Photo de couverture : Titouan Massé
Si nous avions dû parier sur de bonnes performances à l’Ombra cette année, notre argent aurait été misé sur le duo suisse Bound By Endogamy. Peut-être en raison de leur passé punk ou de l’énergie qu’ils parviennent déjà à transmettre sur disque, il nous semblait évident que leur concert serait un choix sûr. Nous avons découvert le duo formé par Kleio Thomaïdes et Shlomo Balexer grâce à l’album co-édité par Mágia Roja, et avec chacune de leur sorties, ils n’ont cessé de nous surprendre. Après leur performance percutante au festival barcelonais, nous avons voulu en savoir plus sur ce duo qui, sans aucun doute, squattera vos cœurs.
—Le nom du groupe vient d’une blague privée sur la scène punk de Genève, où tout le monde se connaît. Pensez-vous que la scène EBM/Synth punk est similaire/aussi petite ?
—En fait ce n’est pas vraiment une blague. C’était plutôt un constat ironique sur la nature de nos rapports dans le cadre de la scène punk locale. Quand on dit que tout le monde connaît tout le monde, c’est dans le sens biblique du terme connaître. Tout le monde couche avec tout le monde dans un cercle socioculturel restreint (on ne porte pas de jugement moral sur cette question).
L’aspect déterminant de cette observation n’est pas la taille de la scène, mais l’homogénéité des individus qui la composent. Les gens qui gravitent autour de la scène EBM/synth punk dont tu parles, nous on les appelle, les gothiques, pour schématiser. Le fait de se conformer à un dress code bien défini et de se rassembler autour d’un imaginaire esthétique et d’un courant musical exclusifs est évidemment une similitude que les gothiques partagent avec les punks, et d’autres tribus urbaines qui ont émergé à la fin des 70s et dans le courant des 80s.
Aujourd’hui, ces courants qui étaient cloisonnés à l’époque, sont jetés pêle-mêle dans une vague « queer » globale. Il y a encore des fidèles inconditionnels, des puristes de la scène punk et de la scène gothique, mais de façon générale les amateurs de musique mangent à tous les râteliers. Et les artistes aussi.
À première vue, cette évolution pourrait être perçue comme une tendance plutôt positive à l’ouverture, au métissage, mais on pense qu’en réalité elle procède surtout d’une forme d’opportunisme.
Elle participe de cette manie capitaliste de la société du spectacle à se réapproprier tout ce qui est vendable. Les trésors des contre-cultures, des cultures de contestation sont profanés, broyés, vidés de leur sens et revendus aux consommateurs par des pseudoartistes qui portent les attributs et brandissent les codes de nos mouvements sans avoir aucun lien avec eux. Les âmes de ces mouvements sont dissoutes dans un gros chaudron où tous les goûts se rejoignent pour former une bouille tiède, sans saveur, qu’on nous sert à tous les repas.
Et ce phénomène que tout le monde a déjà pointé du doigt dans l’industrie musicale mainstream, est également à l’oeuvre chez des artistes indépendants, plus ou moins underground.
On sait d’avance qu’on ne fera pas l’unanimité sur cette conclusion, mais on considère que les punks – et les goths – sont dépossédés selon une mécanique de réappropriation culturelle, guidée par des intérêts marchands, esthétiques et idéologiques. Une spoliation d’un patrimoine culturel moderne, analogue à celle qui frappe les peuples colonisés des Amériques et d’Afrique. Avec, implicitement, des intensités de violences connexes, propres à chaque contexte historique particulier.
Et si tu n’es pas membre d’une de ces communautés qui ont été pillées, tu ne pourras jamais ressentir dans ta chair combien c’est douloureux de voir des clowns sans éducation se balader dans la rue, déguisés comme toi, alors que tu n’as rien en commun avec eux 🙂
Finalement, c’est peut-être là qu’on atteint un point où le nom de notre projet endosse un sens pertinent de façon inattendue. En effet, les punks sont liés entre eux par des liens invisibles, d’essence bestiale, qui leur permettent de reconnaître les membres authentiques de leur société et de démasquer les imposteurs, au-delà des apparences vestimentaires, au-delà des discours, des postures et des artifices.
C’était déjà quoi la question au départ ?
—Comment êtes-vous passés du punk à l’électronique ?
—C’est une histoire très ancienne qui remonte aux années 2000. Shlomo vivait dans un squat où quelques ordinateurs en réseau étaient partagés collectivement entre les habitants. Sur ces ordinateurs il y avait un DAW open source nommé Buzz. Shlomo jouait dans des groupes de punk rock tout-à-fait traditionnels à l’époque. Pour s’amuser, il a commencé à produire des versions électroniques rudimentaires des morceaux qu’il composait avec ses groupes de punk. [Une des finalités de cette opération était d’enregistrer ces versions électroniques sur des minidisques. Il les diffusait ensuite sur un petit ampli pour s’accompagner quand il allait faire la manche dans la rue en chantant des chansons pédophiles a capella.]
Il a continué ce projet en concert avec quelques amis et a produit une sorte d’electro-punk pendant une dizaine d’années sans jamais vraiment s’intéresser aux musiques électroniques. C’est seulement vers le milieu des années 2010 qu’il a eu l’idée d’écouter autre chose que du punk, de la oi! ou du hardcore. Pendant cette période il s’est mis à passer des disques en soirée. Et évidemment, un titre d’ebm est toujours mieux accueilli sur une piste de danse qu’un vieux morceau de grindcore.
