Avec son dernier disque, Kelly Moran a acquis une notoriété et un respect peu habituels dans le monde la musique électronique. Elle a été interviewée par des journaux célèbres, Pitchfork a fait l’éloge de ses derniers disques, et elle a jouée au a Primavera Sound, au Rewire Festival, au Mutek San Francisco et bientôt au Sónar. Ultraviolet, sa dernière œuvre à la fois personnelle et novatrice, remet au goût du jour l’héritage de John Cage. Écoutez sa musique, allez à ses concerts : vous vendrez votre Mac et vos platines pour vous acheter un piano.
—J’ai lu que vous avez commencé par écouter du rock classique et du métal. Certains artistes comme Yes ou Yngwie Malmsteen s’inspiraient de la musique classique. Ces artistes vous intéressaient-ils ? Vous dites également que vous pensez qu’il existe une connexion entre le black métal et le minimalisme, pouvez-vous nous expliquer ?
—Petite, les groupes que j’écoutais le plus étaient Led Zeppelin, The Beatles, Metallica, Tool, et Smashing Pumpkins. J’écoutais beaucoup de rock classique, et j’ai même joué dans des groupes ! Plus tard, à l’université, j’ai joué dans des groupes qui appartenaient à la deuxième vague du black métal. Je pense que ce genre musical partage de nombreuses caractéristiques similaires à la musique minimaliste : rythme constant, adhérence à la tonalité, répétition de notes et trémolos afin de construire des mélodies, etc. Je pense que si on orchestre une chanson de black métal pour un quartet à cordes, on obtiendrait quelque chose qui ressemblerait à du Steve Reich ou du Philip Glass.
—Que pouvez-vous nous dire de votre expérience avec les groupes dans lesquels vous jouiez avant, Cellular Chaos et Voice Coils ? Le premier était un groupe de no-wave, et le deuxième un groupe d’avant-rock, c’est ça ?
—Dans ces deux groupes, je ne jouais pas de rôle important dans la création des chansons. Pour Cellular Chaos, je remplaçais la bassiste qui avait déménagé hors de New York. Du coup, j’ai juste appris à jouer les parties qu’elle avait écrites. Pour Voice Coils, un membre du groupe écrivait toutes les chansons. Je jouais juste les partitions qu’il me donnait. Au final, c’est ce manque de création et de contrôle qui m’a poussée à quitter ces groupes et à me concentrer sur mes propres projets.
—Dans votre premier album Microcosm, jouez-vous tous les instruments ? Il est sorti il y a 9 ans maintenant. Que changeriez-vous si vous deviez l’enregistrer maintenant ?
—Microcosm est le seul album où j’ai fait appel à d’autres musiciens. Mes amis de l’université, Jake Saunders et Josh Holcomb, jouent du violoncelle et de l’alto sur quelques morceaux. Aya Yamamoto joue un duo au piano avec moi sur le dernier morceau. Par contre, c’est moi qui ai enregistré tout le reste : piano, vibraphone, guitare, clarinette, etc. J’aime beaucoup cet album. Je pense que je ne changerais rien, car le processus que j’ai suivi m’a vraiment permis de m’améliorer en tant que compositrice. J’ai aussi pu découvrir à quel point j’adorais composer des albums.
—Pour votre deuxième album, Movement, vous avez utilisé votre expérience à l’université : vous aviez composé des pièces expérimentales pour piano principalement pour accompagner des performances de danse. Que pouvez-vous nous dire du fait de composer avec un chorégraphe ? Allez-vous répéter cette expérience ?
