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Interview : Joolz “Je suis une poètesse qui travaille parfois avec des musiciens, pas la chanteuse d’un groupe.”

par Violeta

À la fin des années 80, dans certains des clubs les plus importants d’Espagne, on pouvait écouter “The Stand”, un morceau qui a créé un moment très émotif et magique. Il était très populaire dans ce qu’on a appelé plus tard “La Ruta del Bakalao” sur la côte est, mais on dit aussi que c’était le dernier morceau joué au populaire New World à Madrid. Outre la composition de ce morceau d’histoire de la musique populaire, Joolz Denby est poète, romancière et tatoueuse de renom. Dans cette interview, exclusive pour DarkMad, elle parle de ces autres facettes de sa vie qui ne sont peut-être pas si connues de nos lecteurs. Elle se produira au festival de Madrid qui aura lieu les 14 et 15 octobre prochains. Ce sera l’une des rares occasions où nous pourrons la voir jouer en direct ce titre légendaire.

— Tu vis à Bradford, en quoi ça t’a influencée ?

— Honnêtement, je ne sais pas. J’ai toujours vécu ici ou presque, depuis 40 ans dans la même maison. C’est une ville pauvre, mais elle possède une belle architecture ancienne et est très proche de la campagne. Je ne me rends pas beaucoup en ville, je ne connais personne. On pourrait dire que je suis une ermite.

— Tu étais motarde chez les Satan’s Slaves, c’était sans doute assez inhabituel pour une femme à l’époque. As-tu vécu une forme de discrimination ?

— Les femmes ne sont pas autorisées à être membres, donc c’est mon ex-mari qui était officiellement membre des Satan’s Slave, pas moi. Bien sûr, la discrimination était présente, tout comme dans le monde de la musique, de l’art et de la poésie. J’ai dû me battre comme une diablesse pour arriver à mes fins. J’ai même reçu des menaces de mort, de viol et de torture pendant 40 ans. Mais je m’en fiche. Vraiment. Ça ne m’a pas empêchée de faire ce que je voulais.

— Tu as travaillé comme videuse au début de la période punk. As-tu une histoire drôle à nous raconter de cette époque ?

— Je pensais que les videurs du club punk faisaient mal leur travail. Lorsque je leur ai dit, ils m’ont demandé si je pensais pouvoir faire mieux. J’ai bien entendu répondu par l’affirmative, alors ils ont ajouté que je commençais à bosser dès le samedi soir. Et c’est ce qui s’est passé. Effectivement, j’étais meilleure qu’eux car à part les Satan’s Slave, mon père, qui était un ancien soldat d’élite, m’avait entraînée au combat. Un bon conseil, ne commence jamais un combat si tu peux t’en sortir en parlant.

— Quand as-tu commencé à écrire de la poésie ? Et à l’interpréter ?

— J’étais considérée comme une enfant prodige de la poésie et mon travail a été critiqué par le célèbre poète Ted Hughes quand j’avais 11 ans. En gros, on pourrait dit que j’écris depuis toute ma vie.

— Tu as cité les poètes de Mersey et Dylan Thomas comme tes influences, mais quel auteur-compositeur t’a influencée dans ta façon d’écrire ?

— Aucun. Ma plus grande influence est la romancière Mary Renault, son livre The Mask Of Apollo est mon préféré.

— Quand et comment as-tu rencontré Justin Sullivan ? Il a dû être sacrément important pour ta carrière musicale.

— Je l’ai rencontré il y a environ 45 ans dans une boîte de nuit bon marché à Bradford. Toute ma vie, j’avais dessiné un visage dans les marges de mes journaux et quand ce garçon – Justin – s’est retourné, c’était ce visage. Nous avons commencé à parler cette nuit-là et nous n’avons jamais arrêté depuis. J’ai cofondé son groupe, j’ai été leur premier agent-manager et j’ai réalisé la majorité de leurs illustrations et conceptions de produits dérivés, ainsi que toutes sortes d’autres choses. Tu devrais peut-être lui demander quelle influence j’ai eue sur sa carrière musicale.

— Dans tes deux premiers singles Denise et The Kiss, tu as travaillé avec Jah Wobble. Comment l’as-tu contacté et commencé à travailler avec lui ?

— Abstract Records m’a signée et un ami journaliste musical a suggéré Wobble, alors la maison de disques a tout arrangé. J’ai adoré enregistrer avec lui, mais il est fou.

— Au contraire, ton premier album de 1985 Never Never Land… était plus axé sur le spoken word. Tu as voulu publier un exemple de tes performances ?  Est-ce que « Jackanory » était une satire sur les punks ?

— Oui, j’avais peur que les gens pensent que je me produirais avec un groupe complet, alors que ce n’était pas le cas. Ça s’est produit lors d’un festival en Pologne, même s’ils n’avaient envoyé que 2 billets d’avion, on m’a reproché de ne pas être venue avec d’autres musiciens. De plus, je suis poète et je travaille parfois avec des musiciens. Je ne suis pas la chanteuse d’un groupe. Oui, « Jackanory » était une légère satire de la scène punk, très pince-sans-rire. Certaines personnes ont été offensées.

