Depuis Rome, Spiritual Front a réussi à créer un son et un monde particuliers, facilement reconnaissables et qui leur a permis de devenir une référence internationale ainsi que l’un des quelques groupes actuels dont la description doit comporter plus de trois mots. Nous avons interviewé Simone Salvatori, fondateur du groupe, cinéphile et représentant authentique de l’esprit du groupe. Ils joueront à Madrid lors d’un concert organisé par Indypendientes le 22 février prochain, dans la salle Wurlitzer. Ils présenteront un double set, divisé en deux parties : l’une avec des chansons des Smiths et l’autre avec leurs propres chansons.
— Nous avons écrit un article sur la nouvelle vague italienne et le post-punk d’il y a quelques années. Avez-vous été influencé par des groupes comme Liftiba ou Diaframma ? Ou par d’autres groupes italiens des années 80 ?
— Désolé de vous décevoir, mais non, je n’ai jamais été influencé par ces groupes. Je ne les ai jamais trouvés intéressants, mais je reconnais qu’ils ont influencé de nombreux autres groupes qui ont suivi. Mais non, je ne suis pas un grand fan. J’étais et je suis toujours fan de groupes de nouvelle vague comme Loyd Cole, The Smiths, ABC, Utravox, Talking Heads et autres.
— Votre musique a été décrite comme neo-folk ou post-industrielle. J’aimerais vous demander ce que vous pensez des trois groupes les plus importants de ce style (du moins pour nous). Que pensez-vous de Death in June, Current 93 ou Sol Invictus ? Vous ont-ils influencé ?
— Je ne crois pas que notre musique puisse être considérée comme neo-folk ou post-industrielle maintenant. C’est peut-être le cas des premiers disques, mais maintenant, on est très loin de ça. Death in June est toujours une grande influence pour nous ; Sol Invictus ont fait beaucoup de choses comme In The Rain, par exemple ; C93 ne nous ont jamais influencés.
— Spiritual Front a été catalogué de style « Mafia folk ». Pensez-vous que votre musique inclut des éléments de la culture italienne ?
— Je ne sais pas qui a eu l’idée de cataloguer notre musique de façon aussi stupide, mais oui, notre musique inclut des éléments de la culture italienne. Et nous en sommes fiers. C’est stupide de renier ses racines et sa culture.
— Est-ce que Spiritual Front est le contraire d’Agnostic Front ?
— Hahaha, oui, dans tous les sens du terme.
— Pouvez-vous nous parler de vos débuts à Rome en 1999 ? Existait-il une scène du genre à Rome ?
— Au début, c’était seulement un projet parallèle, quelque chose qui est né entre quatre murs. Puis c’est devenu un vrai groupe juste après Satyriasis. La scène gothique a disparu et plus rien d’intéressant ne se passe.
— Votre premier disque, Songs for the Will, sort en 1999. Qui étaient les membres du groupe à ce moment ? Quel genre de musique vouliez-vous faire ?
— C’était une démo sur cassette qui a été sortie par Old Europa Café. Moi, j’étais impliqué dans d’autres projets. Je voulais travailler sur Spiritual Front. Je voulais quelque chose de plus acoustique, de plus expérimental. Petit à petit, le projet a grandi et c’est toujours le cas. Ce que je voulais faire ? Ces jours reflètent mon amour pour un certain type de folk et de musique industrielle, avec des artistes comme Smog, American Music Club, Death in June et Boyd Rice, etc. C’était très confus.
— Votre second album, Nihilist Cocktails for Calypso Inferno, est sorti deux années plus tard. Le groupe a décrit la musique comme étant de la « nihilist suicide pop ». Vous êtes nihiliste ?
— Derrière ça, le contexte était la négation de tout type de préconception sur l’art, la sexualité, etc.
— Vous avez mis trois ans à sortir votre troisième disque, Armageddon Gigolo. Avez-vous eu des difficultés à le terminer ? Pouvez-vous nous raconter ce que vous avez ressenti en enregistrant avec une partie de l’orchestre d’Ennio Morricone ?
— J’ai changé plusieurs fois les arrangements, l’équipement qu’on utilisait était très lent et chaotique. On était plus jeunes, pleins d’idées, mais confus en même temps. Les membres de l’orchestre de Morricone étaient très aimables, ils aimaient notre musique et nous avons eu la possibilité de travailler avec eux dans les disques suivants. Ça a été une superbe expérience.