—J’adore travailler avec des chorégraphes ! Composer pour des performances de danse a constitué une grande partie de ma vie il y a quelques années. J’ai arrêté uniquement car j’ai obtenu un travail en tant qu’accompagnatrice de danse à New York, et j’avais besoin d’une séparation entre ma vie professionnelle et ma vie créative. Maintenant que je compose à temps plein et que je n’accompagne plus, j’espère pouvoir de nouveau collaborer avec des chorégraphes. J’adore travailler avec des danseurs : c’est vraiment gratifiant de voir des gens qui incarnent littéralement votre musique. J’ai rédigé ma thèse de MFA sur le processus collaboratif entre chorégraphes et compositeurs, et sur la façon dont leur relation professionnelle évolue pendant le processus créatif. Je suis très intéressée par ce sujet, et j’espère un jour trouver le bon projet et les bons collaborateurs.
—Pouvez-vous nous expliquer exactement ce qu’est One of One ? Un enregistrement live d’une autre collaboration avec Randall Smith ?
—One of One était un album live joué avec Tara Sheena au Shapeshifter Lab à New York, en 2012. Je jouais des arrangements au piano en solo de mes pièces, pendant que Tara dansait.
—Vous dites que vous avez vraiment connu une mauvaise période lorsque vous avez écrit Optimist. Écrire cet album vous a aidé à surmonter vos difficultés ?
—Oui. Mentalement, je n’allais pas bien, mais j’étais très déterminée à sortir de ma routine et à sortir de la musique cette année-là. Composer cet album : c’est la seule chose qui me motivait à sortir du lit tous les jours. Cet automne, j’étais très déprimée. Je me suis réveillée en octobre, et j’ai pensé : « J’ai passé un mauvais mois de septembre. Maintenant, j’ai besoin d’un octobre optimiste. » Je pensais que me forcer à adopter un état d’esprit positif m’aiderait à me convaincre qu’au final, tout allait s’arranger, même si je n’étais pas sûre que ce soit le cas. Cette expérience a été libératrice et m’a montré que je peux canaliser mes émotions de façon productive. Ma tristesse ne devait pas être toujours destructrice.
—Bloodroot constitue un tournant dans votre carrière. Même Pitchfork a fait la critique de votre album. Pensez-vous qu’appartenir à une maison de disques vous a aidée à diffuser l’album ? Ou pensez-vous que vous avez enfin appuyé sur le bon bouton ?
—Pour Bloodroot, c’était la première fois que je sortais de la musique chez un label. Par le passé, je ne faisais que mettre les albums sur Bandcamp et je les partageais avec mes amis. Mais bon, comme ça, on ne va pas très loin. Pour Bloodroot, j’ai voulu sortir l’album dans les règles de l’art. Honnêtement, le label n’avait pas beaucoup d’attente, car il était très petit et très spécialisé, peu connu, et personne ne me connaissait non plus. En plus, j’avais reçu beaucoup de critiques négatives pour cet album : on me disait qu’il était trop expérimental ou trop différent pour que les gens le comprennent. Je ne m’attendais donc pas à aller si loin. Je crois que j’ai eu de la chance, car j’ai créé quelque chose d’unique, qui s’est démarqué quand les gens l’ont écouté.
—J’ai assisté à votre concert à l’Electronica en Abril. Vous avez joué tout votre album Ultraviolet. De quelle façon voyez-vous vos concerts à l’avenir ? Allez-vous jouer vos derniers albums, ne souhaitez-vous pas jouer une sélection de chaque LP ? Pensez-vous que le résultat est meilleur si vous jouez intégralement vos albums ?
—Pour ce cycle d’albums, je voulais tout jouer du début jusqu’à la fin, car je pensais qu’il racontait son histoire et montrait comment on est censé ressentir la trajectoire émotionnelle de la musique. Je ne sais pas ce que je ferai après Ultraviolet ! Je n’ai même pas encore commencé à écrire mon prochain album. Mon calendrier de tournée était vraiment chargé. Cependant, je compte garder l’esprit ouvert sur la façon dont je vais structurer mes spectacles à l’avenir. Je n’en aurai pas la moindre idée jusqu’à ce que je compose de nouveaux morceaux. Chaque projet est unique, donc la performance pourrait être complètement différente ! À mon sens, Ultraviolet est un album tellement cohésif qu’il faut le jouer en entier. J’aime également le fait qu’il me permette de construire un monde où je peux emmener mon public.