— Love is Sweet Romance a été ta première référence avec la collaboration de New Model Army. Comment cette collaboration a changé ta façon d’aborder la musique ?

— C’est toujours plus facile de travailler avec des artistes que tu connais. Ils enregistraient ma piste vocale et la piste rythmique puis composaient la musique autour. À mon avis, c’est la meilleure façon de mettre la poésie en musique, car elle soutient et ne domine pas. Ce sont des musiciens qui travaillent très dur, très créatifs, très intéressés par les nouvelles choses et idées.

— Tu as aussi conçu toutes les pochettes de NMA. Laquelle tu préfères ? Comment tu les crées ? Tu écoutes les albums et dessines ce qu’ils t’inspirent ou est-ce que le groupe te donne une idée pour les illustrations ?

— J’ai conçu 95 % des pochettes d’album et de single et 95 % des produits dérivés. Parfois, les maisons de disques ou un manager pensent qu’ils se débrouilleront mieux qu’une « fille » et font des choses horribles, mais bon. Ma pochette d’album préférée dépend de mon humeur, mais en ce moment c’est Winter.

— « The Stand » était un classique de la dance, très populaire en Espagne à la fin des années 80 et au début des années 90. Peux-tu nous parler un peu de la composition et de l’enregistrement de cette chanson ?

-“The Stand” parle de l’apparition de New Model Army dans l’émission de musique pop de la BBC Top Of The Pops. Nous avons subverti tout l’événement, nous nous sommes disputés avec tout le monde et le groupe a joué en direct sans backing tracks, ce qui était inédit. Mais même si tout le monde a dit qu’ils avaient gagné, nous n’avons pas eu cette impression. De plus, je pense que personne ne « gagne » jamais dans une bagarre. C’est un morceau qui parle de fierté, de la naïveté des jeunes qui pensent tout savoir et finalement ne savent rien, et du déchirement douloureux de grandir dans un monde dur et difficile, de devenir un artiste. Il parle des amis de jeunesse qui se sont éloignés, et de ce qu’ils sont devenus. Nous l’avons enregistrée en pleine campagne dans un studio en Cornouailles, très éloigné, très beau.

— Nous aimerions aussi parler un peu de ton travail de romancière. Comment as-tu commencé à écrire des romans policiers ? Stone Baby était ton premier, a-t-il été difficile de passer de la poésie à la prose ?

— Non, ça m’a juste pris un peu plus de temps. Mes poèmes sont surtout des histoires, alors je considère les romans comme de très longues histoires. Stone Baby a remporté le prix New Crime writer Of The Year et a été présélectionné pour plusieurs autres prix. Mais Billie Morgan est le meilleur roman que j’ai écrit, il a été présélectionné pour le Prix Orange.

— Billie Morgan est inspiré de tes jours de motarde. Quelle part de ta vie incorpores-tu à tes romans ? La plupart d’entre eux se déroulent à Bradford ou dans des endroits où tu as vécu. Penses-tu qu’il est plus facile de créer une fiction en partant de la vie réelle ?

— Je voulais que Billie Morgan soit aussi réaliste que possible sur la vie de motard, car beaucoup de « romans de motards » sont tout simplement ridicules. Je voulais prendre du recul et utiliser ma propre vie comme matériau. Il est toujours préférable d’écrire sur des choses que tu connais réellement puis de t’en servir comme base pour soutenir ton imagination.

— A True Account of the Curious Mystery of Miss Lydia Larkin and the Widow Marvell est une pièce assez unique de ton catalogue car elle peut être étiquetée comme du réalisme magique. Tu t’es intéressée à la littérature sud-américaine car ils ont écrit quelques chefs-d’œuvre du genre ?

— J’ai toujours été intéressée par la mythologie, en particulier la mythologie grecque, alors j’ai pensé qu’il serait intéressant d’explorer ce qui arrive aux Dieux que personne ne vénère plus. C’était très amusant à écrire.

— Ton dernier roman, Wild thing, date de 2012, écris-tu un nouveau roman ?

— J’écris actuellement un roman sur l’industrie musicale moderne, les one hit wonders, la cocaïne, la vanité, les gangsters russes, l’art, la vie et la mort. Basé sur l’histoire d’Orphée.

— Tu as lancé ta propre maison d’édition, appelée Ignite Books. Comment les choses se passent-elles ? Tu as publié des livres de Tezz Roberts de Discharge et de Ross Lomas de GBH, n’est-ce pas ?

— Faux. Le gars avec qui j’ai créé l’entreprise a fait une prise de contrôle hostile. Il voulait publier tous les hommes qu’il admirait dans la musique rock. Ça n’avait et n’a toujours rien à voir avec moi. Jamais je n’aurais publié ces livres.

