Selon la numérologie, 2 représente la dualité, la collaboration et l’harmonie. Parade Ground en est un parfait exemple : dualité de voix et synthé, collaboration entre frères et harmonie qu’on retrouve dans l’ordre et le chaos, Formé en 1981, le duo a créé des œuvres définitives d’EBM et de coldwave, et continue à sortir de grands disques comme Sanctuary (2016). Jean-Marc et Pierre, frères et Belges, répondent à nos questions de façon unique, chaotique et poétique à la fois, comme la musique de leur groupe. Oui, nous vous recommandons de lire l’interview en anglais pour mieux entrer dans le monde particulier de Parade Ground. Et n’oubliez pas : ils font partie des têtes d’affiche de l’Ombra, qui aura lieu cette semaine à Barcelone.
—Avant Parade Ground, vous jouiez sous le nom de MHZ. Existe-t-il des enregistrements ? Comment décririez-vous la musique de votre premier groupe ?
—JM : Les enregistrements ont été faits de façon officielle de nombreuses fois. Il en existe de 8 ou 9 chansons. Je composais avec ma guitare avec un bassiste. Pierre était le batteur. Je suppose que ça ressemblait à de la new wave.
—P : Nous avons joué dans de nombreux groupes avant de créer Parade Ground. Nous n’avons que des démos de l’époque. Nous étions comme nous sommes maintenant. Nous avons toujours été de jeunes hommes révoltés et en colère. Avec deux aspects de la musique : les guitares et le synthé. Les lèvres se sont coupé les veines.
—Quelles étaient vos influences au moment de la création de Parade Ground ?
—JM : L’influence de la scène anglaise a provoqué une vraie révolution et a inspiré la création européenne, au niveau de la musique, de l’art, de la peinture, de la danse, de la photographie, du stylisme, de l’architecture, du théâtre et de l’écriture. À la fin des années 70, il existait une atmosphère de révolution, d’effervescence intellectuelle… On peut le voir avec les groupes comme Wire, Fad Gadget, Siouxie, PIL… Tout était abondant et désinhibant, comme la sensation de se mordre soi-même…
—P : J’ai toujours été plus intéressé par les sons, les cris et les bruits plutôt que par un résultat fini.
—Est-ce difficile de jouer dans le même groupe que son frère ?
—JM : Au contraire. C’est beaucoup plus facile ! Il est mon autre moi.
—P : Non, car il est aussi mon meilleur ami ! Nous avons les mêmes racines musicales et créatives. Nous jouions ensemble avant même de savoir parler. Nous adorons les mélodies et les émotions, nous adorons la liberté de création d’une voix. Jean–Marc est le dernier crooner. Nous ne sommes pas transparents à travers la peine.
—Comment le dadaïsme et l’art ont-ils influencé votre musique ?
—JM : Pendant une longue période, nous avons regardé de vieux films datant d’avant la Seconde Guerre mondiale. Des films presque oubliés aujourd’hui. Quand j’écris les chansons, je les conçois comme un script de cinéma. Étape par étape.
—P : Toute forme d’art nous influence, tous les mouvements révolutionnaires comme le futurisme, le dadaïsme, les créateurs comme Duchamp, Man Ray, Dalí, Broodthaers, Josef Beuys, les écrivains comme Céline, Antonin Artaud, Tzara, Breton, Burroughs. C’est aussi le cas du cinéma français de Carné, René Clair, Duvivier. Nous avons toujours essayé de transposer leur créativité, leur énergie et leurs émotions dans notre musique.
—Comment avez-vous rencontré Patrick Codenys et Daniel B de Front 242 ? Vous avez collaboré, pas vrai ? Ils ont produit certains de vos disques et vous avez écrit les paroles de deux disques de Front 242.
—JM : Nous avons rencontré Patrick après l’un de nos concerts dans une petite salle de Bruxelles. Il cherchait un jeune talent pour le label New Dance, qui était leur label de l’époque. Nous sommes rapidement devenus amis. Nous avons passé tout notre temps à composer des chansons. Ces sessions étaient incroyablement créatives et fébriles. Patrick nous a rapidement présentés à Daniel avec qui nous sommes venus de très bons amis.
—P : Nous avons rencontré Daniel dans le magasin de musique où il travaillait à l’époque… Nous avons passé de longues heures à nous entraîner et à découvrir tout le nouveau matériel du magasin. Nous avons pris des risques. Notre vie sans consentement.