A la même époque, Kleio programmait pas mal de concerts sur Genève et elle commençait également à être sollicitée en tant que DJ. On s’est retrouvés à passer du son ensemble, à partager nos découvertes et à approfondir nos connaissance des cultures électroniques dans un élan commun.
—Qu’avez-vous vu l’un chez l’autre qui vous a donné envie de créer un projet ensemble ?
—Il y a deux éléments qui ont été importants.
Le premier, c’était nos références musicales et nos parcours convergents. On avait le même background, une connaissance et des expériences comparables des milieus punk et squat. Et on a plongé au même moment dans le vaste domaine des musiques électroniques. On était animés de la même soif de découvertes et nos goûts se rejoignaient.
Le second élément, c’était notre disponibilité commune. Nos jobs alimentaires respectifs ne prenaient pas beaucoup de place dans nos vies. On avait du temps pour créer quelque chose ensemble.
—Vous êtes influencés par la musique de labels comme Vinyl on Demand, Minimal Wave, Dark Entries, Domestica ou Mannequin. Ils ont réédité beaucoup de musique électronique des années 80 sortie initialement en cassette. Je suis aussi un grand collectionneur de ces labels. Que trouvez-vous intéressant chez ces groupes du passé ? Leur pureté ? Leur son ?
—Haha, c’est exactement ça, leur pureté, leur innocence, leur sincérité! Et leur son artisanal.
De façon générale, la musique et les films du passé possèdent ce pouvoir magique de nous faire voyager dans le temps. Ils sont chargés d’une atmosphère que les productions actuelles ne peuvent que tenter d’imiter. D’un point de vue formel, on peut énumérer quelques caractéristiques qui distinguent les artistes des 80s des artistes contemporains.
Pour commencer, ils n’avaient pas un accès instantané à toute la musique qui se produisait à leur époque, comme nous l’avons aujourd’hui. Ils étaient moins sujets aux effets de modes. Leurs compositions étaient de ce fait plus personnelles, plus audacieuses et souvent génialement maladroites, voire bancales. Ils étaient aussi plus limités dans leurs moyens de production ce qui favorisait leur créativité. Quand tu n’as que deux machines et un 4 pistes à ta disposition pour construire un album, tu es obligé de faire preuve d’un minimum d’ingéniosité si tu veux proposer quelque chose d’intéressant.
Les musiciens des 80s étaient aussi obligés de mûrir et de développer leurs projets sur de plus longues durées avant de se lancer dans la production fastidieuse d’une K7 ou d’un disque. Aujourd’hui tu peux balancer instantanément n’importe quelle merde sur internet que tu auras produite en une matinée, alors qu’autrefois, les musiciens laissaient au temps la possibilité d’imprimer un vécu singulier sur leur existence. Ce vécu imprégnait par la suite leur musique et lui donnait une saveur particulière. Que veux-tu produire ou raconter d’intéressant si tu n’as pas pris le temps de traverser des expériences de vie ou des drames existentiels?
Il faut aussi relever qu’à l’époque tu étais encore hors normes quand tu prétendais être musicien et que tu te lançais dans la diffusion indépendante de tes oeuvres. Il fallait avoir une certaine audace et un caractère qui transparaissaient forcément dans ta production artistique. Être artiste, c’était véritablement la voie de la marginalité. Tandis qu’aujourd’hui, avec l’évolution des moeurs, et avec la démocratisation des moyens de production et de diffusion, tu te situes dans la normalité absolue quand tu te lances dans une « carrière » artistique. En 2024 tout le monde est artiste. Il n’y a désormais rien de plus banal et de plus chiant qu’un artiste. Les vrais freaks sont les mathématiciens, les agriculteurs et les dentistes de nos jours. Les autres ne sont que des poseurs inutiles et des impostures.
Et pour finir, un des facteurs qui contribue le plus au charme de ces musiciens du passé, c’est qu’ils distillent une forme de romantisme inhérent aux histoires des artistes maudits. Ils ont la plupart du temps été ignorés et ont vécu dans un anonymat mystérieux, dans l’obscurité. Et c’est seulement après des décennies d’indifférence, que certaines de leurs productions sont exhumées, reconsidérées et élevées au rang de morceaux cultes par de nouvelles générations de mélomanes en quête d’authenticité dans un monde d’artifices.
—Je suppose que c’est aussi en partie la raison pour laquelle vous utilisez du matériel analogique. Dans cet éternel débat sur ce qui est meilleur entre le numérique et l’analogique, quel est votre point de vue ?
—Y a-t-il réellement un débat à ce sujet ? On pensait que tout le monde préférait le son analogique, haha! Un des rares moments où on s’est dit qu’on préférait le digital, c’était pour une question de support. Quand on a fait masteriser notre album éponyme pour le pressage, on s’est aperçus qu’il était impossible de conserver toute la stéréo de nos basses, pour des raisons physiques propres au format vinyle. Ça a légèrement modifié le son final du disque. Et si tu nous demandes quelle version on préfère, on te répondra que les fichiers numériques du disque distribués sur Bandcamp sonnent mieux que le vinyle. Ce qui est difficile à admettre pour des imbéciles adorateurs du microsillons comme nous.