— Comment avez-vous eu l’idée d’introduire le tango dans la neo-folk ? Quel rôle joue l’accordéon dans votre musique ?
— J’aime ces sons. Notre objectif était de trouver la connexion idéale entre Nino Rota et l’atmosphère des films de Fellini, ou quelque chose du genre.
— Votre quatrième album, Rotten Roma Casino, est plus pop. Votre public a-t-il aimé ce changement ?
— Oh non. La majeure partie de nos fans détestaient ça. Mais je dois admettre que, des années plus tard, beaucoup d’entre eux nous ont avoué que l’album commençait à leur plaire.
— Pensez-vous que la compilation Open Wounds fonctionne comme une fin de phase ?
— Je suppose qu’effectivement ça y ressemble, mais il s’agit plus d’une célébration du passé qui n’a pas été oublié. On joue encore beaucoup de chansons de ce disque.
— Vous avez composé un disque (Black hearts in Black Suits) basé sur W.R. Fassbinder. C’est l’un de nos disques préférés. Quel est le film que vous préférez de Fassbinder ? En quoi son cinéma vous intéresse-t-il ?
— Querelle est un film qui a changé ma vie. C’est encore mon film préféré. C’était un réalisateur unique, capable d’associer l’érotisme, la littérature et la critique sociale.
— Pasolini vous intéresse également, tout particulièrement son film Salò. Nous aussi, on aime son travail. Pensez-vous qu’il est bon de rappeler l’existence de ce genre d’artistes, qui s’oublient chaque jour un peu plus ?
— Tout est encore d’actualité, ses livres, ses pensées, ses films… Beaucoup d’années se sont écoulées, mais sa critique de notre système est encore et toujours d’actualité.
— Vos influences littéraires incluent Cesare Pavese, Mayakovsky et Pasolini. Quelle importance revêtent les paroles pour vous ? Vous pensez que les paroles des artistes de neo-folk sont meilleures que celles d’autres styles ?
— Les paroles sont aussi importantes que la musique. Si vous écrivez des paroles pour remplir la musique, eh bien, il n’y a pas d’âme. Je ne dis pas que vous devez enseigner les mathématiques ou l’histoire ou quoi que ce soit, mais au moins, il faut être sincère. Il faut être soi-même, donner quelque chose de sa vie dans ses chansons. Parfois, c’est vrai, les paroles sont meilleures chez les artistes de neo-folk.
— Dernièrement, lors de votre tournée, vous avez joué les chansons des Smiths. Comment vous est venue l’idée ?
— Ça a commencé comme une petite tournée pour les amis, et ensuite elle a pris forme. Ça a commencé à plaire aux gens, alors on a commencé à faire ces spectacles ailleurs.
— Vous avez enregistré un split avec Lydia Lunch. C’est vous qui l’avez contactée ? Et pourquoi la reprise de WASP, un groupe tan différent dans tous les sens du terme de Spiritual Front ?
— C’était l’idée du label Rustblade. Ils ont pensé que quelque chose nous connectait. Je l’ai rencontrée quelques fois, mais on n’est jamais allés plus loin. J’étais un grand fan des groupes de metal des années 80 et faire une version acoustique de WASP m’a paru être un hommage normal envers ces groupes qui ont été tant importants pour moi.
— Que pouvez-vous nous dire de votre projet parallèle, The Lust Syndicate ? Vous allez sortir un disque, appelé Capitalism is Cannibalism, c’est bien ça ? Est-ce qu’il s’agit de votre propre Death in June ?
— Pas du tout, c’est un projet de plus dans la lignée de Test Dept, Einsturzende, Coil, Haus Harafna, SPK… Le disque sortira chez Trisol.
— Et pour finir, que pouvez-vous nous dire de votre nouveau disque, Amour Braque ?
— Je crois que c’est le meilleur disque qu’on ait jamais fait. C’est le résumé parfait de Spiritual Front : de la pop, obscure, dramatique, ironique, stimulante. On peut y reconnaître beaucoup d’influences, mais en même temps, le disque sonne compact et organique. Je le défendrai jusqu’à la mort.