Entre El Garaje et JE T’AIME, ça a été un véritable coup de foudre. Avant d’assister pour la première fois à l’un de leurs concerts, on ne les connaissaient pas. Ajouté à l’affiche à la dernière minute pour cause de remplacement, le groupe nous a tellement plu, qu’on est partis en courant à la fin de leur presta pour acheter leur premier album. Quelques mois plus tard, nous avons eu l’occasion de parler avec les trois membres du groupe. Ils joueront au Dark Winkter Festival de Liège, en janvier de l’année prochaine. L’édition qui devait avoir lieu en avril a dû être reportée en raison du coronavirus. Vous aussi, tombez amoureux de JE T’AIME.
—Comment vous êtes-vous rencontrés ? J’ai lu pas mal de choses différentes, notamment que le groupe est né d’une blague et d’une histoire, une comparaison avec une raclette ? Au début, il existait un collectif appelé JE T’AIME avec Anaïs Novembre et Marion Parfait, qui ont également fait certains des chœurs de l’album ?
—dBoy : JE T’AIME a effectivement vu le jour après une fête. Tous les trois, on avait déjà travaillé ensemble sur d’autres projets musicaux avant de créer ce groupe. Anaïs et Marion sont deux amies proches. Elles nous aident depuis le début avec la vidéo et le design.
—Crazy Z : Un groupe est toujours une sorte de collectif, ce n’est pas seulement trois musiciens, mais beaucoup de gens qui travaillent dans l’ombre, comme nos ingénieurs du son et lumière, les vidéastes… Si le cœur du groupe reste nous trois, on sait ce qu’on doit à notre équipe d’amis et notre entourage. Particulièrement parce qu’on fait ce boulot pour s’éclater avec eux aussi.
—Tall Bastard : Quand on dit que le groupe a vu le jour après une fête, on veut dire que rien n’était planifié. On voulait juste faire de la musique ensemble et à la fin de la nuit, on avait notre première chanson.
—Votre première chanson s’appelait « The Sound » (est-ce en référence au groupe des années 80 ?). Comment l’avez-vous écrite et enregistrée ?
—dBoy : On a écrit la première chanson pendant cette fameuse fête. À la base, on voulait simplement s’amuser dans mon studio. On a passé beaucoup de temps à discuter à propos de She Past Away pendant cette soirée et du fait que c’était cool de les voir faire danser le public dark lors de leur concert. On voulait probablement prouver qu’on pouvait le faire aussi, histoire de s’amuser. Enfin, on était bourrés aussi. Et non, le titre ne fait pas référence à ce groupe. Il cristallise simplement ce dont parle la chanson.
—Tall Bastard : Oui, ça a été une expérience amusante. Nos idées venaient les unes après les autres très facilement. Comme si elles étaient dans nos têtes depuis longtemps. Tout semblait évident. Et très marrant aussi.
—Ce premier album est un concept décrivant la descente aux enfers d’un homme lors d’une nuit parisienne remplie d’excès de toutes sortes. Comment avez-vous eu cette idée ? Est-ce basé sur vos propres expériences ?
—Crazy Z : C’est simple, on l’a vécue en direct ! 😊 C’est plus ou moins une combinaison de nos histoires, mais le genre d’histoire dont beaucoup de gens pourraient faire partie. J’aime penser que les auditeurs se reconnaissent dans cette histoire : une relation amoureuse qui se termine, un amant qui sombre dans l’alcoolisme… et la volonté de tout envoyer bouler quand tu te retrouves seul, mais pas dans un mouvement de désespoir. Plutôt une étrange autodestruction euphorique, où tu emmènes tous les amis que tu peux à une fête qui ne se termine jamais.
—Quels albums conceptuels auriez-vous voulu écrire, et pourquoi :
a)Serge Gainsbourg: L’homme à tête de chou
b)Rick Wakeman: The Six Wives of Henry VIII
c)Frank Ocean: Channel Orange
d)Field of the Nephilim: Elizium
—Crazy Z : Et bien, j’imagine qu’on va avoir 3 réponses différentes. Pour ma part, je préfèrerais citer un Mechanical Animals, probablement parce que c’est plus léger que ceux-là. Mais puisque ce n’est pas dans la liste, je choisis les Fields. L’atmosphère de cet album est tellement puissante…
—dBoy : Melody Nelson, sans hésitation.
—Sur votre site web, on peut lire que la musique du groupe est influencée par les groupes de Manchester des années 80. Et la coldwave française ? On est fans de quelques-uns de ces groupes.