—Un concert de DAF a été l’un des points de départ du groupe et je suppose que c’est ce qui a été déterminant dans votre façon de vous présenter en live : un chanteur et une batterie live. Nous sommes de grands fans du groupe de Gabi Delgado (comme nous le disons toujours, notre fils porte son nom). Qu’avez-vous trouvé intéressant dans leur performance et leur musique ?
—On a adoré comment Gabi remplissait tout le devant de scène à lui tout seul. Il n’y avait besoin de rien, ni personne d’autre. Juste son énergie et sa performance hypercommunicative. Et Robert qui le soutenait derrière à la batterie.
Un ami qui était là nous a dit qu’il avait vu un concert où Robert était entré sur scène avec une mallette de laquelle il avait sorti un CD. Il avait lancé la lecture du CD dans un appareil et ils avaient fait tout le concert en jouant simplement par-dessus les pistes électroniques du disque.
Ce n’est probablement pas le procédé exact qu’ils ont utilisé pour le concert qu’on a vu en 2018, mais dans les grandes lignes, c’est à ça qu’on a assisté.
Et on a été complètement séduits par l’efficacité redoutable de leur setup minimaliste.
—Comment la vie en squat a-t-elle façonné vos personnalités ? Est-il difficile de créer de la musique dans un squat ?
—On a tous les deux commencé à vivre en squat vers l’âge de 16 ans. C’est un âge où tu es encore en pleine construction identitaire. Donc tu t’imprègnes comme une éponge de tout ce que tu vis et expérimentes.
Les plus vieux avec qui Shlomo habitait, on terminé ou souvent court-circuité l’éducation que ses parents avaient essayé de lui offrir. En résumé, l’enseignement de base, c’est le rejet de toute autorité, et la tentative d’échapper à toute contrainte par n’importe quel moyen. Avec, pour toile de fond la vie et la débrouille en collectivité.
Pour Kleio, c’était un peu différent. Elle a commencé à squatter à Lyon, uniquement avec une bande de meufs qui avaient globalement toutes le même âge. Elles n’ont eu personne pour leur montrer comment forcer des entrées d’immeubles, ou pour jouer le rôle de grandes soeurs du rock’n’roll. Par la suite, Kleio est revenue à Genève, où elle a continué à squatter en Wagenburg.
On a eu la chance d’avoir beaucoup de squats qui pouvaient tenir plusieurs années à Genève. Par conséquent, il y avait la possibilité de se projeter dans des projets à moyen terme. Un local de musique était facile à aménager à plusieurs. Dans la plupart des squats où on a vécu, et dans beaucoup de squats qu’on a fréquentés, il y avait soit un espace de répétition, soit même un espace de concert, ce qui favorise les velléités musicales. Les amplis, la batterie, la sono et du matériel informatique étaient mis en commun. Et même si il n’y avait pas de local de musique dans ta maison occupée, tu pouvais avoir accès aux locaux d’un autre squat. La plupart d’entre eux étaient connectés et interagissaient en une sorte de réseau nommé Intersquat. Un des autres avantages du squat, c’est que tes voisins directs sont censés être tes potes, donc en principe il y a très peu de chances pour qu’ils appellent les flics si ils sont dérangés par le bruit que tu produis en faisant de la musique haha! Par-contre avec ce type de structure d’habitation il est souvent plus difficile d’envisager le long terme. Tout ce que tu construis est condamné à une forme de précarité, d’impermanence.
Et maintenant qu’on a assemblé un home studio avec un certain nombre de machines plus ou moins précieuses et fragiles, on est obligés de reconnaître qu’on préfère les conserver dans un espace locatif sécurisé, avec une température et un taux d’humidité plus ou moins constants, et la garantie que n’importe quel flic ne peut pas venir tout péter chez toi et jeter tes affaires par la fenêtre si ça lui chante.
—Étant originaires de Suisse, Lux Rec était le bon choix comme label. De plus, Kleio fait partie de Savage Grounds avec Daniele Cosmo (il y a une question à ce sujet à la fin). Je pense que Lux Rec, Detriti, Oráculo, entre autres, sortent actuellement beaucoup de musique intéressante et novatrice. Pensez-vous que nous vivons un âge d’or pour le type de punk électronique que vous faites ?
—Pas besoin d’avoir fait des études en science politique pour constater que la période dans laquelle on vit actuellement affiche certains points communs significatifs avec les années 80, ces années qui ont vu naître le post-punk, la new wave et leurs sonorités électroniques particulières.
Sur le plan géopolitique, on retrouve ce climat oppressant de guerre froide – ou plutôt tiède? – entre la Russie et l’Otan et la même menace d’apocalypse nucléaire. On a également le même type de progressions inquiétantes des partis d’extrême droite dans tous les pays d’Europe. En bonus par rapport au 80s, aujourd’hui on a la crise climatique, le Covid 19 qui est passé par-là, un génocide qui se déroule depuis plus d’une année en Palestine, et qui laisse tous les observateurs pourvus d’un coeur, impuissants pour concrètement y changer quoi que ce soit, la population occidentale qui devient de plus en plus débile parce que les gens préfèrent passer leurs journées à mater de la merde sur leurs téléphones portables plutôt que de lire des bouquins, et le modèle liberticide du rouleau compresseur chinois qui nous guette.