—JM : Ils nous ont demandé de travailler sur leurs disques Up Evil and Off. C’est rare de participer de si près à la création d’un autre groupe. Nous avons trouvé les mélodies de la voix et les paroles. Ce travail a duré six mois. C’est toujours difficile de jouer dans le camp de quelqu’un d’autre.
—Avec votre EP Man in a Trance, votre musique commence à se diriger vers l’EBM. Ce style correspondait-il à vos idées ?
—P : Nous n’aimons pas les étiquettes, nous faisons la musique de Parade Ground, une sorte d’autovivisection, d’autodissection permanente. Je pense que personne ne serait capable de citer un groupe qui joue le style de musique que nous jouons.
—JM : C’était principalement dû à l’influence de Daniel B en tant que producteur. Pour nous, seules les mélodies comptaient à l’époque, mais je crois que c’était une bonne idée de la part de Daniel de nous initier à l’EBM. C’était un temps où on programmait nos synthés en live entre chaque chanson pendant les concerts. C’est ça qu’on appelle être des pionniers !
—En 1987 vous avez collaboré avec Colin Newman, bien qu’il avait l’air d’être le membre le moins intéressé par la musique électronique de Wire. Comment cela s’est-il produit ?
—JM : Un véritable ami et artiste. Il a commencé à s’intéresser à l’électro pendant les sessions d’enregistrement et a créé des projets comme Immersion. Nous nous sommes entendus très bien très vite et sommes devenus très bons amis. Colin aimait notre musique et s’est impliqué dans la création des disques, où il jouait de la guitare et chantait dans toutes les chansons.
—P : Ça a été amusant de le rencontrer en sachant que notre premier concert à l’étranger a été celui de Wire à Londres. On devait avoir 15, 16 ans. Grâce à lui, nous avons connu de nombreux musiciens et groupes de la fin des années 70 et 80.
—En 1988 vous publiez votre premier album, Cut Up, moins EBM que les singles antérieurs et plus coldwave. Pensez-vous que le changement de producteur a eu quelque chose à voir avec ce changement ou est-ce que vous vouliez essayer quelque chose de nouveau ?
—JM : Cut Up est une collection de chansons où Pierre joue de la basse. C’est un album purement mélodique. On n’était pas très intéressé par le style de musique à l’époque. C’est du pur Parade Ground, produit par Pierre et moi.
—P : On a toujours eu deux aspects dans la musique. Cut Up a surtout été produit par nous-mêmes et « Strange World » en faisait partie. Les mélodies étaient plus importantes que le style ou que les instruments qu’on créait. La voix de Jean–Marc est le fil d’Ariane, pour toutes nos créations et 80 % de Parade Ground.
—Qu’avez-vous fait pendant les 15 ans où vous avez arrêté la musique ? J’ai lu que Jean-Marc écrivait des histoires pour enfants et que Pierre faisait de l’art plastique.
—JM : J’ai commencé à écrire comme certains commencent à boire. Je buvais seulement des mots, je mangeais des mots et je vivais pour les mots, tous les jours. Pour Pierre, c’était la même chose. Il a développé une maladie appelée art moderne et en était très malade. Il a rencontré Philippe Soupault à Paris et Marcel Mariën à Bruxelles et a créé de nombreuses pièces uniques qu’il est difficile de qualifier… Comme des histoires courtes.
—P : Nous avons vécu ensemble dans un ordre religieux pendant deux ans en tant que moines, on créait dans un petit espace près des cloches… Ainsi furent nos expériences psychiatriques, ce furent des années intenses, un cadeau comme une défenestration de l’âme, une lame qui pénètre le cerveau, comme la fois où une vieille dame, une interne, m’a donné le sein toute la nuit.
—En 2007 vous sortez The 15th Floor, un album de 1989, que vous n’aviez pas sorti à l’époque. Le disque a été réédité sur CD cette année par VUZ Records.
—JM : Parce qu’on avait des problèmes avec notre label qui voulait nous faire signer un contrat rempli de pièges subtils. On était très contents lorsque notre ami Dirk Ivens (Klinik , Dive , Absolute Body Control) nous a proposé de sortir ces chansons.