—Crazy Z : Dernièrement, j’ai lu une étude qui disait qu’après 27 ans, on n’est plus capable de découvrir de nouvelles musiques. Mais avant que j’aie 27 ans, il n’y avait pas de coldwave notable en France, à l’exception… d’Indochine ? 😊 Blague à part, il y a actuellement des groupes vraiment sympas avec qui ça serait génial de jouer : Rendez-Vous, Jessica93, Minuit Machine… On est vraiment proches de Soror Dolorosa, Varsovie aussi… Et chez le même label que nous, vous pouvez écouter Sydney Valette et nos amis de Order 89.
—dBoy : En ce moment je suis à fond sur Hante. et Rue Oberkampf.
—Tall Bastard : J’ai découvert OTO récemment. Honnêtement, j’étais beaucoup trop branché musique Britannique quand j’étais plus jeune et je n’ai donc pas trop fait attention aux groupes français. Mais oui : Soror, Jessica et Rendez-Vous sont géniaux !
—dBoy, dans une interview tu as déclaré être fan de Diabologum. Quand j’avais 20 ans, je demandais à tous les Français que je rencontrais s’ils connaissaient ce groupe, et personne n’en avait entendu parler. Étrangement, ils étaient à ce moment-là plutôt bien implantés dans la scène alternative espagnole. Qu’est-ce que tu aimes chez eux ? Penses-tu qu’on retrouve leurs influences dans le son du groupe ?
—dBoy : À cette époque, j’étais particulièrement sensible aux groupes français, qui chantaient dans cette langue. Ce que j’aime avec ce groupe c’est leur côté doux-amer. La poésie de leurs paroles renforçait un son très post-rock, avec ces percussions qui résonnaient de manière très ample. Ils étaient des OVNIS de la scène française. À côté de ça, je pense que Varsovie est très proche de cet univers. Finalement Lennon avait tort.
—Tall Bastard : Je pense que « 365 jours ouvrables » était dans le top 50 français. Mais ce groupe n’a pas été créé pour être populaire et ils ont décidé de se séparer. Je les adorais vraiment : leurs paroles, très fines d’esprit et pleines de désespoir. Chaque vers est une histoire à lui seul. Et leur son lo-fi. Mais c’était un groupe très introverti, dans leurs textes et dans leur musique. Comme Dany l’a dit plus tôt, on voulait faire danser les gens. Je suis quasiment sûr que Diabologum ne souhaitait pas ça pour eux-mêmes.
—À la fin de « Satan’s Bitch », on peut entendre un dialogue de La Maman et la Putain. J’imagine que c’est de nouveau l’influence du groupe de Michel Cloup, mais êtes-vous intéressés par la nouvelle vague ? Le thème de votre album serait parfait pour un film. Ou peut-être y a-t-il trop d’action.
—Tall Bastard : C’est vrai qu’on adore ces vieux films « très français ». Ils ont une atmosphère unique. Les regarder, c’est pour moi comme écouter une vieille femme qui a de nombreuses histoires à raconter. Quant à se servir du thème de l’album pour un film… Pourquoi pas ! Peut-être un peu comme « Leaving las Vegas ».
—Les groupes comme le vôtre ont clairement un son années 80. Certains aiment ça, d’autres le regrettent, mais ne craignez-vous pas que les années 90 ressurgissent ?
—Crazy Z : Je présume qu’on a pris également certaines de nos influences dans les années 90, particulièrement le rock alternatif de ces années-là. Bon, je vais détourner ta question et passer pour plus bête que je ne suis : même les Pixies sont un groupe des années 90 ! Plus sérieusement, la moitié de notre album est clairement inspirée des années 80, mais l’autre moitié est, à mon avis, vraiment moderne.
—Tall Bastard : Tu sais quoi ? Quand je suis devenu trop vieux pour être dans un groupe, les années 80 étaient derrière nous et j’ai dû jouer de la pop britannique. Plus personne ne voulait d’un fan des Cure à la guitare. Jouer les chansons de JE T’AIME est un putain de soulagement pour moi. Je suis enfin là où j’étais censé être. Donc même si on n’atteint pas la lune, je suis très fier de faire partie de ce groupe et c’est plus que suffisant !
—Dans un magazine, le groupe a expliqué : « avec ‘Dance’, on va au cœur du problème : s’amuser à tout prix, ou mourir. Le ciel noir, rempli de poudre blanche, est une référence aux trous de mémoire qui surviennent après trop d’excès ». Avez-vous peur de ces trous de mémoire, de ce que vous avez fait ou de ce que vous avez oublié ?
—dBoy : Pour être totalement honnête avec toi, les trous de mémoire en soirée sont habituels chez moi. Et ce n’est pas moi qu’ils effraient le plus mais mes amis. Enfin, ce que je voulais dire c’est surtout que notre musique est faite pour s’amuser et danser, même si elle a un côté sombre. Et j’ai l’impression que le monde en a plus que jamais besoin.