Ces éléments qui participent à l’ambiance hautement anxiogène de notre époque sont sûrement autant d’ingrédients propices à la production de musique pessimiste, désespérée, désenchantée et pourraient expliquer l’éclosion d’un possible second âge d’or pour un courant post-punk à tendance dépressive, dont Lux Rec, Detriti, Oráculo seraient les relais. Ceci-dit, à titres personnels, ce revival on le vit et on le ressent déjà depuis une dizaine d’années.
—Votre premier single était Walk with a Tumored Dog, dans une ambiance minimal wave plus mélancolique. Était-ce la première direction que vous vouliez prendre en tant que groupe ? Vous aviez dit que vous vouliez d’abord sortir un EP dans ce style, n’est-ce pas ?
—Au tout début du projet, on était plutôt partis dans une direction ebm oldschool. Et puis en 2020 on a fait réparer le vieux Casiotone 403 que le père de Shlomo avait acquis dans les années 80. Et quand on a eu ce synthé entre les mains, on s’est dit qu’il était parfait pour produire le genre de minimal wave à la Walk with a Tumored Dog. Surtout ses patterns de boîte à rythme intégrée. Et oui, en l’espace d’une année, on a composé quatre morceaux dans ce style qu’on aurait bien aimé sortir tous ensemble sur un EP. Mais les labels avec qui on travaillait avaient d’autres envies et on a dû s’y plier.
—J’aime l’idée d’avoir la même chanson chantée par chacun d’entre vous. Je parle bien sûr de “Lettre to Lauren”. D’où vous est venue cette idée ?
—C’est simplement que Shlomo avait composé ce morceau tout seul au départ. Et il avait enregistré des parties vocales dessus. Mais pour que ce soit une composition estampillée BBE, il était nécessaire que ce soit la voix de Kleio qu’on entende. Alors on a réenregistré sa version. C’est l’un des avantages de bosser en home studio. Tu peux facilement bricoler et expérimenter des versions alternatives sur tes travaux.
—La sortie suivante était votre premier album complet (bien que sorti plus tard). Pourquoi avez-vous mis autant de temps ?
—Si tu veux avoir tous les détails de l’histoire, ce qui s’est passé c’est qu’au début 2022, un label collectif nous a branchés pour faire un LP 8 titres. A ce moment là, on avait en stock une quinzaine de morceaux aboutis et assumables sur disque. On a sélectionné avec eux, ceux qui nous paraissaient les meilleurs. Le premier facteur qui a compliqué la réalisation du disque, c’était que sur les versions studio de nos morceaux, on utilise des boîtes à rythmes. On aime bosser avec ces machines et on aime leurs sons. Mais les gens du label voulaient qu’on enregistre les parties batteries, comme en live, sur les morceaux. On a dit pourquoi pas.
Ils ont branché un pote à eux qui a un studio professionnel et ils ont booké deux jours de travail pour réenregistrer et mixer les huit titres. Le problème c’est que ce pote en question a plutôt l’habitude de bosser avec des batteurs de rock psyché ou jazz qui maîtrisent complètement leur instrument et qu’il a donc fait des prises à l’arrache sur lesquels on entendait un peu tous les éléments de batterie sur chaque track d’instrument séparé. Ça ne pose pas de souci quand tu enregistres une batterie sur une track en one shot. Par-contre ce n’est pas du tout approprié pour rééditer les imprécisions et recaler les divers éléments de batterie sur les tempos réguliers et mécaniques des machines. Shlomo a dû réenregistrer dans notre local de répétition les snares et les toms séparément, piste par piste, et mixer tout ce bordel avec les prises studio. Ça a été du putain de travail de singe.
Une autre partie du travail qui a pris du temps, c’est que pour obtenir un disque avec un son plus ou moins cohérent, on a dû homogénéiser les mix des huit tracks qui avaient été enregistrées et composées à intervalles irréguliers sur une période de trois ans.
Shlomo a fait ça lui-même avec ses moyens limités de technicien du son autodidacte et ça a pris plus de temps que si ça avait été un professionnel qui aurait fait le job. Mais on savait exactement quel son on voulait, et ça n’avait pas de sens de payer quelqu’un d’autre pour faire un travail qui ne nous aurait pas satisfaits.
Une fois que le disque était enfin prêt, on a pas réussi à se mettre d’accord avec le label pour le visuel de la cover. Ils voulaient nous imposer l’artwork d’un graphiste avec qui ils ont l’habitude de travailler. Au bout de tout ce processus, on a donc finalement décidé d’un commun accord de laisser tomber la collaboration sur cette sortie de disque.
Quelques mois plus tard, on a mangé un kebab (vegan) avec Cyril de Bongo Joe pour discuter de la réédition vinyle de notre EP sorti par Dead Channel en mars 2023. Et là il nous a branché pour sortir un nouvel album. Ça tombait bien, on en avait un en réserve. On t’épargne les détails des emmerdes suivantes. On a dû refaire les test-pressings trois fois… Mais finalement, après toute cette épopée, on a obtenu un disque que les gens semblent apprécier.
—La face A a un son plus EBM/industriel et la seconde est un peu plus minimal wave. Pensez-vous que chaque face représente l’un de vous deux ou êtes-vous tous les deux plus ou moins intéressés par le même type de musique ?
