Le retour des cassettes des années 80 nous a apporté beaucoup de joie, dont la découverte de la musique de Das Ding. Le producteur hollandais a fait son grand retour grâce à une compil publiée par Minimal Waves en 2009, et depuis, il n’a pas cessé de publier du matériel très intéressant. Il jouera à l’Ombra le 28 novembre, dans ce qui sera certainement son dernier concert.
—Tu as commencé ta carrière musicale dans un groupe punk appelé Spastix. As-tu conservé cet esprit punk dans ta musique ? Tu as toujours été très DIY et tu as toujours essayé de composer la musique la plus simple possible.
—Je dirais que c’est l’esprit post-punk, mais l’aspect DIY est surtout punk, c’est vrai. Ou c’est peut-être plus une question d’aspects pratiques qu’on apprend de l’esprit punk.
—Le nom de ton projet principal, Das Ding, signifie La Chose, en référence au classique de Christian Nyby et Howard Hawk, La Chose d’un autre monde. As-tu regardé le film La Chose de Carpenter à l’époque ? Aimes-tu ce remake ?
—J’étais et je suis toujours un gros geek de SF. J’adore tout ce que fait Carpenter, y compris sa musique. J’ai vu La Chose sur la télé allemande alors que je cherchais un nom. Das Ding m’a tout de suite semblé parfait. Tout comme le remake !
—La plupart de ton matos d’origine provient du groupe dissous de ton frère. Comme il s’agissait principalement de synthés et de séquenceurs, je me demande quel type de musique il jouait ? T’a-t-il influencé ? T’a-t-il aidé à utiliser ces machines au début ?
—C’était un groupe de rock appelé Link. Ils utilisaient un peu des synthés et des séquenceurs à la fin, j’ai eu de la chance ! EN musique, on tâtonne tous un peu, mais c’est vraiment un excellent guitariste. Pour ce qui est de l’équipement, je me suis débrouillé tout seul.
—Fad Gadget fait partie de tes influences. Au Garaje, on adore parler de lui. Qu’aimes-tu de lui et comment sa musique t’a-t-elle influencé ?
—C’est surtout la simplicité de ses chansons et la clarté de son expression, comme dans « Back to Nature ». Je l’ai vu à la télé et j’ai pensé que je pourrais faire la même chose !
—Que peux-tu nous dire de la création de Highly Sophisticated Technological Achievement en 1982 ? Pourquoi la réédition sur Minimal Wave présente différents morceaux ? Pourquoi garder le même nom alors que l’album était différent ?
—Quand j’ai enregistré ces pistes, je passais mon temps à taper des séquences dans les machines jusqu’à ce que j’aie de la chance et obtienne un truc qui me plaisait, auquel j’ajoutais des tonnes de delay. J’en étais vraiment content. L’album était plus un genre de compil réalisée par Veronica, alors la décision lui revenait. Cependant, on a quand même discuté des morceaux à inclure.
—Je sais que tu étais squatteur, tu peux nous en dire plus ? Tu as vécu avec un groupe de squatteur ? Comment était l’atmosphère ? Connais-tu le groupe de punk légendaire The Ex ?
—Oui, j’ai été squatteur pendant de nombreuses années. C’était parfois sinistre, on devait protéger notre maison contre la police ou contre des propriétaires furieux qui envoyaient leurs hommes de main nous menacer. On traînait près de l’Emma, une salle de punk légendaire à Amsterdam, avec The Ex et beaucoup d’autres, comme BGK et Kift, alors oui, je connais tous ces gens. Notre groupe, The Cherry Orchard, a donné son dernier concert dans une garden-party qu’organisait chaque année The Ex.
—À la même époque, tu faisais aussi partie du collectif artistique STORT. Quels genres d’événements organisiez-vous ?
—C’était le chaos total. On organisait généralement des parodies des rallyes politiques, on faisait des installations bizarres… J’écrivais les dialogues, m’occupait des sons et de la musique, et aussi de l’émission radio qu’on réalisait deux fois par semaine sur Patapoe et Radio 100 à Amsterdam.
—Pendant cette pause de 30 ans, tu as joué dans différents groupes, jusqu’à ce que Minimal Wave sorte tes chansons. Tu peux nous en dire plus ?