—P : On était en procès avec notre label de l’époque. C’était des escrocs. Ils avaient des problèmes avec presque tous les groupes avec lesquels ils travaillaient. Avec tous les clichés qui accompagnent ça : sous-estimation des ventes, on nous faisait assoir sur une chaise plus petite pour qu’on se sente en position inférieure, etc.
—Une histoire similaire se produit avec A Room with a View que vous sortez en 2012. À la base, vous sortez cet album sur une cassette de huit chansons avec du matériel enregistré en 1998. Pourquoi n’avoir sorti cela que sur cassette ? Avez-vous d’autres disques perdus ?
—P : C’est un peu différent pour A Room With a View : il s’agissait de pistes non sorties. Et finalement, nous les avons sorties sur CD en 2015. Nous avons toujours beaucoup travaillé. Nous avons beaucoup d’albums perdus, mais aussi de nouvelles chansons. Nous avons 20 chansons déjà préparées et prêtes à sortir, certaines sont incluses dans notre set de concert. On sortira un album live dans le mois qui vient.
—JM : Une maison de disque russe, Other Voices Records, et VUZ Records (Allemagne) nous ont contactés et nous avions encore beaucoup de chansons en stock.
—Vous avez un groupe de cold wave ou de EBM préféré ?
—P : Oui Parade Ground, c’est un groupe hallucinant qu’on adore tout particulièrement.
—JM : Et MARIA !
—Pierre, que se passe-t-il avec ton projet MARIA ?
—P : MARIA est une plaie ouverte. C’est un projet presque secret et uniquement live. Il est basé sur des samples et des rythmes comme les groupes de rap. C’est un style de disco en déclin. Mon seul but est « TUEZ-MOI ».
—Votre musique passe parfois dans les discothèques (peut-être beaucoup plus dans les années 80). Vous pensez que c’est facile de danser sur de la musique en colère ?
—JM : Un musicien de New York, Sean (Martial Canterel) m’a dit « la première chanson sur laquelle j’ai dansé a été “Strange World” à Brooklyn ». Maintenant, il y a un film appelé State Like Sleep, dans lequel on peut entendre « Strange World ». Je suppose que notre musique peut être utilisée dans plusieurs buts, et vraiment, pour nous il n’y a pas de problème. Mais c’est vrai que c’est de la musique en colère.
—P : On n’aime pas les choses faciles. La facilité, c’est se prostituer soi-même. On savait parfaitement que jamais on ne serait reconnus. Que jamais on n’arriverait à ça ! A-t-on déjà tout créé ? Étions-nous nés ? Le passé est ce qui reste dans le miroir. À travers cela, nous n’appartenons plus à la musique.
—Votre disque de réunion, sorti en 2007, s’appelle Rosary. La religion joue-t-elle un rôle dans votre musique ?
—JM : Je suis un catholique. Ne le dites à personne !
—P : Pour moi, Rosary est parfait. C’est la perfection. C’est un réceptacle de 30 ans de tension et d’émotion. Nous avons oublié de renaître. Notre vie est sans confession. On ne parle jamais de religion. Peut-être que vous sentez la spiritualité de notre musique, peut-être pas.
—C’est un disque beaucoup plus expérimental (dans le bon sens). Vous l’avez fait exprès ?
—P : On voulait revenir avec un album complètement inattendu, entièrement différent de nos tubes des années 80. Les gens ont été intrigués et choqués bien sûr… Ils ont reconnu la rage, la singularité, l’intensité, la provocation… On ne doit jamais comprendre ou être compris. Être compris, c’est se prostituer soi-même.
—JM : Rosary est notre meilleur album. Il est vrai. Comme la première larme d’un enfant. Nous l’adorons.
—S’il existe un Dieu, vous croyez qu’il aime l’EBM ?
—JM : Je reconnais qu’il doit plutôt aimer la musique sacrée. Peut-être qu’il aime aussi Parade Ground, qui sait.
—P : C’est la différence entre ce qui est spirituel et la musique. La musique est physique, elle est enregistrée… Pour nous, c’est un cadavre. Les nombres, une fois qu’ils sont enregistrés, ils sont morts pour nous… Comme les peintures, toutes ces vieilles ordures à jeter directement au feu… Les disques dans leur petite boîte, leur cercueil… Tout ça ne nous intéresse pas…
—Vous avez sorti votre dernier album, Sanctuary en 2016. Est-ce une continuation de l’antérieur ? Son nom est-il une autre référence à la religion ?