—Non, en gros on aime les mêmes musiques. Shlomo a juste un petit faible pour les productions plus pop, plus cheesy et pour le power electronics. Et Kleio est la gardienne du bon goût qui réoriente le tir quand on s’égare sur des pentes trop savonneuses.
—La performance de Kleio est assez punk dans les premières chansons. Pensez-vous que l’influence du punk reste toujours présente dans votre musique ? Une fois punk, toujours punk ?
—Oui. En réalité, on fait vraiment du post-punk au sens littéral du terme. On est des punks et on reste des punks. Mais au bout de vingt ans à écouter exclusivement ce type de sons et après avoir accompli un peu toutes les conneries qu’un punk se doit d’afficher dans son CV, on avait probablement fait le tour du sujet. Alors on essaie d’explorer de nouvelles voies musicales avec ce baggage identitaire. Et Kleio continue, juste par vocation, à étoffer son CV punk d’expériences plus ou moins auto-destructrices.
—Les chansons de cette sortie sont uniquement en anglais. Préférez-vous chanter en français, votre langue maternelle ?
—Les mécanismes d’écriture ne sont évidemment pas les mêmes dans notre langue maternelle, le français, ou dans une langue que nous maîtrisons moins comme l’anglais. Mais on a pas de préférence pour l’une ou l’autre, on prend celle qui vient le plus naturellement avec l’inspiration, le sujet ou le propos. Kleio écrit aussi parfois en grec, la langue de son père.
—Votre musique est assez difficile à décrire. Elle n’est pas aussi directe et simple que la plupart du synth punk, et “Nothing” peut être décrit comme minimaliste, complexe et expérimental à la fois. Quel est votre objectif quand vous composez ? Jusqu’où vous autorisez-vous à aller avec la musique de Bound By Endogamy ?
—En général, avant de commencer un morceau, on a en ligne de mire soit un autre morceau déjà existant, soit un artiste, soit un style qui nous sert de référence de départ pour orienter la direction de notre travail. Et puis, en cours de route, il peut nous arriver de dévier de l’objectif initial et de laisser d’autres influences s’amalgamer au projet en chantier. Ce qui peut nous conduire à accoucher d’une track aux facettes multiples, comme tu la décris. Shlomo se laisse généralement volontiers détourner du droit chemin, tandis que Kleio aura tendance à essayer de maintenir le cap qu’on s’était fixés. C’est d’ailleurs intéressant d’observer que nos comportements et nos rôles ont tendance à s’inverser dans la vie courante.
—L’année dernière à l’Ombra, j’ai rencontré Viktor de Màgia Roja. Il livrait ses dernières sorties aux gars de BFE et je lui ai demandé une recommandation. Il m’a montré Huit Cauchemars D’une Machine Fêlée et j’ai suivi son conseil en l’achetant. Vous avez joué avec Dame Area et avez de bonnes relations avec eux. Comment vous êtes-vous rencontrés ? J’imagine que vous devez avoir beaucoup de choses en commun tous les quatre.
—Kleio leur avait organisé un concert à Genève, au tout début de leur projet, quand ils tournaient encore avec un batteur. On les as revus les deux fois suivantes où ils sont revenus jouer dans notre ville. Et puis en 2023 Màgia Roja a co-produit la réédition vinyle de notre premier EP qui avait été sorti en K7 par Dead Channel.
Par la suite on s’est retrouvés programmés avec Dame Area sur cinq dates en l’espace d’un an, en Suisse, en Hollande, en Suède et en Allemagne. Au fil de nos rencontres Viktor et Silvia sont devenus de vrais amis. On est toujours contents de les revoir sur scène et de passer du temps avec eux. En général on se marre bien. On apprécie leur humour, leur humanité, et on a des goûts musicaux qui se rejoignent évidemment.
—Six Cauchemars D’une Machine Fêlée était mieux produit, bien que vous ayez dit que votre évolution tend vers un son plus brut. Ces six morceaux ont été publiés plus tard, avec deux titres supplémentaires, par Màgia Roja et Les Disques Bongo Joe, comme vous l’avez dit précédemment. Pouvez-vous nous en dire plus sur la période de composition de cet album ?
— Ces six tracks ont été composées et enregistrées les unes après les autres en 2022. En parallèle on travaillait sur les parties batterie et le mix de notre premier album. C’était pénible et fastidieux. Donc la création des nouvelles tracks nous servait de récréation, c’était une tâche beaucoup plus stimulante qui réintroduisait du plaisir dans notre travail.
—”Autoreduction” montre l’influence de groupes comme Liliput/Kleenex. En faisant cette interview, je me suis rendu compte qu’ils étaient suisses. Ont-ils été une influence précoce dans votre vie ? Qu’avez-vous trouvé intéressant dans ce groupe aujourd’hui considéré comme classique ?
—En réalité l’album qui nous a servi de référence pour Autoreduction c’est Penis Envy de Crass. On s’est inspirés de leurs fameuses rythmiques sautillantes. Et on y a ajouté une pincée de swing. Le sujet du morceau – le pillage de magasins en bandes organisées – résonne également avec les prises de positions anarchistes de Crass.