—« Spyglass » est la chanson qui sonne le plus synthpop des années 80. L’un d’entre vous est-il intéressé par tous ces groupes électro comme SURVIVE et Carpenter Brut qui nous ramènent également dans les années 80 ? Eux aussi, ils sont Français.
—Crazy Z : On peut assurément dire qu’ils ont su ramener la vibe des années 80 d’une façon nouvelle et innovante. La puissance brute de Carpenter Brut est vraiment très intéressante, et il n’y a pas un de mes sets de DJ où je ne passe pas une chanson de l’un ou l’autre de ces artistes. Je me fiche royalement qu’ils soient Français ou non, l’important est qu’ils fassent entrer les gens dans leur monde alternatif, en Europe, en Amérique, en Asie… et ça, c’est remarquable.
—Comment avez-vous sélectionné les artistes qui ont remixé vos chansons dans l’album de remixes En négatif?
—Crazy Z : C’est un mélange d’artistes qu’on aime, et d’amis qui sont aussi des artistes qu’on aime ! 😊. Le truc c’est qu’il est plus facile de les convaincre quand ils sont vos amis que quand ils ne le sont pas.
—Dany Boy, tu as joué avec Herrschaft également, tu peux nous en dire plus à propos de ce groupe ? Encore avant tu faisais partie de Soror Dolorosa, n’est-ce pas ?
—Crazy Z : Euuuh… 😊
—dBoy : OK, bon, Herrschaft est un jeune groupe de metal indus, et ils m’avaient demandé de les aider à développer un peu mieux leur projet, ce que j’ai immédiatement accepté. En réalité, c’est le projet de Crazy Z, pour lequel je suis à la basse. Il est mieux placé que moi pour en parler. En ce qui concerne SD, j’ai eu la chance de les accompagner, au synthé, sur quelques concerts l’année dernière. Andy est un vieil ami.
—Crazy Z : Alors, Herrschaft est un groupe indus créé en 2004. Et Dany nous a rejoints en 2015. Même si on était déjà amis depuis longtemps, ce projet musical est le premier qu’on a vraiment partagé. Avant cela, on trainait ensemble quasiment toutes les semaines, en écoutant nos projets respectifs et en se disant que ça serait génial de travailler ensemble.
—Et Crazy Z. joue à la guitare avec Ambassador 21, peux-tu nous en dire plus sur ce groupe ?
—Crazy Z : Ambassador21 est à l’origine un duo biélorusse de power noise. Il y a quelques années, ils ont décidé de se diriger vers une version d’eux-mêmes bien plus rock. Ils ont invité le batteur des Herrschaft et moi-même à un grand festival de musique noise, le Machinenfest en Allemagne. La vache, l’événement était énorme, blindé de monde.
J’ai travaillé sur les chansons quelques jours avant, puis j’ai pris l’avion pour le festival… On s’est retrouvé sur scène… sans même avoir répété une seule fois avant (rires). Le concert était excellent, et le festival nous manque maintenant. Depuis, je voyage avec eux chaque fois que c’est possible.
—Quels sont les projets du groupe pour le futur ?
—dBoy : Pour le moment, on continue d’écrire pour le second album. Et le confinement lié au Covid19 nous aide beaucoup. On a beaucoup de temps libre. L’objectif principal du groupe est la scène. Donc on va continuer les concerts autant que possible. On adore voyager et rencontrer notre public.Comment vivez-vous cette actualité ? Craignez-vous d’avoir des concerts annulés prochainement ?
—Crazy Z : Ce n’est même plus une crainte : tous nos concerts jusqu’à début juin sont annulés. Mais on ne peut même pas être en colère : ce serait égoïste car tout le monde est dans la merde, avec parfois des problèmes plus importants que les nôtres. Mais on verra de quoi demain sera fait. 2020 et 2021 seront des années très artistiques, j’en suis sûr. Voyons cela du bon côté, c’est l’occasion de prendre le temps de travailler sur des projets et des idées abandonnés. Si la situation n’était pas si dramatique, je m’en réjouirais vraiment.
—À quoi peut-on s’attendre concernant votre futur concert au Dark Winter Festival ?
—dBoy : Au moment où l’on répond à tes questions, le festival a été décalé à l’année prochaine. Pour les concerts, quand ils seront reprogrammés, on ajoutera des nouvelles chansons du prochain album, sur lequel on est actuellement en train de travailler. Sur le premier album, on n’avait pas eu l’opportunité de les jouer sur scène avant de les enregistrer, ce type d’exercice est toujours important.