorités plus arabes, avec des percussions, une touche sombre et la remarquable intensité du chant de Phil.
Dans « Let Me Dive », la guitare de Dani Barba, sans doute l’un des protagonistes de l’album, est fortement mise en avant. « The Map of My Worlds » commence de manière plus électronique. C’est l’une des chansons chantées en anglais, bien que la langue importe peu lorsqu’on y met autant de passion et de douleur. Le claquement des mains et le zapateado marquent le rythme de « Envol », cette fois avec une moitié en anglais et l’autre moitié chantée en espagnol, dans le vrai style de cantaor. « Antecamara » est un morceau instrumental très cinématique avec un excellent travail de guitare de Dani Barba. « Physalide » commence avec les gémissements de Phil, a un rythme de danse flamenco et des airs orientaux fournis par le violon de Algirdas. « Golpe de Gracia » est le morceau le plus purement flamenco avec une partie électronique intéressante. C’est aussi l’un des meilleurs de l’album.
Nous arrivons à la fin avec « Diluvio », où le violon d’Algirdas donne une extraordinaire démonstration, en arrière-plan, le violoncelle de Hugues Vincent. Les percussions s’ajoutent jusqu’à ce que le violoncelle prenne le protagonisme. Et nous terminons avec « Whispered Future », avec une autre excellente introduction d’Algirdas au violon qui se mêle très vite à la partie électronique. Le morceau, qui est assez complexe, pourrait être divisé en trois parties. À la deuxième, il prend un air mystérieux, arabe, et Phil murmure plutôt qu’il ne chante. Une conclusion parfaite pour l’album.
Von Magnet est sans doute l’album le plus « flamenco » dont nous avons parlé jusqu’à présent dans El Garaje. Ce n’est pas un genre qui m’est totalement inconnu, car étant espagnol, j’ai assisté à quelques concerts par le passé. Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas les travaux précédents de Phil Von, rappelez-vous qu’il a également participé à des projets comme Omega, qu’Enrique Morente a enregistré avec Lagartija Nick, un groupe qui tire son nom de la chanson de Bauhaus. Le flamenco et les ténèbres s’étaient déjà rencontrés dans l’œuvre des mythiques Claustrofobia, et il faut également souligner les influences orientales que nous apporte le légendaire label Crammed Discs. Donnez donc une chance à ce grand album, vous ne serez pas déçu. À écouter sans préjugés.