Mais on est aussi fans de Liliput/Kleenex. On a toujours apprécié et recherché les groupes avec des vocaux féminins. Ils nous plaisaient peut-être parce qu’ils étaient plus rares. Bien qu’on soit encore loin d’un ratio 50/50, il y a plus de femmes et de personnes non-binaires sur scène aujourd’hui. Malheureusement on observe que ce ne sont pas toujours les bonnes raisons qui motivent cette progression. Il nous semble que pour les musiciennes, la popularité reste trop souvent corrélée à l’apparence physique. C’est un phénomène encore plus visible dans le monde des djs.
Et il y a aussi ces tentatives légitimes mais maladroites de rééquilibrer la représentation des genres sur des événements. On essaye de rétablir la balance à coups de marteaux en accordant plus d’importance aux questions de ratio qu’au contenu de la programmation, et on bascule dans des situations absurdes où un musicien de genre masculin comme Anna Funk Damage est sollicité pour jouer sur une soirée, juste parce qu’un programmateur incompétent pense qu’il s’agit d’une femme.
Au final, la discrimination positive reste une forme de distinction réductrice intrinsèquement négative selon nous. Mais cette tendance à se focaliser sur la forme en négligeant le fond est complètement symptomatique de notre époque subordonnée au culte des apparences.
—Le CR-78 a été utilisé dans Huit Cauchemars D’une Machine Fêlée et apparaît également sur la pochette. Avez-vous un attachement particulier pour cette machine ou pour son son ?
—Oui, on cultive un amour particulier pour nos vieilles boîtes à rythmes. On ne sait pas pourquoi, on vénère plus spécialement les boîtes à rythmes que les synthétiseurs. Peut-être parce qu’elles ont des sons plus identifiables, des caractères plus marqués. Et parmi notre modeste collection de boîte à rythmes, la CR-78 est la plus belle et la plus précieuse. Et accessoirement on aime aussi les sons qu’elle produit haha! Une autre boîte à rythme qui nous tient à coeur est la DRM16 de Electro-Harmonix. On l’entend sur nos morceaux Lune et Killed By Shame. Et elle est indissociable du son des Bérurier Noir, le célèbre groupe punk français qui a eu le plus d’importance dans la vie de Shlomo.
—Le morceau “00010 01110 01100 01111 10100 10011 00000 10011 01000 01110 01101” est une critique de la société virtuelle, également critiquée dans “Nothing”. Pensez-vous qu’il existe un moyen de revenir à une société plus “humaine” ?
—Malheureusement non. On pense qu’à des petites échelles, individuelles ou collectives, il est possible de s’éloigner de notre société inhumaine, en s’installant en dehors des villes et en privilégiant les modes de subsistances qui nous rendent le plus autonomes possible. Mais à une échelle plus globale, les psychopathes aux commandes des ploutocraties autoritaires qui dessinent les contours de nos sociétés, n’ont aucun motif pour nous orienter vers des systèmes de fonctionnements plus humains. Leurs stratégies et leurs profits sont directement liés à la déshumanisation de notre société. Et tout indique qu’ils ne sont pas prêts à lâcher les leviers de leur omnipotence.
Par conséquent, on ne peut que saluer les initiatives de citoyens responsables qui tentent de renverser cette situation invivable. On pense notamment à Luigi Mangione, ce jeune homme courageux qui a abattu le PDG de United Healthcare le 4 décembre 2024 à New York.
—Vous faites aussi des DJ sets et des émissions de radio, avez-vous fait de nouvelles découvertes ?
—Everyday, le nouvel EP de Hayter, édité par KRI.
La dernière sortie de Lux Rec : Abe Schwarz – Schwarze Leidensleider.
Tir Groupé, l’EP de Rixe, sorti cette année.
Friendly Fire, le 7’’ d’Alan Harman, édité cette année par Unrealistic Expectations.
DDE07, le 7’’de SILF, édité cette année par Dalmata Daniel.
Wage Of Wrath, le nouvel album de Kommando – side project de Thorofon – sorti sur AntZen.
Les albums Fragmented et Artiphon de Parallel Worlds édités cette année par le label anglais DiN et par le label islandais Móatún 7
La compil Kosmoloko 3 éditée par Galakthorrö cette année.
L’EP digital Acid Moustache auto-édité par Philipp Münch cette année.
L’album Lost Art de PRZ, sorti sur Cultivated Electronics cette année.
Yacker, le dernier album de Container, toujours aussi efficace, édité par Alter, le label dirigé par Helm.
Les deux derniers EP de L.F.T. sortis cette année sur Pinkman et Osàre! Editions.
La K7 Ready To Fog de Fog Man.
The Sky Is The Floor, le dernier album de The Horrorist, qu’il a publié au format digital sur bandcamp cette année. C’est le disque de 2024 qu’on a préféré et on ne comprend pas pourquoi ça n’est pas sorti en format physique. Si on avait un label, on se battrait pour éditer cet album en vinyle.
Et sinon, tout le monde est au courant que Dame Area ont sorti un super LP, Toda La Verdad Sobre Dame Area, classé deuxième meilleur album de l’année par Pitchfork.
Frustration et Le Prince Harry ont aussi édité de bons albums cette année. Il y en a une multitude d’autres, mais on ne peut pas toutes les lister.
—Vous avez également sorti un split sur Acid Avengers, un peu plus dansant. Avez-vous modifié la musique pour avoir un son plus acid juste pour cette sortie ? Vous aviez dit que ces trois morceaux ont été enregistrés entre 2020 et 2021, c’est bien ça ?