—JM : Bien sûr. Mais c’est aussi une allusion à toutes ces chansons qui restent au fond d’un tiroir longtemps avant d’être publiées.
—P : Oui. Sanctuary est la continuité de Rosary. On avait presque 35 pistes disponibles. Sanctuary est le soleil de Rosary, il apporte un éclairage particulier.
—Comment se passe votre tournée ?
—JM : Notre tournée est amplifiée par le sentiment que nous ne serons jamais reconnus. Chaque fois qu’on part en tournée, on essaie de tout donner comme si on allait mourir !
—P : Pour nous, la chose la plus importante c’est d’être sur scène. C’est là où tout se passe. On y laisse notre peau, il faut payer. Le danger augmente avec les utilisations, la cruauté ne finit jamais. Nous sommes du vomi… On a encore tant de choses à vider, à mordre, l’asymétrie de la pensée… L’esthétisme de la nausée.
—Pourquoi avoir monté un groupe comme Parade Ground et pas comme Bros ?
—JM : Nous sommes sincères avec tout ce que nous entreprenons. Bros était une chose puante mue par l’argent, un gros plan marketing aux ambitions très faibles. Il chante :” When will I … Will I … Have my picture in the papers ? When will I be famous”. La chose la plus drôle à propos de ça, c’est que, quelque part, ils sont restés célèbres grâce à une chanson. Ils étaient probablement sincères quand ils disaient qu’ils voulaient devenir célèbres.
—P : Nous n’avons jamais accepté d’être utilisés comme un produit. D’être une marionnette dans les mains des producteurs. Je crois que c’est une question d’intégrité. Nous sommes des créatifs, et nous ne cherchons pas à cacher les apparences avec un masque. Nous sommes toujours vivants et on s’en sort sans l’aide de personne. Nous avons une incroyable colère qui nous sert à créer, à exprimer les choses avec une révolte absolue, une sauvagerie intérieure.
—Si vous deviez donner une raison d’écouter Parade Ground à un jeune, quelles seraient-elles ?
—JM : Écoutez quelque chose de vrai qui peut vous faire douter de tout ce que vous croyiez jusqu’à présent. Les musiciens ont souffert et leur souffrance se trouve dans leur musique.
—P : Personne ne demande à un cadavre ce qu’il fait avec son cercueil. On fait toujours les choses comme si c’était la dernière fois, à la dernière extrémité. Tout est puissance et terreur. Il existe toujours un besoin venimeux dans tout acte artistique. On doit toujours instiller du venin, de l’acidité dans tout ce qu’on fait. L’espace change de forme, c’est la chorégraphie du chaos. Les jeunes sont tous des artistes maintenant. Ils font tous de la musique. Ils n’ont pas besoin que nous soyons leurs stars.
—Comment avez-vous vécu cette période de COVID ?
—Les temps sont toujours durs pour nous avec la psychiatrie et l’angoisse. Quel covid ? Jamais entendu parler de ça… Décidément, on ne demande pas à un cheval ce qu’il fait dans une boule à neige.
—L’année dernière, vous avez célébré vos 40 ans. En raison de la pandémie, la tournée a été reportée à 2021. Que pouvons-nous attendre de cette date si importante ?
—Toujours beaucoup à accomplir… La resortie de notre premier album « Cut Up »… En vinyle, cette fois-ci. Mais le plus important, c’est le livre, une autobiographie remplie d’anecdotes, de secrets, de rencontres, tous nos chers souvenirs… Nos anges… Nos cadavres…
Avec des CD’s, des morceaux inédits, des répétitions, des photos, affiches, des textes de groupes, organisateurs, journalistes, photographes, fans. Les années arrivent à la tombée de la vie…
—Que peut-on attendre de votre concert à l’Ombra ?
—Chacun de nos concerts a toujours été vécu comme si c’était le dernier, et ce sera peut-être le cas ? Qui sait ? Avec cette rage morbide…
L’impression de vomir dans le public… De le cautériser… La scène c’est l’art de disparaître… S’arracher le corps, cru et nu : nous voulons une totale exuvie, délier le singe mental… Il faut mettre sa peau sur la table… Il faut payer. On va danser avec Ombra… On va danser avec nos cadavres… Ombra va danser avec Ombra.