Luigi Tenco s’est suicidé le 26 janvier 1967, après avoir été éliminé du festival de Sanremo lors de la présentation d’une chanson trop « socialement compromettante ». Dix ans plus tard, pendant la grande explosion du punk, les « choses compromettantes » n’était plus aussi mal vu.
Tenco est né en 1938 à Cassina, de la relation hors mariage de sa mère et d’un garçon de douze ans son cadet. Le mari de sa mère mourra peu avant sa naissance dans d’étranges circonstances. Des années plus tard, il apprendra son origine particulière et cette révélation le poursuivra toute sa vie.
De André, qui meurt en 1999, avait connu Tenco après le déménagement de ce dernier à Gènes, en 1948. À ce moment, les idoles de Tenco étaient Paul Desmond, Jerry Roll Morton, Charlie Parker, Gerry Mulligan et Chet Baker. En 1967, année de la mort de Tenco, Chet Baker était encore en train de récupérer de l’accident lors duquel il avait perdu ses dents.
De 1956 à 1958, il fera partie de plusieurs groupes de jazz. De André faisait partie de l’une d’elles. L’influence du jazz est présente dans des chansons comme « Ciao amore, Ciao ». Ce sont les années du Moanin’ d’Art Blakey, du Something Else de Cannonball Adderley, du Blue Train de John Coltrane, du Miles Ahead de Miles Davis et du Brilliant Corners de Thelonius Monk.
La musique noire est une grande influence pour lui, surtout Nat King Cole et Ray Charles. Le rock n’ roll de Fats Domino et Little Richard influera aussi son son. S’il était né maintenant, écouterait-il Kanye West, Skepta ou Kendrick Lamar?
En 1958, il part en tournée avec Adriano Celentano, Giorgio Gaber, Paolo Tomelleri et Gianfranco Reverberi en Allemagne. Après les concerts, l’organisateur s’enfuit avec l’argent. Quarante-six ans plus tard, le manager de Leonard Cohen lui volera pratiquement tout son argent.
En mars 1959, il sort ses premières chansons avec le groupe I Cavalieri. Il fait partie d’une série d’artistes qui, partant des « Cantacronache » essaient de refléter la réalité sociale en s’éloignant de la banalité des paroles de l’époque. Presque 60 ans plus tard, on entend toujours des stupidités dans les chansons.
Dans ses paroles, l’influence de Cesare Pavese est évidente. Ainsi, « La mort viendra et elle aura tes yeux » était l’un des poèmes préférés de notre artiste. Pavese se suicidera aussi, 17 ans avant Tenco, en 1950.
En 1962, il enregistre son premier disque homonyme où se détachent « Mi sono Innamorato Di Te » (sans aucun doute, l’une de ses meilleures chansons), « Quando » (l’une de ses premières chansons écrites par Gaber qui lui a dit : elle est splendide, chante-la.), la censurée « Una Brava Ragazza » ou la mélancolique « Il Mio Regno ». Musique triste avec de belles orchestrations. De l’autre côté de la Manche, les Beatles enregistraient leur premier disque. Les temps changeaient.
Cette même année, il interprétera le rôle principal dans La Cuccagna, film où il joue le rôle d’un musicien qui, paradoxalement, médite sur le suicide sur une plage. Un an plus tard, en Espagne, Manolo Escobar apparaîtra dans son premier film, Los Guerrilleros, tout comme Rafael qui fera son entrée dans le monde du cinéma avec Las Gemelas.
Son deuxième disque, également appelé Luigi Tenco, est considéré comme son chef-d’œuvre. Sorti en 1965, il débute avec la dévastatrice « Ho Capito Che Ti Amo », « Io Lo So Già » (morceau qui aurait pu être signé Lee Hazlewood). Presque à la fin, on peut écouter une autre de ses superbes chansons, « Vedrai Vedrai », qui ressemble aux meilleurs morceaux d’Aznavour. Chanson, pop et jazz forment une œuvre profonde, qui au fil des écoutes, ne fait que gagner et remplir un trou dans votre vie, dont vous n’avez sûrement jamais remarqué la présence. Les années suivantes, le chemin de la désolation sera parcouru par des artistes comme Nick Drake, Leonard Cohen, John Martyn ou encore Nick Cave.
En 1966, il sort son troisième et dernier disque, Tenco. Les paroles sont attentives aux problèmes sociaux. On y compte des morceaux comme « Lontano, Lontano » ou « Un Giorno Dopo L’Altro » (avec ses airs mystérieux de film noir). On remarque également son approche au beat de « Ognuno è Libero ». Vingt ans plus tard, à Sanremo, Eros Ramazzoti gagnera le grand prix avec son morceau « Adesso tu ».
Sept ans après sa mort naît le prix Luigi Tenco, qui sera remis aux meilleurs musiciens italiens, comme Giorgio Gaber, Paolo Conte ou Frabrizio De André, mais aussi à des artistes étrangers comme Leonard Cohen, Jacques Brel, Chico Buarque de Hollanda ou Lluís Llach. Al Bano, Romina Power, Ricchi e Poveri, Giorgia, Giò di Tonno ou encore Il Volo sont d’autres gagnants de Sanremo.
« Ciao amore, Ciao » est le dernier morceau interprété par Tenco avant son suicide. Trente et un an plus tard, la musique italienne sera de nouveau à la mode grâce à Laura Pausini et son tube « Se fue ». Bien sûr, elle ne parlait pas de Tenco.
François Zappa