—On a pas complètement changé notre son, vu qu’on avait déjà travaillé avec un clone de TB303 sur certains de nos morceaux précédents. Mais oui, tu es en quelque sorte obligé d’utiliser ce synthé si tu veux intégrer la série Acid Avengers, ça fait partie du contrat tacitement. Et ce sont des morceaux qui ont effectivement été composés et enregistrés entre 2020 et 2021.
C’est d’ailleurs toujours frustrant de devoir attendre aussi longtemps pour que tes morceaux soient publiés. Notamment parce qu’on ferait complètement autre chose aujourd’hui si on devait produire des tracks pour Acid Avengers.
—Votre dernier EP, intitulé Correspondances, était auto-produit. Les paroles ont été écrites par des femmes lors d’un atelier dans le cadre d’une résidence d’artistes organisée par le service social de Genève. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette expérience ?
—L’expérience est décrite assez précisément sur l’insert accompagnant l’EP. Et on peut le consulter sur notre page bandcamp.
En résumé, dans le cadre d’une résidence, Shlomo a animé un workshop d’écriture destiné à des retraités.
Trois femmes ont participé au workshop. Il leur a demandé d’écrire une lettre impossible à transmettre à son destinataire. Une lettre impossible à adresser ou à formuler. Les lettres seraient ensuite utilisées comme textes pour nos compositions.
Par le passé, avec BBE, on avait déjà composé deux morceaux cathartiques dont la fonction était d’établir une forme de communication utopique entre deux sujets. « Lettre à Lauren » adressée à une conseillère du bureau du chômage qui tyrannisait Shlomo. Et « Tutor » que Kleio a écrit à l’un de ses meilleurs amis qui s’est suicidé.
En prenant ces textes comme exemples, une des participantes du workshop a écrit au chien adoré de son enfance. Sa famille l’avait abandonné quand ils avaient quitté le Portugal pour aller vivre à l’étranger. Et le chien s’était fait shooter par une voiture et était mort le jour où ils avaient déménagé.
Une autre participante a écrit une lettre à la professeure de couture qui l’avait traumatisée quand elle était petite.
On était très contents de recevoir ces textes dramatiques, chargés d’émotions. Ils mettent en scène des univers teintés d’onirisme, et convoquent des imaginaires propres au monde de l’enfance. Ils sont parfaits à mettre en relation avec nos sons. On a donc composé deux nouveaux morceaux avec ces textes, on les a enregistrés et on les a édités sur le EP Correspondances avec nos deux autres morceaux qui n’avaient pas encore été publiés sur support vinyle.
—Et Shlomo, l’Hospice Général vous a aidé par le passé, pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
—L’Hospice Général, c’est le service social qui prend le relais à Genève quand tu arrives en fin de droit d’indemnités chômage. En gros, tu as une assistante sociale qui surveille ton compte bancaire et qui te donne de quoi payer ton loyer, ta bouffe et tes frais médicaux. En France, les musiciens ont un statut d’intermittent du spectacle qui leur permet de recevoir un salaire régulier à partir d’un certains nombres de dates de concerts par année. Mais en Suisse aucune structure du même type n’existe pour accompagner les musiciens. Les Suisses qui ne sont pourtant pas en manque de moyens et qui pensent toujours être plus intelligents que leurs voisins ont plus de 50 ans de retard sur les Français dans ce domaine. A Genève, pour essayer de t’en sortir, tu dois constituer une association légale avec un comité, un président, un secrétaire et un trésorier. Et demander des subventions ponctuelles tout au long de l’année à différents organes de financement. C’est un travail administratif infernal qui s’ajoute au travail de composition, d’enregistrement et de production, aux répétitions, aux bookings, à la comm et aux tournées.
Et au final, beaucoup de musiciens du circuit professionnel se retrouvent à dépendre des services sociaux pour survivre.
—Dans le cadre de certaines de vos photos promotionnelles, vous tenez un portrait de P. Jupiter. Vous avez produit un morceau avec lui pour une compilation du magasin de disques Born Bad, “La Tour Dieu”. Que pensez-vous des collaborations avec d’autres musiciens ? Y a-t-il d’autres artistes avec qui vous aimeriez travailler ?
—La collaboration avec d’autres musiciens, c’est une extension de notre travail qui nous plaît. Ça apporte de l’air frais à notre propre projet, ça nous permet d’être en contact avec des personnes qu’on aime et dont on apprécie les productions.
On a déjà commencé à bricoler une ou deux tracks avec Mathieu de Leroy Se Meurt, les dernières fois où il est venu passer quelques jours de vacances chez nous à Genève. On projette d’aller au bout de cette amorce de collaboration quand nos calendriers se synchroniseront pour sortir un disque mutant issu du croisement en laboratoire de nos deux groupes.
On a également l’intention de prolonger notre travail avec P. Jupiter pour sortir un autre EP avec lui.
Si on pouvait aménager librement notre emploi du temps, on donnerait probablement la priorité à ces projets. Mais malheureusement le rythme soutenu de nos dates de concerts, les calendriers de productions du groupe et les problèmes liés à nos vies personnelles on tendance à repousser leurs concrétisations.