— Dans une interview, tu as avoué avoir fait passer le travail avant ta vie sociale. Ça devient plus difficile avec les années ?

— Je regrette de l’avoir fait, car on a besoin d’un cercle social quand on vieillit et qu’on n’a pas de famille comme moi. Mais le travail représentait tout à mes yeux. À présent, je suis généralement seule, comme une vieille sorcière, une sorte de nonne laïque qui vit dans ma maison en ruine avec mon jardin sauvage, les cycles de la nature et les saisons. C’est une vie très solitaire, mais c’est la vie d’un artiste.

— Pour en revenir à ta carrière musicale, Red Sky Coven est une sorte de projet folk. Tu peux nous en parler ? Tu es toujours en tournée avec, n’est-ce pas ?

— Nous ne faisons plus de tournées car les hommes ont soit des partenaires qui n’approuvent pas, soit leur propre travail qui passe avant tout. C’était un projet incroyable et unique que nous avons adoré, tout comme les Européens.

— Que peux-tu nous dire sur The Black Dahlia, ton album avec Mik Davis ?

— Mik était un jeune musicien très créatif qui a passé un an à travailler sur l’album, ce qui, je pense, a été un très bon terrain d’entraînement pour lui aussi en tant que producteur. Il a ensuite produit des groupes et des poètes locaux, et travaille désormais sans relâche et de manière désintéressée pour la santé mentale des jeunes dans notre région. Il est très respecté dans ce domaine et ils ne savent pas qu’il était autrefois une rock star, en tournée avec un super groupe.

— Ton dernier album, Crow a été enregistré avec le compositeur allemand Henning Nugel. — Comment s’est passée la collaboration avec quelqu’un qui n’appartenait pas à la scène rock ?

— Henning est génial. C’est un incroyable musicien à la technique impressionnante, qui est extrêmement intuitif et je ne l’ai jamais rencontré ! C’est très drôle, nous n’avons même jamais parlé au téléphone. Nous communiquons par e-mail ou par les réseaux sociaux. Je lui envoie simplement la piste vocale et il crée un paysage sonore autour. C’est un type génial. Très gentil et agréable.

— Tu étais manager de New York Alcoholic Anxiety Attack, pas vrai ? Comment décrirais-tu l’expérience de travailler avec un groupe de cette manière ?

— J’ai géré et organisé la tournée de quelques groupes, il s’agit simplement d’être bien organisé et de faire attention aux détails. C’est un travail difficile, mais j’ai apprécié, et j’ai l’habitude de travailler dur. Il faut juste être patient et oublier son ego. Ça change.

— Tu es aussi une tatoueuse célèbre. Quand as-tu commencé à faire des tatouages ? Qu’est-ce que tu recherches dans les tatouages que tu réalises ?

— Je travaille dans l’industrie du tatouage depuis les années 1970, mais à l’époque, les femmes n’étaient pas encouragées à devenir tatoueuses, alors j’ai mis ça de côté jusqu’à ce que le maître tatoueur Ben Stone (qui sera avec moi au DarkMad) dise qu’il était temps que je réalise ma vieille ambition et qu’il me mette en apprentissage. C’était assez difficile car tout le monde me regardait en s’attendant à ce que je sois une « tatoueuse de célébrités », mais je ne le suis pas. Je suis une artiste tatoueuse, c’est très chamanique, très magique. C’est un processus de transformation et de changement de vie et mes clients viennent me voir pour une expérience holistique et mon art. Je ne copie pas, je ne tatoue que mon propre travail.

— Comment était ta vie pendant ces dernières années ?

— Folle, déchirante, créative, bizarre, casse-cou, sombre, dorée et plongée dans l’amour et la douleur.

— Brexit, guerre, violence domestique…. Le monde ne semble pas s’améliorer. Tu t’es déjà sentie fatiguée de te battre pour ce qui est juste ?

— Jamais. Je ne cesserai jamais de me battre pour la justice et les droits et la sécurité des femmes et des enfants.  Le Brexit est un désastre total pour mon pays, une erreur aux proportions colossales qui a détruit le Royaume-Uni. Cela me fait pleurer pour mon pays.

— Deux artistes, une des années 80 et une moderne, ont beaucoup de similitudes avec toi. Je parle d’Anne Clark et de Kae Tempest. Tu aimes leur musique et leurs paroles ?

— Je n’ai pas suivi leur travail donc je ne peux pas me prononcer.

—Que nous réserves-tu pour ton concert au Darkmad ? Tu viens avec un groupe ?

— Je travaille avec les musiciens de DarkMad, c’est une collaboration, une expérience artistique. Je suis extrêmement heureuse que les fans de musique espagnols aient aimé mon titre, cela signifie beaucoup pour moi et je suis honorée d’interpréter « The Stand » pour eux. J’espère qu’ils apprécieront l’œuvre d’une vieille poète

 

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