—Nous devons vous poser la question typique sur le piano préparé. Comment vous êtes-vous intéressée à cette technique ?
—J’ai commencé à m’intéresser au piano préparé lors d’un concert de l’un de mes professeurs d’université, qui a présenté des sonates et des interludes de John Cage lors d’un concert alors que j’étais en première année. C’était incroyable. Cette technique a transformé un instrument auquel j’avais joué toute ma vie en quelque chose que je reconnaissais à peine. J’adorais le son unique et distinct du piano préparé. Je voulais en savoir plus. J’ai commencé à apprendre les pièces pour piano préparé de John Cage, et je les ai jouées en tant qu’étudiante. J’ai mis plusieurs années avant de trouver le courage d’écrire mes propres pièces.
—Comment choisissez-vous les noms de vos chansons ? Dans votre album Optimist, trois chansons nous ont particulièrement marqués : « Strangers Are Easy To Look At », « Loved Ones Are Museums Of Brutality » et « Nyght Spel ». Que pouvez-vous nous raconter sur ces chansons ?
—« Strangers Are Easy To Look At… » est une ligne d’un poème écrit par mon amie Abeer. Cette phrase était frappante, je tenais à l’utiliser comme titre car elle était très honnÊte. J’ai tendance à choisir mes noms au hasard pour les titres, et en général, ils n’ont pas vraiment de signifiation profonde. Je titre les chansons après les avoir terminées. Je mets longtemps avant de trouver les mots que je pense appropriés. Elles sont toutes différentes !
—Quel genre de public assiste à vos concerts ? Est-ce un public plus intéressé par la musique claassique, ou par l’électronique ?
—Mon public est très varié. J’adore son ouverture d’esprit et le fait qu’il soit nerd !
—Si vous aviez la possibilité de composer une bande-son pour un film, selon vous, quel genre correspondrait le mieux à votre musique ?
—Aucune idée ! Je dirais, tout ce qui n’est pas ciné d’horreur ou effrayant, car personnellement, je ne regarde pas ce genre de films. Et tout ce qui n’est pas violent !
—Comment travailler avec Oneohtrix Point Never a influencé votre musique ?
—Travailler avec OPN a surtout influencé la structure de mes shows live en fait. En tournant avec lui, j’ai vu comment sont ses shows, et j’ai vraiment eu envie de créer un show live très spécial. C’est pour ça que je demande toujours de grands écrans pour mes projections vidéo. J’aime le fait que Dan ne soit pas conformiste en matière de présentation de performance. Il montre aussi que vous pouvez donner au public un superbe concert jsute en faisant les choses légèrement différemment. Par exemple, il utilise des écrans de projection fracturés pour MYRIAD : c’est maintenant un véritable élément caractéristique du show. Pour mes concerts, j’utilise des projections immersives et je place le grand piano au milieu. C’est ma signature.
—Vous dites que signer chez Warp était une excellente idée. Nous sommes aussi des fans du label. Pensez-vus que Warp soit l’un des labels les plus intéressants du businness de la musique ? Lorenzo Senni, Yves Tumor et vous êtes de superbes ajouts.
—Oui, je pense que Warp est bien l’un des labels les plus intéressants qui soient dans le business. J’aime le fait qu’ils n’ont pas vraiment de formule pour déterminer qui devrait signer chez eux. La seule chose qui unit les artistes, c’est qu’ils doivent être uniques et avant-gardistes. Il y a tant d’artsites que j’adore et et admire pour leur originalité. Ils repoussent sans cesse les frontières de la musique.
—Selon vous, quelle est l’importance de la présence du piano dans la musique dance moderne ?
—Je ne sais pas trop quoi répondre ! Mais je pense que le piano occupe une place importante 🙂