—Je jouais toute sorte de trucs, tout ce que j’aimais, en fait. Beaucoup de guitare et d’industrial noise, et tout ce qui se trouvait entre. L’émergence d’un nouveau Das Ding m’a donné une clarté de concept satisfaisante.
—Souvent, tu as qualifié ton travail de robot music. Est-ce en raison de la vibe futuriste de ta musique, ou veux-tu aussi parler de la perte d’humanité de la société ?
—C’est surtout en raison de cette vibe futuriste, dans le sens où les machines s’expriment d’elles-mêmes, parfois par un heureux accident ou parfois par des bizarreries de connectivité, des trucs du genre. Toutefois, c’est toujours un humain qui appuie sur le bouton Démarrer.
—En Décembre 2007, Frans de Waard a créé une publication sur toi sur son blog No Longer Forgotten Music, ce qui a signé ton comeback. Le savais-tu ? Selon toi, existe-t-il d’autres artistes de l’époque qui mériteraient d’être redécouverts ?
—Je n’étais pas conscient de la résurgence de l’intérêt dans la musique des années 80, jusqu’à ce que Veronica me contacte. Je n’avais pas vu la publication sur le blog avant ça. J’étais complètement passé à côté. C’est drôle.
—Comment considères-tu Why Is My Life So Boring? ton premier nouvel album en tant que Das Ding ? Voulais-tu séparer ton travail moderne de ce que tu as fait par le passé, et ce qui était à nouveau publié ?
—Je pense que mon travail n’était pas si différent, peut-être un peu plus raffiné. Après tout, j’avais du meilleur matos. Je suis toujours très content de cet album, surtout des dernières pistes de chaque face. Elles représentent vraiment une référence à mes yeux.
—Tu as enregistré pour des labels comme Pinkman ou Mechatronica. Essaies-tu d’adapter ta musique au style général du label, ou est-ce que ça n’a pas d’importance pour toi ? Je sais que ton live à l’Ombra va principalement se centrer sur ton 12″ pour Mechatronica, mais que peux-tu nous dire de ces deux sorties ?
—Je n’ai jamais adopté cette approche, comme ils m’ont demandé, j’ai pensé qu’ils aimaient ma musique. Je reçois toujours des demandes pratiques, comme une intro ou outro plus longues pour les DJ, ou alors de faire que le tout soit unifié en tant qu’EP, mais c’est tout. J’adore vraiment l’EP que j’ai composé pour Mechatronica, c’est l’un de ces labels qui donne un feed-back précis et excellents de tes morceaux.
—Après Missing Tapes, peut-on s’attendre à d’autres compilations de matos que tu n’avais pas encore sorti ?
—Je n’ai plus rien qui soit digne d’une compil, mais qui sait ! Peut-être que je trouverai une vieille cassette quelque part (j’en ai une centaine).
—Dans une interview, tu as dit que tu voulais faire un album avec des chansons entièrement terminées, avec des paroles, couplets, refrains, etc. Veux-tu toujours prendre cette direction ? Penses-tu réaliser un album plus synthpop ? Ou plus pop ?
—Je le fais pour Electronic Emergencies qui sortira en 2022, j’espère. Cependant, je ne pense pas que toutes les chansons auront ce format.
—Cet été, on a fait un concours où les fans pouvaient gagner le dernier album de HIV+. L’un des gagnants était Dmitry Distant, qui a sorti un album sur ton label, Tear Apart Tapes. Le monde est petit. Comment sélectionnes-tu les artistes qui sortent sur ton label ? Que peut-on attendre à l’avenir ?
—Je rencontre les gens dans la vraie vie, et on travaille à partir de ça. Le label produit principalement des modules eurorack, et c’est presque un job à temps plein ! Les ventes sur Internet ont explosé pendant le confinement, tout fonctionne comme sur des roulettes, c’est dingue. Pour le moment, je vais me concentrer là-dessus. J’aimerais enregistrer d’autres disques et cassettes, mais c’est cher et il faut prendre un véritable pari. Les cassettes ne sont pas aussi chères bien sûr, c’est leur côté DIY qui fait ça.