—Kleio, vous faites aussi de la photographie et du cinéma. Je suppose que la pochette de Huit Cauchemars D’une Machine Fêlée était votre idée. Quels points communs trouvez-vous entre votre travail artistique et Bound By Endogamy ?
—En fait la couverture de Huit Cauchemars D’une Machine Fêlée est l’idée de Shlomo. C’est d’ailleurs lui qui a pris la photo. Je n’avais pas particulièrement envie d’apparaitre nue sur la pochette de notre disque. Si quelqu’un devait être nu, j’aurai préféré que ce soit lui, haha! Mais il m’a convaincue. L’argument poétique l’emporte sur le reste.
Pour ma part, j’ai réalisé la cover de notre premier 7’’, Walk With A Tumored Dog, édité par Lux Rec. Je ne jure que par l’analogique. Cette photo a été produite à la chambre photographique Sinar, grand format 4-5 inches, contrairement à Huit Cauchemars qui est une photo numérique.
Les points communs entre mon travail artistique et BBE c’est cette matérialité de l’analogique, ma sensibilité au grain du film comme celui du son. Sinon il y a bien sûr les thématiques abordées qui se retrouvent dans l’un ou l’autre des médiums. Comme parexemple les recherches sur la présupposée infériorité cérébrale des femmes dans les milieux de la médecine et de la psychiatrie à fin du XIXe siècle.
—Kleio, vous aviez déjà joué à l’Ombra avec Savage Grounds il y a quelques années. Vous avez rejoint le groupe en 2021 et êtes apparue sur Hidden By The Night” et Separation Shock. Comment se passe votre expérience avec le groupe de Daniele Cosmo ?
—Mon expérience avec Savage Grounds représente une étape fondamentale de mon parcours de frontwoman.
Au départ Daniele m’avait invitée à enregistrer des voix sur deux morceaux de son groupe, et pendant le confinement il m’a proposé de venir chanter spontanément à un de leurs concerts. Nous n’avions jamais travaillé ensemble auparavant. Je suis juste venue, ils ont improvisé leurs morceaux en live comme à leur habitude et moi j’ai improvisé des parties vocales par-dessus. C’était la première fois que je faisais ça. A la fin du concert ils m’ont demandé si je voulais rejoindre officiellement le groupe.
Donc j’ai intégré le projet d’une certaine manière en étant jetée dans l’arène. Et ça m’a fait énormément progresser, ça m’a obligée à lâcher prise. Vu que je ne savais jamais à l’avance ce qu’ils allaient produire, je ne pouvais pas vraiment m’entrainer. Il fallait que je sois capable de puiser dans mes ressources et me faire confiance. C’était angoissant, mais de cette manière j’ai fait des choses que j’aurais jamais pensé être capable de faire. Alors j’ai vraiment l’impression d’avoir franchi un cap avec SG.
Avec BBE on passe beaucoup de temps à composer ré-arranger, écrire des textes, enregistrer les voix, alors que là c’était tout l’inverse. Je venais en studio et on produisait une track en un après-midi. Pendant qu’ils composaient, j’écrivais le texte. A la fin de la journée, ils enregistraient en live et ensuite on finissait par les prises voix.
C’était stressant de devoir avoir quelque chose de prêt au moment où ils auraient fini d’enregistrer leurs parties instrumentales, mais ça m’a poussée à travailler de manière plus libre, dans une sorte d’urgence. J’ai beaucoup aimé cette manière d’envisager la musique. Il y a des morceaux que je n’aurais jamais écrits autrement. Ça rend quelque chose de très brut, parfois fragile mais complètement honnête. En concert on ne rejouait jamais les morceaux qu’on avait enregistrés. Tout est en one shot avec SG alors je ne pouvais jamais me reposer sur mes lauriers.
Nous avons malheureusement arrêté notre collaboration, mais cette expérience a été extrêmement enrichissante.
Et au delà de ce side project, c’est d’une certaine manière grâce à Daniele Cosmo que BBE à émergé. C’est lui qui a édité notre premier 7’’ et sans sa confiance notre groupe ne serait peut-être pas là où il en est aujourd’hui.
—De votre côté, Shlomo, vous faisiez partie de Grey Lips, pouvez-vous nous parler de votre période avec ce groupe ?
—Il n’y a pas grand-chose à en raconter. C’était le projet d’un ami chanteur, compositeur, guitariste de Genève qui s’appelle Mathieu Hardouin. J’ai exécuté les parties percussions qu’il a écrites sur son premier LP Masquerade. Et j’ai joué en concert avec lui et un second guitariste pendant un ou deux ans. J’aimais bien être uniquement interprète au départ, mais comme le groupe n’avançait pas beaucoup, je me suis lassé de rejouer tout le temps les mêmes morceaux, sans pouvoir être impliqué dans le processus créatif du projet. Alors j’ai quitté le navire et je me suis concentré uniquement sur BBE qu’on avait déjà commencé depuis quelques temps.
—Quels sont vos projets pour l’avenir de Bound by Endogamy ?
—On a déjà une douzaine de dates qui sont bookées ou en attente de confirmations pour 2025. En Suisse, en France, à La Réunion, en Belgique, en Allemagne, en Espagne et en Angleterre.
Et on a un nouvel LP 8 titres qui est quasiment achevé. Un label hollandais nous l’a commandé l’année dernière. On attend juste que le boss valide les dernières tracks qu’on lui a envoyées.