—Dans ta deuxième référence, une compil appelée Kalkulator, on retrouve des groupes en lien avec Spastix, mais aussi un morceau de Jad Fair. Est-ce l’un des frères de Half Japanese ? Si la réponse est oui, comment l’as-tu contacté ?
—Oui, c’est lui. On lui a écrit pour lui demander de participer. J’ai toujours la cassette originale quelque part, de la marque Woolworth, une chaîne américaine d’entrepôts !
—Avec ton AKA expérimental, Schedelvreter, tu as sorti une cassette en 1985 (publiée à nouveau en 2012). Quelles étaient tes influences sur cet album ? Vas-tu sortir un album avec du nouveau matériel de Schedelvreter ?
—C’est en cours, pour Futura Resistenza Records. J’ai déjà enregistré quelques trucs. Je veux créer un album conceptuel à propos du nihilisme cosmique ! Schedelvreter a été conçu pour me permettre de faire une pause du format « rigide » de Das Ding. Ce projet n’est pas entièrement basé sur les patterns ou séquencé, les sons du synthé sont joués à la main sur un collage de fonds sonores. À l’époque, j’avais un synthé Crumar qui tombait en morceaux, et qui créait sporadiquement des sons ressemblant à des voix humaines. J’ai créé de gros sons de batterie en ajoutant des couches de bruit, en utilisant des ajouts enregistrés sur 4 pistes à l’envers ainsi que des enregistrements live de batterie de mon frère. Le résultat final semble narratif et filmographique, comme la bande-son d’un film apocalyptique imaginaire, sombre et désolé. J’ai été fortement influencé par les atmosphères ténébreuses du film Frankestein d’origine, et par les étranges histoires d’aliens datant du XVIe siècle des missionnaires partis au Nouveau-Monde.
Un étrange clip sorti sur YouTube pour « Cibola », une chanson accompagnée par une vidéo d’un tank soviétique, en Afghanistan (du moins, je crois) en résume parfaitement l’ambiance :
—Tu as composé la musique du court-métrage Cat Soup pour un événement. Aimerais-tu composer de la musique pour des films ?
—J’adore ce dessin animé, l’histoire triste de ses créateurs. Ça représente beaucoup de travail.
—Dans une interview, tu as déclaré vouloir écrire un roman. C’est vrai ?
—J’écris beaucoup, mais ce n’est pas mon hobbie principal pour le moment. Je n’ai pas assez de temps pour faire tout ce que je voudrais, donc il vaut mieux que je me concentre sur certains points.
—Tu construis également ta propre gamme de séquenceurs, Baby 8. Tu peux nous en parler un peu plus ?
—Comme je l’ai dit, le label se concentre sur ça. J’ai vendu tout un tas de séquenceurs, des centaines. Ça me permet de m’échapper de toute cette folie. Sans ça, je deviendrai fou à cause de l’état de la planète et des gens.
—Que peut-on attendre de ton concert à l’Ombra ? Tu vas le concentrer sur tes sorties chez Mechatronica ?
—Oui, mais j’inclurai aussi de nouveaux morceaux, et quelques classiques.
—On a lu que tu penses te retirer. Vas-tu donner ton dernier concert à l’Ombra ?
—Pour le moment, j’en ai bien l’impression. Après 18 mois de pause en raison du Covid, ça me semble fou de démonter mon home studio, de l’empaqueter, de l’emmener à travers le monde, à la merci de ceux qui manipulent les bagages, de le rassembler dans une pièce sombre, avec ces machines à fumée, ces lumières et tout ce bruit, haha. Parfois je compare ça à l’entraînement des astronautes ou de la police à cheval. Mais bon, un bon concert en vaut la peine. J’ignore si j’en donnerai d’autres après ça, honnêtement. Je ferai toujours de la musique, mais la performance, c’est autre chose.
En mars 202, juste avant la pandémie, j’étais sans le sou, inquiet de ne pas avoir suffisamment de concerts. J’ai donc commencé à travailler à la poste néerlandaise, le jour où la distanciation physique et toutes les mesures contre le covid ont été prises aux Pays-Bas. Ensuite, la vie nocturne s’est arrêtée ! Tous mes amis avaient perdu leur travail, et recevaient des aides. Pas moi. Quelle coïncidence ! J’ai ouvert un Etsy, et gagné plus d’argent que pendant une année entière de concerts !